Le temps des seconds couteaux

Jamais, peut-être, dans l’histoire de la République française un ministre des Affaires étrangères ne s’est autant éclaté ni n’a autant étalé sa fatuité. Alain Juppé ne se retient plus, il exulte sans retenue, sautille devant les micros dressés à la gloire qu’il croit être sienne. Il est toujours sur le pont et il est certainement le plus visible des pourfendeurs de «tyrans», après, bien sûr et à tout seigneur tout honneur, la grande Hillary Clinton dont il doit jalouser la position et qui l’écrase du poids de la puissance de ses bases. 
 
On l’avait vu qui plastronnait et qui roulait des biscoteaux contre l’armée de Kadhafi, cette redoutable machine de guerre, comme tout le monde le sait. On l’avait entendu claironner sur le «job» accompli après que l’OTAN ait pris Tripoli. On n’a pas vu la bouille qu’il a faite quand Bernard-Henri Lévy s’est rappelé à son souvenir, comme maître d’ouvrage en faisant claquer son étendard devant le CRIF. Mais on sait, au moins, qu’il ne devait pas maîtriser ses sucs gastriques, au souvenir d’avoir servi de second quand il fallut mener une opération jugée trop sérieuse pour qu’on la lui confie. On l’observe répéter sa danse guerrière contre la Syrie. Même si la bande, appelée Conseil syrien, exhibée n’a pas le même succès médiatique que l’originale libyenne. Même si, cette fois-ci, les Russes ont d’autres calculs et l’obligent à ne pas trop en faire. Même si, malheureux, il re-sert la même prophétie de «jours qui sont comptés». 
 
De temps à autre, à l’occasion, il regarde le «printemps» et distribue des bons points quand il peut. Sans se demander si quelqu’un les prend en considération et à quoi ils peuvent servir. Dernièrement, il n’a pas pu se retenir d’apprendre au monde qu’il se «réjouit» de ce qui se passe en Tunisie. Il a dit la même chose concernant le Maroc, son geste est attendu et apprécié par qui de droit. Concernant la Tunisie, il tente sa chance, il s’essaie à l’ingérence et avance à pas feutrés, sans fanfare, mais ne s’empêche pas de dissimuler son arrogance qui affleure malgré lui. Il est dommage que Rached Ghannouchi ne l’ait pas rappelé à l’ordre et ait accepté, en gardant le silence, de recevoir ce compliment condescendant : «On ne peut pas partir du principe que tout parti qui se réfère à l’islam doit être stigmatisé. Je pense que ce serait une erreur historique». Il aurait dû l’inviter à s’occuper des «lignes rouges» que ses maîtres franchissent allègrement contre les peuples, à commencer par le peuple grec qui s’est vu spolier le droit de se prononcer sur le sort que les banques lui réservent. 
 
Le sémillant ministre n’a pas reçu la cinglante réponse qu’il méritait, quand il s’est permis de prodiguer ce conseil : «Il faut … parler avec ceux qui ne franchissent pas les lignes rouges qui sont les nôtres, c’est-à-dire le respect des élections, l’Etat de droit, les droits de l’homme et les droits de la femme, naturellement». Les Tunisiens, par contre, qui ne sont pas d’accord qu’on vienne polluer leur pays d’une nauséabonde mansuétude, disent qu’ils «veulent patauger seuls dans leur démocratie».
Par Ahmed Halfaoui
Les Débats, 1/12/2011

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