Le Maroc qui crève debout.
Les habitants des oasis longeant Loued Meggouna Wzighen et relevant du cercle de Kalaat Meggouna et de la province de Ouarzazate vivent en dehors du temps et du lieu.
Les passionnés de randonnées dans les montagnes de l’Atlas se réjouissent souvent de la magnificence des paysages, de la simplicité splendide souvent intrigante de la vie des habitants, surtout de l’exotisme et du charme du folklore local. Les contrastes se déclinent au profit de l’harmonie. L’ocre et le beige des terres nues et des constructions en pisé épousent la verdure pétillante et rafraîchissante des arbres, des vergers et des champs ravivés par des ruisseaux et des sources. L’occasion est offerte au visiteur pour contempler une symbiose tellement profonde entre l’homme et la nature qu’elle rappelle en quelque sorte l’ère primitive. L’espace édénique où le temps est suspendu.
Vers le sud des montagnes atlasiques, les hautes vallées représentent une étape principale avant la grande traversée du Haut Atlas au cours de laquelle, il s’agit de parcourir les chaînes dans tous les sens en vue d’atteindre les cimes majestueuses.
Les Ait Bouguemaz, Ait Imi, Ait Ayoub et autres hameaux faisant partie de la province d’Azilal et de Ouarzazate contiennent plusieurs gîtes d’étape permettant aux touristes de se préparer et de s’équiper pour escalader les grandes montagnes avant de descendre vers le fleuve de Meggouna et de faire la pénible et délicieuse marche jusqu’à Kalaat Meggouna puis Ouarzazate.
Un long fleuve sec, bordé de hauts massifs aux allures redoutables sculptés par les fortes érosions, survolé par des nuées de corbeaux coassant et rappelant les malheurs imminents et les drames à fleur du regard qui auraient eu pour lieu cet espace désert. Une sérénité inquiétante et un silence morbide marquent l’entrée dans un autre Maroc complètement déconnecté du XXIème siècle et coupé du monde. Les Aït Khouya, Ait Bahmadd, Ait Jaali, Azlay; Ait Frit, Tchklia, Zikhnat, Agouramine et toutes les autres oasis longeant Loued Meggouna Wzighen et relevant du cercle de Kalaat Meggouna et de la province de Ouarzazate vivent catégoriquement en de-hors du temps et du lieu ; ce n’est pas une hyperbole mais c’est la vérité aveuglante.
Des habitants résignés qui vaquent, avec une grande lassitude, à leurs préoccupations quotidiennes sans porter la moindre attention aux passants et aux touristes. D’ailleurs, personne ne passe par ces contrées sauf les touristes et leurs guides. La discrétion, la pudeur, la dignité affichées spontanément arrivent à peine à cacher un complexe profond de persécution issu du sentiment d’être marginalisé, rejeté délibérément par l’Etat et ses commis.
Il ne serait pas aberrant de dire que cette région est la plus enclavée et la plus oubliée du Maroc. L’injustice est flagrante, il n’y a pas de routes, aussi sommaires soient-elles, qui relient ces douars aux centres. Pour se rendre au plus proche centre administratif et commercial qui s’appelle Tabant, il faut parcourir plus de 30 kilomètres à pied ou à dos d’une monture à travers des montagnes escarpées au relief rocheux et désagrégé. Administrativement, ces douars dépendent de Kalaat Meggouna, c’est dire que pour régler n’importe quel problème administratif, ces Marocains malchanceux sont tenus de faire plus de 100km à pied, à dos de mulet ou d’âne.
