Monsieur le Ministre, vous êtes un génie

NB. : Si vous n’avez pas suivi l’affaire, tout a commencé par cet édito, puis cette réponse.

Monsieur Khalid NACIRI,
Ministre désigné de la communication,
Porte parole du gouvernement de Sa Majesté,
Pèlerin et Membre du bureau politique du PPS (ex-PCM)
Membre fondateur de l’OMDH.
Auteur-compositeur du pamphlet Les yeux dans les yeux.
Ayant eu bruit de votre lettre à l’adresse de l’individu Ahmed Reda Benchemsi, et connaissant vos faits d’arme en matière de lettres ouvertes, j’ai dû souffrir l’attente interminable d’avoir sous mes yeux ce texte d’inspiration divine. Mais jouissante fut ma surprise à la lecture de la dite lettre. Vous vous êtes admirablement surpassé et peu de commis de l’Etat peuvent se valoir d’une telle lucidité et d’un tel tact : sans avoir recours au moindre argument rationnel, vous avez réussi à ridiculiser le traître en question tout en donnant à l’ensemble des journalistes un cours de patriotisme qui restera à jamais dans les annales. D’ailleurs, il y a tout juste quelques semaines, le ministère de l’Intérieur, par le biais du vôtre, redéfinissait les règles de la pratique journalistique de la façon qui conviendrait le mieux à l’organisation que vous représentez. Une belle leçon d’éthique que vous avez infligé à la chaine Al Jazeera.
C’est la deuxième fois que vous dégainez votre plume pour remettre cet élément perturbateur à sa place : Je me souviens avec beaucoup de tendresse de la prose que vous avez choisi d’intituler Maintenant parlons entre nous les yeux dans les yeux. Tout comme votre fils, la confrontation physique ne semble pas vous faire peur, et c’est bien à cela que l’on reconnaît les hommes, les vrais.
J’ai longtemps hésité avant de m’adresser à vous, tant vous avez placé la barre très haut. La saccade de verbes, de substantifs, d’épithètes et d’attributs qui m’obligent plus d’une fois à ouvrir mon poussiéreux Robet m’ont d’abord dissuadé de toute réaction. J’entends certaines mauvaises langues, sans doute les mêmes qui ne se délient que pour servir les intérêts des ennemis de la Nation, vous reprocher un registre de langue excessivement soutenu dans un pays où la moitié de la population est carrément analphabète. Mais outre votre aisance littéraire naturelle, contre laquelle vous ne pouvez rien, vous avez ainsi montré qui est le chef, tout en proférant noblement des insultes bien méritées. En somme, mon respect mon admiration sont sans cesse grandissants : vous auriez pu aisément vous consacrer à la littérature et gagner Goncourt et autre Nobel plusieurs fois, mais vous avez préféré servir votre Patrie sur le fauteuil épineux de ministre.
Mais sans entendre nullement formuler l’ombre d’un reproche, je ne l’oserais point, permettez-moi de vous suggérer, si vous le permettez, d’ajouter ces phrases qui me semblent manquer à votre lettre. Elle y trouverons naturellement leur place, même si je ne me permettrais pas un instant de prétendre à la qualité et la juste violence de votre argumentum ad hominem.
Ainsi Monsieur Benchemsi, dont le bureau n’est orné d’aucune photo de sa Majesté, d’aucun drapeau national, pousse l’outrecuidance jusqu’à ne point afficher, ni la première ni le second, dans le fond d’écran de son téléphone. Une telle attitude méprisante envers les valeurs sacrées de notre Nation, quand on sait que l’étendard marocain est honoré du sang rouge des martyrs de la Patrie, semble entériner ce qui est déjà de notoriété publique : cet individu est, comme le fut Abraham Serfaty, brésilien.
Mais si je prends aujourd’hui le risque de me couvrir de ridicule devant la grandeur et la noblesse de votre verbe en balbutiant ces quelques propos, c’est pour attirer l’opinion publique sur l’idée révolutionnaire que contient votre lettre. Vous ne vous en êtes sûrement pas rendu compte, habitué que vous êtes à alterner actes sages et paroles de génie. N’êtes vous pas l’auteur de ce qui est devenu un adage dont l’ensemble des subtilités et des significations reste hors de la portée de l’esprit nihiliste : Le Maroc est un îlot de démocratie et de liberté d’expression ? L’idée révolutionnaire en question est l’essence des quelques lignes qui suivent :
Contrairement à ce que vous laissez entendre, en faisant porter la responsabilité d’un échec –au demeurant inexistant– de la cause marocaine à la seule MAP, je me dois de vous interpeller, vous M. Ahmed R. Benchemsi, Directeur de publication d’une revue hebdomadaire ayant pignon sur rue : Qu’avez-vous fait, vous, pour suppléer les défaillances d’une agence trop officielle à votre goût ? Vous l’expert incontournable en stratégie communicationnelle, vous qui mettez en avant votre science infuse, vous qui ne voyez dans la communication officielle, qu’un fatras d’inepties, eh bien vous, que faites-vous, ne serait-ce qu’une fois par semaine pour apporter votre soutien à une cause que vous considérez si mal défendue ? Est-ce par des éditoriaux comme celui de cette semaine, où seuls sont encensés les adversaires du Maroc, qui mènent contre nous une guerre sans merci ? Ceux-là, eux, sont en rang de combat, sans coup férir contre votre pays
“Faites-moi un papier pour quelqu’un de bête et pressé.” comme dirait Hubert L. Je me permets donc d’expliquer ce passage aux vulgaires nihilistes : le journaliste est un soldat, au service non d’une prétendue vérité, mais des intérêts du Makhzen. Dans cet ordre d’idées, le dénommé Ahmed Reda Benchemsi est un déserteur qui mérite au moins la peine capitale. A cause de lui, le Maroc a non seulement failli perdre la bataille médiatique, mais il a aussi été sur le point de perdre sa réputation de pays démocratique et développé. Heureusement que notre diplomatie, la MAP, l’INDH et le HCP répondent présents à chaque fois qu’il s’agit de défendre l’image de notre bien aimé pays. Jusqu’à quand ces valeureuses institutions pourraient-elles tenir face aux élucubrations insensées de ces agents algériens ?
Mais pour pallier à ce vide juridique qui rend difficile la condamnation de ces médias délinquescents, il convient d’intégrer tous les journalistes aux corps armés de l’Etat. Bien entendu, pour signifier clairement à ces gens la bassesse intrinsèque au métier qu’ils ont choisi d’excercer, il ne faudrait surtout pas les honorer d’un quelconque statut d’officier, ou même de l’appartenance aux FAR : les mroud, Forces Auxilliaires semi-militaires pourraient à la limite leur convenir, et encore. Quant au choix de l’uniforme, permettez moi ce petit caprice : il siérait de leur faire porter des habits qui rappellent les Rapetou, pour que jamais ils ne perdent de vue leur ignominie.

