Rapport de Ban Ki-Moon sur le Sahara occidental : A qui profite cette évaluation tendancieuse ?

Par Z’hor Chérief
Le dernier rapport du secrétaire général des Nations unies sur le Sahara occidental s’apparente vraisemblablement à un coup de force contre le droit du peuple sahraoui de choisir librement son destin.
Sous le numéro S/2010/175, le document de Ban Ki-Moon, daté du 6 avril 2010 et transmis pour examen au Conseil de sécurité de l’ONU, frôle la partialité. Etrangement, il met dos à dos l’occupant et le colonisé, usant d’ambiguïté pour gommer le caractère colonial de la question sahraouie, tentant de réduire à néant tout le capital sympathie gagné, notamment durant l’année 2009, par le peuple sahraoui et son représentant légitime, le Front Polisario. L’examen détaillé du document du secrétaire général fait ressortir des omissions voulues sur certaines «mesures» jugées «provocatrices et préjudiciables», qui ont été prises par les deux parties au conflit, le Maroc et le Polisario (§ 15). Ban Ki-Moon aurait dû préciser les mesures prises par le Polisario, dans le contexte des pourparlers informels, parce qu’à l’inverse du mouvement de Libération nationale sahraoui, les mesures adoptées par Rabat sont connues : répression généralisée contre la population sahraouie civile des territoires occupés, arrestations et emprisonnements, tortures et procès iniques, disparitions et expulsions. Sur un autre plan, le rapport utilise un neutralisme qui ne trompe personne, puisqu’il procède à des assimilations faites par les Marocains, les Français et leurs relais médiatiques respectifs. En effet, il aligne côte-à-côte le Front Polisario et «l’appui de l’Algérie» (§ 17), refusant d’apporter l’éclairage, qui lui incombe en sa qualité de haut responsable de l’ONU, sur le processus de décolonisation et le jeu trouble de certains membres du Conseil de sécurité, qui incitent l’occupant marocain dans la voie des hors-la-loi. De manière suggestive, le rapport de Ban Ki-Moon reproduit également les critiques marocaines à l’égard de l’Algérie et du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), sans les accompagner d’explications nécessaires. Il est en outre souligné que chacune des parties au conflit s’est «à des degrés divers» intéressée à la proposition de l’autre, avant d’aller vers la mise en avant des «positions mutuellement exclusives» du Maroc et du Polisario (§ 20). A aucum moment, le secrétaire général n’a jugé utile de rapporter les faits tels qu’ils se sont présentés ni de rappeler que c’est seulement le Front Polisario qui a vraiment coopéré sur le terrain des négociations et accepté d’inclure la proposition d’autonomie de Rabat (d’avril 2007) parmi les autres options existantes, afin d’aller vers l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Dans ce cadre, Ban Ki-Moon aurait pu préciser aussi que le Maroc a confondu la reprise des négociations avec une démarche qui lui était conquise d’avance, en rejetant la proposition sahraouie (d’avril 2007) et en s’en tenant à sa seule et unique offre (plan d’autonomie). En agissant de la sorte, le secrétaire général de l’ONU, sciemment ou inconsciemment, fait écho à une certaine stratégie favorisée par Rabat et certains de ses alliés, principalement français, qui pousse à l’imposition de la souveraineté du royaume du Maroc sur le Sahara occidental, ainsi qu’au recul plus grand de l’ONU, en matière de règlement du dossier de la dernière colonie d’Afrique.
