Alors que Londres appelle au respect «d’urgence» des droits de l’homme, Madrid veut des «éclaircissements» de Rabat, Amnesty International demande au Maroc d’ouvrir une «enquête indépendante».
Le forfait commis à El Aâyoune par le Maroc a été reçu comme un choc par une communauté internationale habituellement indulgente envers le Royaume chérifien. De fait, les vagues d’indignation ont encore pris de l’ampleur ces dernières quarante-huit heures par les réactions vigoureuses de Londres et de Madrid au moment où l’Intifadha des populations d’El Aâyoune fait tache d’huile se propageant à l’importante ville de Smara (est du Sahara occidental) dont les habitants ont manifesté jeudi en soutien aux résistants du camp de la liberté «Gdeim Izik».
Ibrahim Ghali, l’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) à Alger a déclaré que la contestation s’était étendue jeudi à Smara.
Marocains et Sahraouis se reverront en Suisse La prochaine rencontre entre le Maroc et le Front Polisario qui doit se dérouler en principe au mois de décembre se tiendra à Genève, d’après la déclaration du chef de la délégation sahraouie, qui est parvenue à la rédaction de L’Expression.
«Les participants ont décidé de se réunir à nouveau au mois de décembre ainsi qu’au début de l’année prochaine afin de poursuivre, selon des approches innovatrices, le processus de négociations qui a été demandé par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies», avait déclaré Christopher Ross à l’issue du troisième cycle de discussions informelles qui ont eu lieu du 8 au 9 novembre à Greentree, à Long Island près de New York, sans qu’aucune avancée n’ait été signalée. «Les deux délégations ont discuté en profondeur l’ensemble des mesures de confiance contenues dans le plan d’action de 2004 et ont accepté de dédier une séance spéciale à Genève dans les délais les plus rapprochés», a fait savoir, dans son communiqué, le diplomate sahraoui. Le Front Polisario a pris la décision de répondre, encore une fois, présent et continue en dépit des provocations marocaines à privilégier la voie des négociations. «Malgré les événements tragiques que nous avons énergiquement condamnés et forts des droits nationaux de notre peuple, nous avons décidé de répondre positivement à l’appel de l’ONU pour la poursuite des négociations avec la puissance occupante afin d’exprimer, une fois de plus, notre attachement à la voie démocratique pour résoudre un conflit de décolonisation sur la base du respect du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance», souligne Khatri Adduh. Le négociateur en chef sahraoui a rendu hommage aux victimes du camp de Gdeim Izik et a tenu à remercier tous les pays et organisations qui ont exprimé leur préoccupation et leur solidarité pour le peuple du Sahara occidental. |
«La situation est confuse vendredi (hier, ndlr) à Smara où il y a eu de nombreuses arrestations», a-t-il indiqué sans pouvoir les chiffrer. Selon le Front Polisario, la ville a été jeudi «le théâtre de violentes manifestations organisées par des jeunes étudiants en solidarité avec les citoyens sahraouis d’El Aâyoune». La police marocaine y a fermé les écoles «jusqu’à nouvel ordre» Pendant ce temps, à El Aâyoune, les autorités marocaines se sont attelées à faire disparaître toute trace du carnage. En effet, les martyrs sahraouis de la ville occupée d’El Aâyoune n’auront pas de sépulture décente.
Comme pour les crimes odieux et crapuleux, les assassins tentent de faire disparaître les traces de leur forfait. L’héritier du trône marocain a ordonné d’effacer les siennes. Les militaires procèdent au nettoyage de la ville dans un climat de terreur pour gommer les traces de leurs crimes abominables. La besogne macabre se fait en dehors de tous les regards indiscrets, sachant que le Maroc a délibérément fermé le territoire sahraoui à tous les médias, les observateurs internationaux et les élus européens qui voulaient s’y rendre», a confié Khalil Sidi M’hamed dans une interview accordée à l’agence de presse officielle sahraouie SPS.
