Par Matthew Ehret − Le 1er mars 2020 − Source Strategic Culture
Après que trente-trois soldats turcs ont été tués dans une offensive de l’armée syrienne le 27 février dans le cadre de la campagne actuelle de libération d’Idlib soutenue par la Russie, Erdogan a répondu en rejetant entièrement la faute sur la Russie et la Syrie – en évitant avec succès toute mention du fait inconfortable que la Turquie a protégé – et continue – des réseaux terroristes radicaux non seulement à Idlib, mais dans toute la Syrie pendant des années.
Pendant ce temps, les forces islamistes en Turquie, favorables au renversement d’Assad, ont tenté de jouer un jeu complexe de géopolitique pour lequel elles ne sont absolument pas qualifiées.
La Turquie impliquée jusqu’au cou
L’un des membres les plus sauvages de l’OTAN, la Turquie se préparait à l’origine à entrer dans l’Union européenne avec la promesse du contrôle régional du Moyen-Orient en tant que membre fidèle du Nouvel Ordre Mondial. Cette ambition pour un Empire ottoman ressuscité a fait d’Erdogan un ardent défenseur des changements de régime au Moyen-Orient et, comme la journaliste Eva Bartlett l’a documenté pendant des années, a entraîné la Turquie dans le rôle de fournisseur de logistique, de matériel militaire, de formation et de soutien monétaire aux divers groupes terroristes, des groupes se faisant passer pour des combattants de la liberté face au régime d’Assad.
Lorsque cette politique a failli faire en sorte que la Turquie soit rayée de la carte géopolitique régionale après avoir abattu un avion russe dans l’espace aérien syrien le 24 novembre 2015 – les allégations selon lesquelles il aurait volé dans l’espace aérien turc ont été réfutées depuis longtemps – Erdogan a commencé à changer de ton, d’abord en envoyant une lettre d’excuses à Poutine le 27 juin 2016, avec laquelle il a commencé à changer radicalement son comportement. Pour ce revirement politique, la Turquie a été remerciée par Washington avec un coup d’État à l’échelle nationale lancé par des partisans de l’étrange agent de la CIA, Fethullah Gülen, le 15 juillet 2016.
Cette lourde leçon d’humilité, genre tarte à la crème, a apporté une dose de raison à la Turquie, qui a atténué sa rhétorique de changement de régime en Syrie, ouvert des voies diplomatiques avec celle-ci et la Russie, réduit de nombreuses opérations de soutien à État islamique – en particulier son rôle en tant que principal acheteur du pétrole volé par ISIS dans les champs pétroliers syriens – et s’est installée avec un rôle plus modeste dans la région… mais pas entièrement.
Une partie des négociations d’Astana en 2017 – et plus tard des négociations Russie-Syrie-Turquie-Iran à Sotchi – ont impliqué la création par la Turquie de 12 postes d’observation militaire dans la province d’Idlib, ce qui a porté à 29 les installations militaires turques à Idlib, déjà importantes.
Ce qu’ils faisaient là-bas n’a jamais été abordé dans la presse occidentale, mais en 2017, Brett McGurk, envoyé présidentiel spécial de la Coalition mondiale contre ISIS, a déclaré lors d’un forum sur la politique au Moyen-Orient que « la province d’Idlib est le plus grand refuge d’al-Qaïda depuis le 11 septembre … » Dans un rare moment de lucidité en 2014, même le bredouillant Joe Biden a admis que la Turquie était un sponsor majeur d’État islamique. Pour cela il a été dûment réprimandé et a ensuite présenté ses excuses. Tous les signes de ce genre d’honnêteté ont depuis longtemps disparu de l’esprit de Biden, laissant Tulsi Gabbard comme la seule figure présidentielle aujourd’hui à avoir soulevé ce fait inconfortable.