Réduction du concept des droits de l’homme
Une des nouveautés dans le rapport de Ban Ki-Moon, c’est que celui-ci consacre une bonne partie à la situation des droits de l’homme au Sahara occidental. Non seulement il place l’agresseur et l’agressé sur le même pied d’égalité, mais il s’attache également à énoncer que les deux belligérants se sont «mutuellement» accusés de commettre des violations et se sont plaintes (§ 12 et 16). Ainsi, le document du secrétaire général ignore tous les appels et tous les écrits dénonçant les atteintes aux droits humains par les forces d’occupation marocaines, qui émanent de certains Etats, des personnalités et des juristes internationaux, de parlementaires et d’élus, d’associations, d’organisations internationales et des médias internationaux. Concernant les «plaintes» formulées par le Front Polisario, Ban Ki-Moon ne tient pas à signaler que celles-ci se basent sur des faits concrets, appuyés à l’échelle internationale. De plus, il ne parle pas des suites qui ont été réservées (ou qui seront réservées) aux correspondances du Polisario, après leur enregistrement et leur transmission au Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
Sur un autre plan, le rapport, à moins d’une erreur de traduction (de l’anglais vers le français), use abusivement du conditionnel en rapportant des faits qui se sont pourtant produits, relatives aux violations des droits de l’homme dont sont victimes les Sahraouis des territoires sous occupation marocaine (§ 60) et au cas de jeunes sahraouis arrêtés et empêchés, par Rabat, alors qu’ils allaient se rendre au Royaume-Uni, sur invitation. Il demeure surtout silencieux sur la campagne internationale de dénonciations de l’occupation marocaine et ses répercussions sur les plans des violations des droits de l’homme et du pillage des ressources naturelles du Sahara occidental. Pire, le rapport de Ban Ki-Moon s’adosse sur les informations livrées par les «autorités marocaines et (les) médias marocains», qui attestent que la question des droits humains est instrumentalisée par le Front Polisario «en vue de détourner l’attention des véritables questions au centre des négociations». Et le secrétaire général de l’ONU, qu’en pense-t-il de tout cela ? Aucune réponse ni précision ne sont données. Par contre, le rédacteur du rapport reconnaît très justement que l’ONU «ne dispose pas sur le terrain de personnel expressément chargé de veiller au respect des DH» et que la Mission onusienne pour un référendum au Sahara occidental (Minurso) n’est pas «dotée d’un mandat précis en matière de DH» (§ 59). Il soutient même que l’ONU «est consciente du devoir qui lui incombe de faire respecter les normes relatives aux DH». Seulement ces arguments sont battus en brèche plus loin. En effet, Ban Ki-Moon marque un recul, en remplaçant le «devoir» de l’ONU par son «intérêt» (§ 76) de «promouvoir le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme». Par ailleurs, au lieu de consolider la responsabilité de l’ONU dans la protection du peuple colonisé du Sahara occidental, principalement les Sahraouis exposés directement à la machine infernale de l’occupation, qui vivent dans les territoires occupés du Sahara occidental et au Maroc, le rapport presse l’ONU et l’ensemble de la communauté internationale de «veiller à ce que chacune des parties au conflit comprenne ses responsabilités.»
Urgence de purifier la sphère des «mutuellement»
La première remarque qui vient à l’esprit, en lisant le chapitre sur les observations et les recommandations, c’est que celui-ci semble déconnecté de la plupart des événements rapportés dans le rapport du secrétaire général de l’ONU et des préoccupations émises par ce dernier. Le document utilise plus de 12 fois l’expression «territoire», alors qu’il traite du territoire du Sahara occidental, qui figure dans la liste des «territoires non autonomes» des Nations unies. En plus clair : l’ONU reste toujours responsable pour mener à terme la décolonisation de l’ex-colonie espagnole. Plus grave, Ban Ki-moon néglige démesurément le but assigné aux négociations maroco-sahraouies. En effet, il recommande au Conseil de sécurité de redemander aux deux parties de «négocier de bonne foi et sans conditions préalables, sous les auspices de (son) envoyé personnel» (§ 73). Sans plus ! Plus loin, il soutient que son envoyé personnel, Christopher Ross, travaille pour «parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable du conflit au Sahara occidental» (§ 79).
C’est tout ! Dans un cas comme dans l’autre, le secrétaire général essaie d’effacer l’engagement pris, il y a quelques années, par le Conseil de sécurité de mener les négociations vers la voie prescrite par l’ONU, à savoir celle qui garantit le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, à travers un référendum conforme, particulièrement à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays coloniaux et les résolutions de la IVe Commission de décolonisation de l’ONU.
Sur un autre registre, le rapport se saisit enfin de la «dimension humaine» du conflit (§ 75). Seulement, alors que l’on s’attendait, après adoption en 2009 de la résolution 1871 (du Conseil de sécurité), à la prise en charge de cette dimension humaine dans son intégralité, incluant même la question des violations des droits humains, Ban Ki-Moon vient au secours du Maroc et la retourne contre le peuple sahraoui : il la réduit au «sort des réfugiés» sahraouis. Cette façon de faire a fait dire à certains observateurs que Ban Ki-Moon veut à la fois «enterrer définitivement le rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU (de 2006), qui accable l’occupant marocain», et «conforter le Maroc et son allié inconditionnel français, qui sont opposés à la publication dudit rapport et à l’extension du mandat de la Minurso aux questions des droits de l’homme». Mais, le lâchage des Sahraouis ne semble pas s’arrêter à ce niveau, puisque le rapport abandonne entièrement la problématique de décolonisation et reprend à son compte une idée déployée par le Maroc qui consiste à comparer les réfugiés sahraouis à des «séquestrés» : Ban Ki-Moon demande ainsi de réfléchir «sérieusement à l’idée de procéder à un recensement des réfugiés» et, plus grave, de mettre en œuvre un programme d’«entretiens individuels» (§ 75). Que devient alors le dernier recensement du HCR, destiné à préparer le retour des réfugiés sahraouis au Sahara occidental sous occupation marocaine ? On se demande même s’il s’exprime sur les réfugiés sahraouis, en parlant de «représentants des camps de Tindouf» (§ 61). Jouant toujours sur la fibre des ambiguïtés et des amalgames, le rapport du secrétaire général entretient également la confusion sur le rôle de la Minurso (§ 78), le limitant pratiquement à l’«indispensable (…) maintien du cessez-le-feu au Sahara occidental». Un rôle qui, pour rappel, est du ressort des Casques bleus. Pourtant, c’est exclusivement sur cette base qu’il exhorte «donc» le Conseil de sécurité à proroger le mandat de la Minurso, d’une année, jusqu’au 30 avril 2011. Question : si les Casques bleus ont pour mission de surveiller le cessez-le-feu instauré en septembre 1991, que doit faire la Minurso en attendant d’organiser le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui ? Cette question nous renvoie à l’année 2006 et au rapport accablant du Haut Commissariat de l’ONU des droits de l’homme sur la situation au Sahara occidental. Depuis cette époque, il était attendu que la Minurso, la seule force de paix des Nations unies ne disposant pas encore les compétences de protection de la population sahraouie des territoires sous occupation marocaine, prenne enfin en charge ce volet inquiétant. Le veto de la France en avait décidé autrement et semble avoir enfanté aujourd’hui des petits.
