Je pense que cette visite traduit le souhait que le nouveau gouvernement marocain puisse normaliser les relations avec l’Algérie, là où ses prédécesseurs ont échoué à cause d’une attitude inamicale, parfois même belliqueuse. Le changement du gouvernement au Maroc offre, de mon point de vue, une opportunité pour aller de l’avant.
-Les islamistes marocains sont-ils, d’après vous, plus prédisposés à renouer le dialogue avec l’Algérie que le palais royal ?
Ils ont besoin d’écouter les Algériens, ils ont besoin aussi de connaître le dossier parce qu’ils n’ont pas l’expérience de l’exercice du pouvoir. Ils n’ont pas non plus d’expérience dans le traitement des dossiers diplomatiques. Je pense que la question de la réouverture de la frontière est importante pour eux en raison, notamment, des retombées économiques. Ils arrivent dans une conjoncture de crise économique où il y a moins de touristes occidentaux et moins d’investissements, notamment français et espagnols. Les besoins économiques, aussi bien des Marocains que des Tunisiens, déteignent, aujourd’hui, sur leur politique étrangère vis-à-vis de l’Algérie.
-Les motivations de cette volonté de réchauffer les relations sont donc essentiellement économiques du côté marocain…
Je pense que cette prise de contact est tout de même nécessaire pour un gouvernement qui n’a pas d’expérience dans la gestion des dossiers diplomatiques. Les islamistes ont donc besoin de comprendre.
-Comment cette visite du MAE marocain est-elle perçue à Alger, surtout qu’elle a été annoncée par la partie marocaine puis confirmée en Algérie ?
Cela est lié à la communication institutionnelle. On est toujours informé par les autres et pas seulement par les Marocains. Je pense, et c’est mon point de vue, que les Algériens vont encore adopter une attitude historiciste vis-à-vis du Maghreb. Ils sont encore dans l’esprit de la conférence de Tanger (1958). Ceci, alors que les Tunisiens et les Marocains ont une conduite plus pragmatique. Ils développent une démarche d’intégration avec l’Europe et l’Occident et une démarche commerciale avec l’Algérie. Ils savent que l’intégration doit se faire au nord, pas à l’est ni à l’ouest.
-Faudrait-il alors revoir le paradigme algérien de l’intégration maghrébine ?
Oui, elle est irréaliste et archaïque. C’est une approche liée à l’esprit de Tanger alors que celui-ci n’existe plus. Nous sommes dans un monde nouveau, où l’intégration se fait par l’économie.
-Mais les contentieux entre l’Algérie et le Maroc sont plus politiques qu’économiques…
Vous savez très bien que les Marocains sont à l’origine du blocage du processus d’intégration. Depuis 1994, le Maroc développe une approche contradictoire en faisant remarquer que le problème du Sahara occidental plombait ce processus. Or – et j’en suis témoin – l’UMA a été fondée en 1989 à Marrakech, donc elle est postérieure à la question sahraouie.
En 1989, les Marocains disaient que l’intégration maghrébine était un facteur supplémentaire et favorable pour le règlement de cette question. Aujourd’hui, en 2012, ils reviennent à l’esprit de Marrakech, à savoir que les bonnes relations entre l’Algérie et le Maroc pourraient servir de catalyseur au règlement de la question sahraouie.
-Justement, au Maroc, on semble convaincu que le principal facteur intégrateur serait la réouverture de la frontière…
Vous savez, l’Algérie est vue avant tout comme un marché.
-Quels sont ces facteurs qui bloquent cette dynamique d’intégration algéro-marocaine ?
Les Marocains ne peuvent pas prétendre normaliser les relations avec l’Algérie et, en même temps, voire simultanément, faire exercer des pressions sur l’Algérie par la France et les Etats-Unis, essentiellement sur la question des frontières et sur la question sahraouie.
-Il y a aussi ces nombreux Algériens qui ont été spoliés de leurs biens au Maroc…
Oui, et cela fait globalement du contentieux. Il faut savoir qu’il y a une convention d’établissement entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie qui a été signée en 1963. Cette convention stipule que les citoyens algériens, tunisiens et marocains qui sont établis dans l’un des trois pays sont considérés comme des nationaux. Le roi Hassan II, quand il avait marocanisé les terres, a nationalisé celles des Algériens ; or, c’est en contradiction avec la convention d’établissement qui disposait qu’il fallait les traiter comme des Marocains et non pas comme des étrangers.
-Comment tout cela va-t-il être réglé alors qu’en face, les Marocains se montrent impatients de retrouver le chemin d’Alger ?
Ils sont impatients parce que l’éventuelle réouverture de la frontière va apporter un peu d’oxygène à l’économie marocaine. Cela représenterait, selon les experts, à peu près 1% dans la croissance du Maroc. Les Tunisiens ne sont pas aussi pressés parce qu’ils font l’essentiel de leur commerce avec les Libyens.
-En tant qu’ancien ministre et diplomate, quelle solution préconisez-vous pour des relations plus apaisées entre le Maroc et l’Algérie ? L’Algérie a-t-elle plus à gagner ou à perdre dans les retrouvailles avec le Maroc ?
Pour enclencher une dynamique sérieuse et porteuse, il faut que nos amis marocains fassent preuve de bonne volonté. D’abord, une volonté politique sérieuse de régler le problème sahraoui.
-Il y a aussi l’exigence d’un mea culpa par rapport aux accusations proférées contre les services algériens lors des attentats de 1994…
Non, non ! Pour les attentats de 1994, ils avaient mis en cause l’armée algérienne puis ils se sont rendu compte que les Algériens n’avaient rien à voir avec ces attentats de Marrakech. Il faut rappeler aussi que c’est Rabat qui avait imposé le visa aux Algériens. Et quand on impose un visa pour un pays en pleine crise sécuritaire, c’est qu’on veut accentuer cette crise.
-Que peut-on attendre de cette première visite du ministre marocain des Affaires étrangères ?
Je pense que ce sont plutôt les Marocains qui attendent beaucoup de cette visite. Ce sera tout de même l’occasion de voir si le nouveau gouvernement marocain a la volonté d’assouplir sa position par rapport à la question sahraouie. Même si, on le sait très bien, ce dossier est piloté directement par le palais royal. Ceci dit, il faut se féliciter de cette visite parce que, par principe, nous devons avoir de bonnes relations avec tout le monde, tout en restant attachés aux fondamentaux de notre politique étrangère.
Hassan Moali
El Watan, 23/1/2012
Be the first to comment