Maroc : Royale fermeture

Quand une grande agence de presse occidentale annonce en titre et en «lead» que le Roi du Maroc a réduit ses pouvoirs, cela n’empêche pas les gens concernés, les Marocains au premier chef, d’aller lire le texte du projet de révision constitutionnelle. Ils comprendront vite que l’agence de presse en question a choisi de ruser avec le métier – ce qu’elle énonce n’est pas tout à fait faux, car s’appuyant sur quelques éléments, mais n’est pas vrai globalement – pour des raisons inutiles à chercher.

Certains y verront une fois de plus le signe de la capacité des autorités marocaines à s’assurer la bienveillance des journalistes étrangers. Mais cela ne relève au fond que du trivial. La communication ne supplée jamais durablement le réel.

Ceux qui lisent le texte de la révision constitutionnelle – les Marocains au premier chef et tous ceux qui, dans le monde arabe, surveillent les changements annoncés – constateront qu’il y a plus grave que les entorses au métier de journaliste et les dérives de la connivence. Il y a une tentative claire de ruser avec la réforme et de la vider de toute substance en jouant sur les mots.

Le fait que le régime marocain ne soit pas le seul à pratiquer ce sport très prisé par les gouvernants arabo-berbères de l’Atlantique au Golfe, n’est pas une circonstance atténuante. La tentation est en effet générale, en Algérie aussi, d’offrir des diversions – où des divertissements – à des demandes de réformes démocratiques qu’il serait vain d’essayer de circonscrire à un pays.

La vérité est que les réformes annoncées par Mohammed VI ont pour objectif de ne rien changer. Mis à part l’indéniable progrès qu’est l’officialisation de tamazigh comme langue nationale, la seule évolution est celle d’un petit plus dans les prérogatives du Premier ministre. Mais c’est un «petit plus» donné par la main gauche, qui peut être repris par la main droite.

Ces verrous sont clairement énoncés dans le projet de Constitution : le Premier ministre exerce concrètement ses nouvelles prérogatives avec l’aval préalable du Roi. On comprend aisément la déception des jeunes du Mouvement du 20 février qui ont osé la question taboue de la «sacralité» de la personne du Roi et qui veulent une monarchie parlementaire où le Roi règne mais ne gouverne pas.

Certes, il aurait été naïf de s’attendre à ce que le Roi renonce aussi facilement à ses pouvoirs et à son statut d’Amir Al-Mouminine. Mais s’ils n’attendaient pas une révolution, les Marocains espéraient une ouverture intelligente sur l’avenir, la modernité. Un cap qui permet à une société mûre de passer de l’ordre de la sujétion à celui de la citoyenneté.

Il faut bien admettre, en dépit des acclamations que le Makhzen sait parfaitement orchestrer, que cette aspiration est déçue. Le Maroc, alors que la jeunesse de son monarque aurait pu être un atout, n’est pas dans une optique d’ouverture. Le mot fermeture est plus indiqué. Le Roi n’est pas loin d’avoir sifflé la «fin de la récré» à un mouvement de jeunes que la presse du Makhzen étripe à longueur de colonnes et contre lesquels les services de sécurité ont la main de plus en plus lourde.
Au Maroc, c’est le reflux du printemps de la démocratie qui s’amorce.
Par K. Selim
Le Quotidien d’Oran, 19/06/2011

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