par Noureddine Khellassi
D’ABORD, QU’IL SOIT RENDU GRACE, ici, à Abdelaziz Rahabi dont la sagacité l’amène à parler de l’esprit de Tanger et de l’esprit de Marrakech qui n’ont pas toujours hanté les relations compliquées entre l’Algérie et le Maroc. C’est vrai, leurs rapports relèvent de la géopolitique, de l’histoire, de l’économie mais aussi de la psychologie, voire de la psychanalyse. Entre les deux frères ennemis, les contentieux sont lourds et sont même lestés d u p l o m b d u d o s s i e r d u S a h a r a o c c i d e n t a l, dernier problème de décolonisation pour la communauté internationale.
Cette pomme de discorde a, selon les époques et les pouvoi r s en place, empêché ou non le Maroc et l’Algérie de travailler ensemble, de manière pragmatique. En témoigne positivement la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) en 1989, à Mar rakech. Soit quatorze ans après l’irruption du conflit du Sahara occidental et t rente et un an après la Conférence maghrébine de Tanger à laquelle a pris part , au nom de l’Algérie combattante, M. Abdelhamid Mehri, que Dieu lui donne longue vie. Printemps arabe, exigence démocratique et islamisme gouvernemental obligent, Algériens et M a r o c a i n s s e m b l e n t désormais mieux savoir raison garder. Après dix-sept années de temps perdu, c’est-à-dire de crispation psychologique, de paranoïa politique aiguë et de schizophrénie tout court, ils sont revenus à de meilleurs sentiments.
Ils ont décidé d’être, une fois pour toute, un peu plus réalistes et un chouia pragmatiques. Ils se p a r l e n t désormais . I l s s o n t m ê m e p a s s é d e s déclarations d’intention aux actes. Comme quoi, même entre Marocains et Algériens, il n’y a pas d’amour diplomatique, il n’y a que des preuves d’amour politiques. Affirmation concrète en est, la visite du nouveau chef de la diplomatie marocaine, l’islamiste Saâdeddine El Othmani, à Alger.
Cette visite, il ne faut cependant pas en attendre un effet vertueux ou un résultat cathartique imméd i a t . Même s ’ i l s s o n t d o r é n a v a n t a n imé s d e s meilleures intentions de faire, les deux parties ne sont pas mues par la même philosophie. Abdelaziz R a h a b i a a l o r s r a i s o n d e s o u l i g n e r q u e l e s Algériens, c’est-à-dire les officiels qu’il connaît bien, adoptent une attitude philosophique, donc dogmatique, c’est-à-dire d’historicité, s’agissant de construction maghrébine. Ils sont encore dans l’esprit de Tanger alors que les Marocains, moins idéalistes, ont, eux, une conduite plus pragmat ique. C’es t -à-di re qu’ i l s sont dans l ’espr i t de Marrakech qui permet de déconnecter le bilatéral algéro-marocain du multilatéral maghrébin. Mais que l’on ne s’y trompe guère. Si les Algériens et les Marocains font désormais preuve de bon sens, des relations bilatérales décrispées, revitalisées, tournées vers le règlement apaisé des contentieux communs et actionnées par les intérêts économiques, ne favoriseraient pas, ipso facto, le règlem e n t d é f i n i t i f d u c o n f l i t s a h r a o u i . O n e n e s t encore loin de la coupe algéro-marocaine aux lèvres maghrébines ! Relevant d’une question de principe, les positions algérienne et marocaine sur le Sahara oc c idental sont aujourd’hui inconc iliables.
L’Algérie, évidence géopolitique, est une partie concernée par le conflit de décolonisation des territoires sahraouis annexés par le Maroc. Jamais une partie prenante au conflit même si elle a toujours soutenu, par tradition historique, les revendi cat ions indépendant i s tes légi t imes des Sahraouis. Elle accepte et revendique, avec une constance jamais démentie, une solution référendaire sous l’égide des Nations unies. Le Maroc, lui, propose une solution d’autonomie sous souveraineté ter r i tor iale et pol i t ique chér i f ienne. I l refuse, avec une farouche crispation nationaliste, t o u t r é f é r e n d um d ’ a u t o d é t e rmi n a t i o n q u i n e confirmerait pas cette pleine souveraineté. Il lui arrive même, parfois, de manière inamicale, de f a i r e e x e r c e r d e s p r e s s i o n s s u r l ’Al g é r i e , p a r F r a n c e e t E t a t s U n i s i n t e r p o s é s , p o u r f a i r e admettre ses propres thèses. Entre Marocains et Algériens, c’est en fait les premiers qui auraient le plus à perdre d’un référendum d’autodéterminat ion f inalement favorable à l ’ indépendance de Saguia El Hamra et de Rio De Oro. Entre les deux v o i s i n s , i l y a a u s s i l a q u e s t i o n d u c o n s e n s u s national et de ses déterminants. Au Maroc, la question du Sahara oc c idental es t le premier ciment de l’unité nationale. Elle fonde de ce fait le consensus national autour de la personne sacrée du roi, garant de la souveraineté territoriale du Royaume. En Algérie, si elle n’a jamais fait dissensus au sein du régime, quand bien même elle provoque des dissentiments au sein de l’opinion algér ienne à son sujet , la ques t ion du Sahara occidental n’a jamais construit le consensus politique au sein du pouvoir. Reste par ailleurs le problème des frontières terrestres fermées depuis 1994, à l’initiative de l’Algérie, mais du fait de l’attitude belliqueuse du Maroc qui a imputé fallacieusement à l’Algérie l’attentat islamiste de Marrakech. Un Maroc nerveux et impulsif, qui a imposé unilatéralement le visa aux Algériens. Attitude agressive à un moment où le pays vivait une profonde crise sécuritaire. La question des frontières n’est donc pas anecdotique. Elle détermine même la nature de la menace stratégique pour les deux pays. Pour l’Algérie, elle n’émane plus exclusivement de ses frontières occidentales.
Elle provient désormais de ses frontières orientales et méridionales en raison du terrorisme islamiste transfrontières et du désordre structurel libyen. Le Maroc, lui, affronte une menace potentielle à l’est de son territoire et, au sud, au Sahara o c c i d e n t a l où les armes sont provisoirement muettes. Ceci dit, Saadeddine El Othmani à Alger, c’est une bonne nouvelle. Réjouissante.
La Tribune d’Algérie, 24/1/2012
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