En conclusion, le rapport du secrétaire général renie le caractère colonial de la question sahraouie et semble adhérer, ouvertement ou sous la contrainte, aux thèses marocaines sur la «marocanité» du Sahara occidental. Rien n’est proposé en effet pour obliger le Maroc à rejoindre de nouveau les rails de la légalité internationale ou à se défaire de son attitude intransigeante et unilatéraliste.
Rien n’est suggéré pour doter la Minurso d’un mandat de protection et stopper la marche de la machine coloniale. Enfin, rien n’est avancé pour parachever le processus de décolonisation au Sahara occidental.
Mais, on ne refait pas si aisément l’histoire d’un peuple «colonial et colonisé» ; de plus, le Sahara occidental n’a jamais dépendu de la souveraineté du Maroc. A moins de viser l’effondrement de l’édifice onusien et de rechercher la guerre dans la région, il urge de purifier la sphère des «mutuellement», destinés ni plus ni moins qu’à certifier l’abandon officiel du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Repères
En septembre 2008, Ban Ki-moon annonce le remplacement prochain de son envoyé personnel, Peter Van Walsum, et informe que le 5e cycle des négociations maroco-sahraouies se tiendra en «automne» 2008.
La nomination du successeur de Van Walsum, Christopher Ross, ne devient effective qu’en janvier 2009, en raison de l’opposition marocaine. Le diplomate américain a pour mission de «parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable, laquelle devrait assurer l’autodétermination du peuple du Sahara occidental».
En novembre-décembre 2009, une grève de la faim de 32 jours est observée par la militante sahraouie des droits de l’homme, Aminatou Haidar, dans un aéroport espagnol de Lanzarote, après sa déportation par les Marocains, pour protester contre son expulsion d’El Ayoun, capitale occupée du Sahara occidental. La mobilisation est à son summum : la question sahraouie est mise sous les projecteurs de l’actualité internationale. L’action pacifique du Prix de la Fondation américaine Kennedy a aussi le mérite de mettre à nu le régime de Rabat en matière de violations des droits de l’Homme et suscite des clarifications dans la position espagnole. Une résolution est adoptée par le Parlement espagnol pour affirmer que le «statut définitif du Sahara occidental doit respecter la légalité internationale et être le résultat du libre exercice du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, à travers l’organisation d’un référendum, conformément à la Charte des Nations unies et aux résolutions du Conseil de sécurité». Le même texte plaide par ailleurs pour «l’élargissement du mandat de la Minurso à la question des droits de l’Homme au Sahara occidental».
Le discours sur «la régionalisation », prononcé par le roi Mohammed VI, le 3 janvier 2010, confirme l’échec du soi-disant «plan d’autonomie», mais vient annoncer une nouvelle stratégie, pour réoccuper le terrain perdu et recentrer le débat sur l’autonomie du Sahara occidental.
La situation des droits de l’homme au Sahara occidental inquiète Christopher Ross.
Au cours du mois de janvier 2010, ce dernier, d’après El Pais, déclare devant le Conseil de sécurité que «la question des droits de l’Homme occupera une place de choix dans le renouvellement du mandat de la Minurso, en avril prochain», que «le Conseil de sécurité va devoir s’occuper de la question et la soutenir».
En mars 2010, lors de la visite de Christopher Ross au Maghreb, le roi du Maroc, Mohammed VI, déclare au médiateur onusien, à Rabat, que l’option du référendum au Sahara occidental est «définitivement écartée».
La question des droits de l’homme au Sahara occidental figure dans le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU transmis au Conseil de sécurité, qui doit l’examiner et se prononcer, à la fin avril 2010, sur les suites à donner au dossier du Sahara occidental.
Z. C.

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