Depuis le début du conflit libyen, des accusations, sinon des reproches, ont été adressés à Alger pour son soi-disant soutien au régime de Kadhafi. Ces accusations ont porté sur un double plan, d’abord celui d’un soutien militaire et logistique, ensuite au niveau diplomatique. C’est ainsi que l’on a vu le CNT dire que des mercenaires algériens, sinon des mercenaires africains aéroportés, étaient envoyés combattre aux côtés de troupes de Kadhafi. Le même protagoniste avait évoqué des livraisons d’armes qui seraient acheminées par voie maritime en passant par un port algérien. Un porte-parole du Département d’Etat américain, sur la base d’un rapport fourni par le CNT, avait même parlé d’une enquête de ses services pour confirmer ou informer ces allégations.
Ces accusations n’étaient pas sans gravité, tant elles menaçaient de mettre Alger sous le coup de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle «déplore les flux continus de mercenaires qui arrivent en Jamahiriya arabe libyenne et appelle tous les États membres à respecter strictement les obligations mises à leur charge afin d’empêcher la fourniture de mercenaires armés à la Jamahiriya arabe libyenne».
Or, ces accusations ont été abandonnées par le CNT, qui disait avoir des preuves irréfutables, une fois que le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, en visite à Alger, devait affirmer que c’est plutôt l’Algérie qui est victime du conflit, avec les armes qui sont récupérées depuis le territoire libyen par l’Aqmi. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, devait quant à lui mettre un point final aux attaques verbales du CNT, en affirmant de passage à Alger qu’il s’agissait là de «rumeurs sans fondements». Cet épisode devait suffire à calmer le CNT et, plus encore, à démontrer que ce dernier n’a véritablement aucune indépendance et qu’il fonctionne plutôt suivant les ordres de ses «sauveurs» à qui il doit sa propre survie.
En revanche, ce qui continue d’agacer le CNT, c’est que l’Algérie refuse de sincèrement voir en lui un mouvement révolutionnaire et le représentant légitime du peuple libyen. Depuis le début, l’Algérie a œuvré plutôt pour un cessez-le-feu et l’entame de négociations entre les deux parties, tout en refusant de pencher pour l’une ou l’autre. La diplomatie algérienne a contribué au consensus régional pour la fin de la présence étrangère en Libye, connaissant les malheurs que cela a apportés en Irak et en Afghanistan qui ne sont appelés à connaître ni la démocratie, ni la stabilité de sitôt.
L’Algérie a réussi au plan africain, avec l’entente africaine pour une solution politique, contre la présence de l’Otan et contre le mandat d’arrêt sur commande du CPI, mais elle a échoué au niveau de la Ligue arabe qui ne sait plus sur quel pied danser.
Il n’est pas courant pour beaucoup de journalistes d’être d’accord avec Abdelaziz Belkhadem. Mais il a dit une chose juste et conforme à l’histoire du pays en affirmant, avril dernier, qu’il n’avait aucune envie de se porter candidat à la succession de Amr Moussa à la tête de la Ligue arabe, une organisation qui, selon lui, n’hésite pas à inviter l’intervention étrangère contre l’un de ses membres. M. Belkhadem semble avoir raison aussi dans sa réponse au chef du CNT, Mustapha Abdeldjalil, lorsqu’il lui dit que la différence entre les Algériens et ses troupes à lui, c’est que les premiers ont combattu l’Otan, alors que ses troupes se font utiliser par l’Otan contre leurs propres frères. Or, toute demande de départ de l’Otan est entrevue par le CNT comme son propre affaiblissement. C’est là une ligne de fracture irrémédiable entre l’Etat algérien et ceux qui déjà se proclament comme les nouveaux maître de la Libye.
Aujourd’hui, que Tripoli est tombée entre leurs mains, des figures du CNT libyen continuent d’accabler l’Algérie d’avoir soutenu le régime de Kadhafi et, plus loin encore, commettent l’insolence de lui demander de s’en expliquer. Ce qui n’est, en réalité, qu’une manière d’honorer l’offre de service dont ile se sont rendus coupables.
Les dirigeants du CNT ne sont-ils pas à l’origine une fracture du régime libyen ? Dès les premiers mouvements populaires de février 2011, certains ont choisi de rester fidèles au régime du dictateur Kadhafi et d’autres ont vu leur salut (et leur recyclage) dans la livraison du pays aux puissances étrangères. Le prétexte, car il en faut toujours un, ce sont les exactions de Kadhafi contre la population de Benghazi. La zone d’exclusion aérienne donc a rapidement été exploitée par l’Otan pour se mêler du conflit libyen et travailler, depuis, à la victoire d’une aile du régime libyen contre une autre.
Quant aux images de liesses populaires à Tripoli (qu’on n’a pas vraiment vues comme telles), où les récits romantiques sur un peuple qui se libère, tout cela n’est avalé que par les naïfs ou les pro-impérialistes qui croient encore que l’Otan, avec tout ce qu’il a fait en Irak et en Afghanistan, et d’autres opérations antérieures, puisse se transformer en une charmante association de bienfaisance. Or, l’Otan n’a rien fait d’autre que de piétiner, comme toujours, les résolutions de l’ONU dont elle n’avait besoin que pour s’autoriser d’intervenir et cela uniquement pour disposer du soutien de leurs opinions internes.
En fait, la résolution de l’ONU n’autorise absolument pas l’Otan, ni autre force étrangère, à faire plus que dans la protection des civils et l’aide humanitaire. L’article 4 de la résolution 1973, qu’il faut lire intégralement pour se mettre à l’abri de la désinformation ambiante, dit clairement que «les États membres qui (…) agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux (…)» doivent «prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen».
Le même article indique aussi qu’ils (les États membres concernés, c’est-à-dire les membres de l’Otan dans ce cas, ndlr) doivent « informer immédiatement le secrétaire général (de l’ONU, ndlr) des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité». Or, bien avant ce qu’on a appelé la bataille de Tripoli, l’Otan n’a eu d’autre objectif que de renverser Kadhafi. Les bombardements intensifs qui ont dépassé les limites de la zone d’exclusion se sont transformés en couvertures aériennes pour l’avancée des rebelles. Des bombardements qui, au rythme d’une attaque toutes les 36 heures, sont passés à la fréquence de trois raids quotidiens. Sans compter les raids qui ont tué des civils et sur lesquels ce CNT si patriotique ne disait rien, ne demandant ni comptes, ni enquêtes pour situer la responsabilité de l’organisation atlantiste qui, pour sa part, préférait nier les faits plutôt que de s’excuser. Ne parlons pas de la complicité du secrétaire général de l’ONU qui reçoit pourtant des rapports détaillés et qui n’a jamais jugé utile de rappeler à l’ordre les forces de l’Otan.
Le jour où elles sont arrivées à Tripoli, les troupes du CNT ont choisi de s’en prendre à l’ambassade d’un pays qui défend l’indépendance de la Libye, alors que la tradition pour les révolutionnaires est d’attaquer les ambassades des Etats impérialistes, les USA en tête. N’est-ce pas là un signe évident que le CNT n’est rien d’autre que le simple instrument de l’Otan, pire, sa cinquième colonne ?
Par Nabil Benali
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