Le Maroc nouveau, château de Nacirye, millésime 2010  ressemblera donc à ceci : un pays où l’ensemble des articles, tribunes et enquêtes ne sont autres que des paraphrases des dépêches de la MAP. Sur ordre de l’Etat major, journalistes et éditorialistes concourront en parfaite symbiose à l’établissement de la Vérité makhzenienne. Un pays où une femme enceinte, n’ayant point trouvé d’hôpital décent pour y donner naissance à son rejeton, sera réconfortée par la une de Telquel (devenu désormais Telquenouslevoulons) ainsi titrée La Guinnée Bissau reconnait la qualité des soins médicaux au Maroc. Un pays où un vendeur de chewing-gums, âgé de 6ans et illettré, la faim rongeant son ventre et la colle (silissioun), ses poumons, se fera un plaisir d’apprendre que le Maroc a battu le record du plus grand couscous du monde. Un pays où tous les journaux titrent Le Maroc gagne la guerre médiatique, nonbstant de la réalité. Un pays où tous les médias mettent en exergue La reconnaissance de la marocanité du Sahara par un Kebab à Clichy. Sur ordre du général untel, s’il le faut. Un pays où les journalistes pourraient enfin être jugés devant des cours martiales. Un pays, donc, où les citoyens seront obligés de croire, non pas leurs sens ou leur intellect, mais votre conception des choses.

Monsieur le ministre : vous êtes un génie.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma profonde admiration,
Abou Lahab.
C.J.D.M., 24/11/2010
 

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