Christopher Ross pour la reprise des négociations maroco-sahraouies
A quel temps se conjuguent les «sans conditions préalables» ?
Les prochains pourparlers entre les Sahraouis et les Marocains sont prévus début novembre 2010.
La récente visite de l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, Christopher Ross, dans la région, est destinée à faire avancer le processus de paix dans la dernière colonie africaine, classée « territoire non autonome » par l’ONU depuis 1966. La tournée régionale, la quatrième du genre depuis la nomination du diplomate américain en janvier 2009, fait suite à de nombreux rounds de discussions restés sans résultat, du fait des positions inconciliables entre les deux parties en conflit, le Maroc et le Front Polisario. Cette fois, Ross a estimé que le statu quo dans la question du Sahara occidental est « intenable à long terme », en faisant référence aux « coûts et (…) dangers qu’il entraîne ».
S’appuyant sur la dernière résolution (1871) du Conseil de sécurité, il a appelé le Polisario et le Maroc à faire preuve « maintenant » de volonté politique nécessaire pour le surmonter, en les invitant à engager des négociations « sans conditions préalables » et de « bonne foi », afin de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui garantit l’autodétermination du peuple sahraoui. Même si la référence au droit légitime du peuple sahraoui à l’autodétermination a été réaffirmée par le représentant onusien, sa façon de mettre dos à dos l’occupant et l’occupé a fait réagir rapidement la partie sahraouie.
En effet, lors d’une conférence de presse, organisée le 18 octobre, au siège de l’ambassade de la RASD à Alger, le ministre sahraoui des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Salek, a déclaré que les autorités de la RASD et le Front Polisario attendent des Nations unies qu’elles assument « leurs pleines responsabilités à l’égard du peuple sahraoui » et ce, en mettant un terme à l’occupation, en accélérant l’organisation du scrutin référendaire et en mettant fin à la répression systématique perpétrée par les forces coloniales marocaines à l’encontre des Sahraouis des territoires occupés, restés sans défense.
Comme pour répondre à l’exigence suggérée par Ross, le diplomate a tenu à apporter certaines précisions. Il a ainsi rappelé que la création en 1991 de la Mission de l’ONU, c’est-à-dire la Minurso, et le mandat de celle-ci obéissent à l’objectif d’organisation du référendum dans l’ex-colonie espagnole. M. Ould Salek a également souligné la disponibilité de la partie sahraouie à travailler avec Christopher Ross et à l’aider, non sans insister sur la finalité de la mission de ce dernier, à savoir la décolonisation du Sahara occidental. Par ailleurs, le ministre sahraoui est revenu sur le processus de paix et a fait part d’un constat connu de tous : l’entrave de ce processus est, selon lui, « marocaine, avec le soutien de la France ». Mais, le conférencier ne s’est pas arrêté là, il a revisité l’après-cessez-le-feu, qui a engendré un statu quo sans cesse favorable aux forces d’occupation. Sur ce registre, il a alors abordé les desseins du Makhzen qui, tout ce temps, a usé du pillage des ressources naturelles, des transferts massifs des Marocains vers les villes sahraouies occupées, mais aussi de l’isolement des zones occupées du Sahara occidental du monde extérieur et du recours à « la liquidation physique, aux violations des droits de l’homme et aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité », en espérant mettre fin à la volonté d’indépendance du peuple sahraoui.
Le poids des événements et des fondements
Depuis juin 2007, le Maroc et le Front Polisario ont engagé de nouvelles négociations, sous l’égide de l’ONU, dont 4 rounds ont eu lieu à Manhasset, près de New York, et 2 réunions informelles à Vienne et à New York, sans aboutir à une avancée réelle. Lors de la dernière réunion informelle, qui s’est tenue en février dernier, les parties ont réaffirmé leur engagement à poursuivre leurs négociations dès que possible. Huit mois sont déjà passés !
La récente tournée régionale de Christopher Ross, amorcée le 18 octobre dernier, a mené l’émissaire onusien chez les deux parties en conflit, au Maroc et auprès du Polisario, dans les camps de réfugiés, ainsi que dans les pays observateurs du processus de paix, à savoir l’Algérie et la Mauritanie. Elle participe d’une volonté de renouer les fils du dialogue entre Sahraouis et Marocains, un dialogue annoncé pour le 4 octobre dernier, puis reporté au début novembre 2010. Avec cette fois, la suggestion glissée par Ross relative à la question des relations de « bon voisinage » au Maghreb et le déplacement du secrétaire général de l’ONU en personne, à Marrakech pour discuter avec le roi du Maroc sur le dossier du Sahara occidental, sinon le convaincre à rejoindre la table des négociations. D’ailleurs, on est tenté d’approcher ces éléments en prenant en compte le contexte actuel, marqué par la célébration du 60è anniversaire de la Déclaration 1514 des Nations unies du 14 décembre 1960 consacrant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Un principe qui, aujourd’hui, pose avec acuité la question de crédibilité du Conseil de sécurité, surtout après la récente réaffirmation du droit au peuple sahraoui à l’autodétermination, par la IVè Commission onusienne de décolonisation. En outre, il faut croire que la célébration, par la RASD, membre fondateur de l’Union africaine, du 35è anniversaire de la déclaration de l’unité du peuple sahraoui, et surtout la mise à nu du régime de Rabat, par la résistance sahraouie des territoires sous occupation, ne sont pas étrangères à la pointe d’impatience perçue chez Ross.
