Démocraties alliées des dictatures

Les visionnaires arabes et européens, les médias lourds aux ordres des démocraties occidentales et des monarchies du Golfe n’ont, semble-t-il, rien vu venir de ce pays maghrébin où ils découvrent, comme par le plus grand des hasards, un peu trop tardivement, il faut le préciser, «la brutalité, les abus de pouvoir, la corruption et le népotisme du régime Ben Ali, qui a régné d’une main de fer», au su et au vu de tout le monde, durant plus de 23 ans.

Le départ de Ben Ali a permis de dévoiler au grand jour bien sûr la véritable nature du système politique en Tunisie qui vit ses derniers jours sous la pression constante des citoyens tunisiens en colère qui exigent, non pas des réformes d’un système non réformable, mais plutôt une démocratie capable de prononcer la rupture totale avec le régime déchu. 
Un système brutal avec lequel l’Occident a composé, alors que les dirigeants français et arabes, souvent par médias interposés, n’ont jamais tari d’éloges pour Ben Ali avant que l’ex-président tunisien décide, précipitamment, de faire ses valises. Pour la France, cet homme n’est plus l’«ami fidèle», le «grand président qui a modernisé» son pays et la Tunisie n’est plus la nation «moderne prospère et stable» qu’il ne fallait pas «amalgamer avec les pays du Sud». 
Ce qu’on pensait encore dans les chancelleries parisiennes du régime alors aux abois, auquel la ministre des Affaires étrangères, Michèle Marie-Alliot, avait proposé de mettre à sa disposition le «savoir-faire policier» français dans la manière de traiter la «canaille» ou les «voyous», on le pense encore de la monarchie alaouite à laquelle Madrid et Paris donne des armes pour réprimer au Sahara occidental. 
Le cas de Ben Ali, le traitement que lui ont réservé ses «amis» dans les moments difficiles, a surtout permis de mettre à nu la nature outrageusement hypocrite des gouvernements occidentaux, à leur tête celui de la France, qui entendent, à présent, accompagner la démocratie tunisienne en gestation après avoir fait du coude-à-coude avec la dictature deBen Ali, tout en continuant de tenir la main de la monarchie marocaine. Pas plus que l’élection de Ben Ali avec plus de 99% des voix, la nature du régime politique absolutiste et féodal au Maroc n’a jamais choqué, outre mesure, ni Jacques Chirac ni Nicolas Sarkozy. Tous les rois et les présidents et les impopulaires des anciennes colonies sont reçus en amis privilégiés en France.
C’est pourtant au nez du «fidèle ami» Ben Ali que Paris a fermé sa porte, sans état d’âme et sans regrets. Gouvernements, juges, banquiers et magistrats français s’emploient, à présent, à faire la lumière sur la répression sous Ben Ali et à disséquer les comptes bancaires des Trabelsi. Ce beau monde ignore volontiers, pour le moment, de jeter le moindre coup d’œil sur les origines de la fortune de la famille royale marocaine, pour une bonne part issue du trafic de drogue à grande échelle vers l’Europe.

Les démocraties européennes n’ont vu de la Tunisie que son littoral et un marché pour faire fructifier leurs capitaux, donc ni chômage, ni répression, ni corruption, ni violence, ni extermination de l’opposition démocratique. Absolument rien pendant les 23 ans de dictature sous Ali.
De la même manière elles ne voient rien de tout cela au Maroc, monarchie absolutiste où tous les pouvoirs sont aux mains du roi et les violations des droits de l’homme instituées en règle de gouvernement, pas seulement au Sahara occidental.
La France, l’Espagne jusqu’à Israël veillent sur l’image de ce pays qui, comme la Tunisie sous Ben Ali, se «démocratise, se développe, se modernise, s’ouvre sur le monde». Jusqu’au jour où… il ne faut donc pas se faire d’illusions sur le sentiment de philanthrope des Occidentaux. Comme le président tunisien, le roi du Maroc est ménagé parce qu’il s’agit de l’allié traditionnel de la France et de l’Espagne. 
Une pièce maîtresse dans l’architecture du système géostratégique de la France le long de la côte ouest africaine et un allié traditionnel, garant des intérêts de l’Occident dans la région, à plus forte raison maintenant que le régime tunisien aura vécu. Comme on l’a fait pour Ben Ali, on ferme donc volontiers les yeux sur la misère sociale dans ce pays où la corruption est logée au plus haut niveau de la hiérarchie sociale. Il ne se passe rien au Maroc. 
Dans le reste de l’Afrique du Nord, si. «Tous les régimes arabes de cette région sont hantés par le spectre de la contagion tunisienne», écrivait, ce lundi, un confrère français, qui cite dans l’ordre l’Algérie, la Libye et l’Egypte, mais jamais le Maroc où les dirigeants français – vraisemblablement lui aussi – aiment passer les fêtes de fin d’années lorsqu’ils n’ont pas une seconde résidence personnelle à Marrakech ou à Agadir.
Ces mêmes observateurs ne voient encore rien venir non plus – le verra-t-on jamais – de pareil au malaise tunisien dans ce pays où l’implosion sociale en gestation s’observe à vue d’œil. Ni corruption, ni harem, ni violations des droits de l’homme.
Il faut ainsi être vraiment frappé de cécité politique, faire preuve de mauvaise foi évidente ou faire dans le manque de sens professionnel pour ne pas observer tous ces phénomènes. Paradoxalement, ces cercles des «mal voyants politiques et médiatiques» sont les seuls à voir ces phénomènes, dont la Tunisie, il faut toujours le rappeler, n’a pas le monopole, dans certaines républiques arabes.
L’Algérie, bien sûr, arrive en tête de liste des régimes corrompus, où «le pétrole coule à flots, les caisses de l’Etat pleines à craquer alors que la misère sociale est générale». 
Ni autoroute, ni barrage, ni programme de logements, ni enveloppe de 286 milliards de dollars pour parachever ce qui est en cours depuis 2005. Editoriaux, «opinions» et commentaires se multiplient pour dénoncer «l’autoritarisme dans les pays du Maghreb, de l’Algérie, à la Tunisie, à la Libye et jusqu’à Egypte», lit-on dans la presse française, espagnole et, souvent, arabe, y compris dans les pays où la corruption est chez elle. 
Des confrères comparent volontiers les «régimes républicains dynastiques au Maghreb», d’où le Maroc a curieusement disparu de la carte, aux «dictatures en Iran, en Azerbaïdjan, en Corée du Nord ou à Cuba». «La monarchie marocaine est différente de celle qui règne en Arabie Saoudite», écrivait, lundi, un quotidien espagnol proche du gouvernement Zapatero dans un superbe effort d’objectivité.
A. Hamid

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