Il en découle un désespoir inénarrable : les paysans ne peuvent point profiter de leur récolte, car il leur est impossible de vendre leurs produits agricoles vu l’éloignement des souks à Tabant ou à Kalaat Meggouna. De quelle qualité seraient les tomates, les pommes de terre et autres légumes transportés pendant une dizaine d’heures sur les dos de bêtes faisant des escalades et des descentes interminables? Pourquoi donc travailler et produire? Marginalisés et rejetés loin du cycle économique, ces citoyens paisibles sombrent dans une dépression aiguë due essentiellement à un arbitraire chronique. Une injustice attisée par l’augmentation «logique» des prix des produits de consommation de base. C’est ainsi que la petite bonbonne de gaz coûte 25dh, le sac de 50kg de farine est pour 240dh au lieu de 150 dh, le pain de sucre est vendu entre 15 et 20 dh au lieu de 10 dh, 2 litres d’huile de table atteignent 30dh. Ces malheureux doivent également se procurer les céréales et les transporter à dos d’animaux jusqu’aux douars, leur production céréalière est insuffisante. L’orge est indispensable aux bétails abrités du froid mortel dans les écuries plus de la moitié de l’année. Des laissés-pour-compte, qui sont obligés de s’approvisionner avant la saison des neiges pendant laquelle même les sentiers les plus rudimentaires, se bloquent. Pour les dégager, les pauvres paysans doivent compter sur eux-mêmes et sur leurs moyens dérisoires. Les prix grimpent d’une manière vertigineuse. Le bois devient une denrée rare. Les eaux de la rivière cessent de couler. La soif aux sources. Pour avoir de l’eau, il faut aller jusqu’au bout de la montagne : là où l’eau ne gèle pas à Ait Bahmad à plus d’une dizaine de kilomètres de la plupart des douars.
Des paysans vivotant au ban du Maroc.
En plus de cette gelée naturelle, les eaux limpides de ce terroir subissent une grave pollution. Oui, dans le village le plus reculé du Maroc, il y a la pollution Eh bien les touristes qui campent à Wzignin, bivouaquent au bord de la rivière de Meggouna, à l’écart des habitations, se baignent, lavent leur vaisselle et leur linge au milieu des mêmes eaux que boivent les habitants des douars. Il n’y a ni conduites ni tuyaux ni canaux pour contenir les eaux, les conserver ou les traiter. Une malédiction. Un tourisme au goût amer : une agression caractérisée perpétrée sur les gens et leurs droits les plus élémentaires.
Voici donc des Marocains lésés, exclus et dépourvus de tous les droits sauf celui du vote. Un droit qu’ils menacent incessamment d’abandonner. Un exercice stérile et sclérosé. Drôle de politique!
La mortalité des femmes et des enfants lors de l’accouchement est très élevée étant donné que le centre de santé le plus proche est à 100 kilomètres à Kalaat Meggouna. Le centre de Taghzaft, où tous les douars de Loued de Meggouna sont invités à se rendre, est le plus souvent sans médecin ni médicaments et il n’y a pas de maternité. La gale, la malnutrition et autres maladies sont nettement manifestes chez les enfants et les femmes en particulier.
L’électricité est un rêve utopique, les réseaux de télécommunication sont tout à fait absents, même les ondes de la RTM sont inexistantes. L’école est un deux-pièces réalisé par un étranger en coopération avec une ONG. Le collège est à Kalaat Meggouna, c’est à dire à cent kilomètres des douars.
Les promoteurs de l’INDH doivent procéder à une certaine mise à niveau : il y a des régions où le strict minimum des droits sociaux est absent. Il faut tendre la main d’abord à ceux qui n’ont jamais eu la chance de promouvoir leur situation.
Ces paysans vivotant au ban d’un Maroc soi-disant en voie de développement ont eu des sursauts spectaculaires : tirer un baroud d’honneur pour rappeler de temps en temps une situation insoutenable. En 2003 par exemple, ils ont décidé d’organiser une marche collective jusqu’à Rabat mais les autorités provinciales les avaient empêchés tout en leur faisant des tas de promesses non tenues malheureusement.
Un autre Maroc à panser et à penser.
Le Maroc sans tain, 28/01/2011
Be the first to comment