Mais, pour coller aux événements, il serait bon de rappeler que c’est la partie marocaine, ayant accepté le plan de règlement de l’ONU de 1991, participé à différents cycles de négociations avec le Front Polisario et signé les accords de Houston, en 1997, qui a déserté le chemin de la légalité internationale, en tournant le dos à ses engagements. Conforté par l’organigramme onusien, qui date pratiquement de la Seconde Guerre mondiale, et donc par la complicité de pays membres influents du Conseil de sécurité, notamment la France, le Maroc, qui n’a aucune souveraineté sur le Sahara occidental, ne veut plus entendre parler de référendum d’autodétermination. Encore moins un scrutin comprenant le choix d’indépendance parmi les options à présenter. Ce qui ne veut pas dire que ce pays ne se prépare à une éventuelle consultation, mais avec une carte humaine complètement remodelée.
ONU : la médiation au détriment des responsabilités ?
En juin 2010, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU a rédigé une lettre, révélée deux mois plus tard, par le journal espagnol El Pais, dans laquelle il demandait l’aide de l’Espagne qui, aux yeux du droit internationale, est la puissance administrante au Sahara occidental, ainsi qu’au tout nouveau « Club des Amis du Sahara Occidental » (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie et Espagne), pour sortir les négociations de l’impasse. Dans la missive qu’il leur adressait, Ross avait fait état de l’intransigeance marocaine et de l’absence de volonté de dialogue « sans préalable » auquel avait pleinement souscrit le Front Polisario. Un constat conforté par le discours du roi alaouite, prononcé en août dernier, à l’occasion du 11è anniversaire de son accession au trône. En déclarant que son pays ne renoncera pas au moindre pouce du Sahara occidental et en remettant sur le tapis la proposition d’une large autonomie dans ce territoire, Mohammed VI a en effet fermé toutes les portes de la négociation, en poussant au pourrissement et en jetant surtout un sérieux doute sur la volonté du Maroc de coopérer réellement avec Ross. Un doute qui n’est pas prêt d’être levé, en l’absence d’initiatives onusiennes, en matière de climat de confiance et de protection de la population sahraouie des territoires occupés. Cela a d’ailleurs été relevé par le Polisario qui pense que « l’ONU ne peut se contenter du rôle de médiateur », alors qu’elle a des responsabilités envers le peuple sahraoui et le territoire non autonome du Sahara occidental.
L’ONU, plus particulièrement son Conseil de sécurité, par manque de volonté, a tenté depuis 2000, de trouver une solution, en empruntant une 3è voie, entre l’intégration au Maroc et l’indépendance du territoire. A aucun moment, le Conseil n’a voulu exercer des pressions sur le Maroc, pour l’obliger à se remettre sur les rails de la légalité internationale. De plus, il n’a pas mandaté la Minurso, l’unique Mission onusienne pour un référendum dans un territoire non autonome, pour les questions relevant des droits des l’homme et de la protection de la population civile sahraouie. Lors de leur passage, les deux prédécesseurs de Ross, James Baker et Peter Van Walsum, ont essayé de redéfinir la souveraineté et l’autodétermination. Si Baker a maintenu d’une certaine manière le principe de la consultation référendaire, en l’élargissant à une partie des Marocains établis dans le territoire sahraoui occupé, Van Walsun a, quant à lui, cherché à effacer complètement toute trace du peuple sahraoui. L’actuel envoyé spécial de l’ONU au Sahara Occidental, dont la nomination coïncide avec l’émergence d’un groupe de 5 pays, connus sous le nom de « Club des Amis du Sahara Occidental », veut certainement éviter un semblable sort. Son appel de Nouakchott, pour la recherche d’une solution politique avec l’aide des seuls pays de la région, remettra-t-il les pendules à l’heure ? Parviendra-t-il à faire bouger le Conseil de sécurité, dans le sens de l’ouverture de meilleures perspectives pour les Sahraouis, avant que l’irréparable ne se produise ?
S’agissant de la dernière colonie africaine, il y a d’abord urgence à expliciter la notion de négociations « sans conditions préalables », dans le cadre de la recherche d’une solution « mutuellement acceptable ».
Par Z’hor Chérief
Les Débats, 27-2/10/2010
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