En opposition aux demandes d’Ankara de suspendre l’opération anti-terroriste en cours à Idlib, allant jusqu’à menacer d’une guerre avec la Russie, les forces syro-russes ont continué à toute vitesse avec un grand succès sachant que si cette dernière zone d’insurgés est nettoyée, alors toutes les menaces terroristes résiduelles de la région peuvent être définitivement éliminées, et la reconstruction pourra commencer. Ce n’est pas un secret que cette reconstruction sera guidée dans une large mesure par un nouveau partenariat avec la Russie et la Chine dans la région, qui ont offert des milliards de dollars et une assistance technique pendant des années, apportés dans le cadre de l’initiative Belt and Road. Ce projet concerne directement l’Iran, l’Irak et la Syrie, qui seraient tous transformés par cette initiative de plusieurs milliers de milliards de dollars.
Retour à la crise actuelle
En réponse aux menaces hurlées par Ankara, le ministère russe des Affaires étrangères a répondu clairement en soulignant deux points : premièrement, la Turquie a refusé de donner suite à sa part d’engagement dans l’accord de Sotchi de 2018 sur Idlib, qui exigeait une séparation des terroristes (mauvais) et des modérés (bons), ce qu’elle n’a absolument pas fait, et deuxièmement, l’armée turque n’a fait aucun effort pour modifier l’emplacement de ses forces, ce qui est étrange étant donné qu’une opération militaire active était en cours. Quoi qu’il en soit, comme l’a déclaré Lavrov, «l’armée syrienne a certainement [le] plein droit de riposter et de réprimer les terroristes».
En réponse aux morts turcs, Ankara a invoqué l’article 4 de l’OTAN en convoquant une réunion des 29 ambassadeurs des alliés de l’OTAN qui, espérait-il, entraînerait une zone d’exclusion aérienne au-dessus d’Idlib et un soutien de la défense aérienne US avec des missiles Patriot. Pour augmenter la pression, Erdogan a même tenté de faire chanter ses alliés de l’OTAN en jouant la carte des immigrés, menaçant pour la première fois depuis quatre ans d’ouvrir sa frontière nord aux millions de réfugiés « syriens » [et beaucoup autres, NdSF] qui souhaitent se rendre en Europe par voie terrestre et maritime. Après la crise de l’immigration de 2015-2016, qui a vu des millions de réfugiés affluer en Europe, venant de nations déchirées par la guerre en Libye et en Syrie, la Turquie avait accepté de fermer sa frontière nord, ce qui a eu pour conséquence que 3,7 millions de réfugiés syriens sont concentrés dans des camps turcs où ils souffrent d’hivers froids, d’un faible niveau d’assainissement et souvent de pénurie alimentaire.
Les menaces d’Erdogan n’ont pas abouti au résultat escompté, car l’OTAN a simplement publié un message écrit de condamnation de l’offensive, mais rien de plus. À ce stade, l’analyste militaire Scott Ritter a déclaré que «à un moment où l’OTAN se concentre sur la confrontation avec la Russie dans les pays baltes, l’ouverture d’un deuxième front contre les Russes en Syrie n’est pas quelque chose que l’alliance était prête à soutenir en ce moment».
On ne sait pas comment l’Europe répondra à ce nouvel assaut de réfugiés, mais le fait est qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose pour faire reculer les forces russes et syriennes ou saboter le succès de l’opération d’Idlib à ce stade du conflit. Si les pays européens souhaitent obtenir les meilleurs résultats dans ce jeu de longue haleine, la meilleure chose qu’ils pourraient faire est d’accepter le flux d’immigrants à bras ouverts et d’ignorer les cris d’indignation d’Ankara. En donnant à la Russie et à la Syrie l’espace politique et militaire nécessaires pour éradiquer définitivement le terrorisme à Idlib, le Moyen-Orient se rapprochera beaucoup plus d’une véritable stabilisation et d’une possibilité de reconstruction complète. Cela, à son tour, créerait une dynamique positive de croissance et de stabilité qui inaugurerait le retour des réfugiés syriens vivant à l’étranger, qui participeraient fièrement à la renaissance de leur pays.
Matthew Ehret
Tags : Turquie, OTAN, Etats-Unis, terrorisme, Al Qaïda, Daech, daesh, Idelb, Syrie, Russie,
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