C’est dans ce climat que Paris a renouvelé son soutien à son ami le roi. En effet, alors que l’attaque sauvage menée par les forces d’occupation marocaines contre le camp de Gdeim Izik a soulevé l’indignation de la communauté internationale, la France a réitéré son appui au projet d’autonomie marocain pour le Sahara occidental.
La décence aurait voulu, au moins, qu’on laisse le temps au peuple sahraoui de panser ses blessures, de sécher ses larmes. Le gouvernement français est visiblement resté insensible à la revendication d’indépendance du peuple sahraoui colonisé. Une séquelle due à l’histoire sans aucun doute.
«La France considère que le Maroc a fait un pas significatif en présentant un plan d’autonomie qui constitue, non seulement pour la France, mais aussi pour le Conseil de sécurité, une base sérieuse et crédible de négociation», a déclaré le porte-parole du Quai d’Orsay.
En ce qui concerne la question du Sahara occidental, l’on savait que la France n’allait pas opérer de virage à 180 degrés. Il n’empêche qu’après les déclarations de Bernard Kouchner suite au massacre des Sahraouis d’El Aâyoune, on avait pensé à un peu de retenue de la part de Paris. Par respect aux victimes.
A contrario, la ministre espagnole des Affaires étrangères, Trinidad Jimenez, a indiqué hier que l’Espagne avait demandé au Maroc des «éclaircissements» de manière urgente sur les violences qui ont suivi le démantèlement d’un campement de contestataires sahraouis au Sahara occidental. «L’Espagne considère que doivent être éclaircies de manière urgente les circonstances (des violences, Ndlr) et nous l’avons fait savoir au gouvernement du Maroc», a déclaré la ministre espagnole.
Mme Jimenez qui s’exprimait lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres, a réitéré sa profonde «préoccupation» pour les «faits très graves» qui se sont produits ces derniers jours au Sahara occidental.
Il règne encore une atmosphère de chaos à El Aâyoune. Quel est le bilan de cette attaque sanglante? «Comment voulez-vous faire un décompte quand on sait que les gens paniqués sont littéralement assiégés dans leur maison ou dans des maisons d’accueil, parfois dans des quartiers très loin de leurs demeures», a fait remarquer le ministre sahraoui qui a ajouté que le nombre de morts pourrait se compter par centaines.
«El Aâyoune s’est transformée en une ville fantôme… les rues ont été désertées par les habitants autochtones qui craignent d’être lynchés par les colons épaulés par l’armée… c’est un nettoyage ethnique contre tous ceux qui portent l’habit traditionnel sahraoui, boubou, melhfa (voile) ou turban. Personne ne peut sortir pour se ravitailler en nourriture ou en médicament», a confié Khalil Sidi Mhamed.
Le monde s’interroge et s’émeut. Les voix éprises de justice et de liberté s’élèvent. «Le département d’Etat américain a fait part à la délégation sahraouie qui a participé aux pourparlers, qu’il suivait ´´avec préoccupation´´ la situation qui prévaut au Sahara occidental», a indiqué, à l’APS, Ahmed Boukhari, représentant du Front Polisario à l’ONU. Des membres du Congress américain ont interpellé le président américain, Barack Obama. Amnesty International exige une enquête indépendante. «Si une force excessive a été utilisée, les responsables doivent rendre compte devant la justice», a estimé Malcolm Smart, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour les droits de l’homme de l’ONG. L’UA a exprimé sa préoccupation.
«L’UA demande au gouvernement du Maroc de s’abstenir de l’usage de la force et de privilégier la voie du dialogue comme seul moyen efficace pour résoudre la crise et créer des conditions plus propices à la recherche d’une solution durable au différend sur le Sahara occidental», indique un communiqué de l’Union africaine. Les parlementaires britanniques ont appelé leur gouvernement à faire pression sur le Maroc et ont renouvelé leur soutien au peuple sahraoui.
Mohamed TOUATI
L’Expression, 13/11/2010
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