Le roi du Maroc et ses courtisans dans l’impasse
Les Sahraouis et le mythe du « Sahara utile » : Le roi du Maroc et ses courtisans dans l’impasse
Que s’est-il vraiment passé entre le 11 septembre et le 10 octobre 1999, dans la capitale du Sahara occidental, balayée durant un mois par un violent vent de révolte ? Un témoin sahraoui confie à des journalistes occidentaux : « Des policiers casqués ont défoncé ma porte à la hache ; ils ont emporté deux tapis et la télévision et cassé le reste du mobilier à coups de matraque. J’ai essayé de me défendre, pendant ce temps, à l’extérieur, des civils jetaient des pierres contre les fenêtres en vociférant. Ils nous exhortaient à venir nous battre en nous traitant de sales Sahraouis. »
Onze ans, presque jour pour jour, séparent cette révolte réprimée dans le sang par la police marocaine, de l’Intifada née en octobre dernier, sous les tentes du camp de Gdeim Izik, installé à une dizaine de kilomètres de Laâyoune, par plus de 12 000 Sahraouis. Onze ans durant lesquelles les familles au pouvoir à Rabat ont tenté vainement d’extirper toute revendication à caractère indépendantiste du mouvement de contestation et de riposte déployé par une population refusant énergiquement les tutelles tribales ratifiées au palais du roi. Onze ans durant lesquelles le Makhzen a « déployé » tous les moyens répressifs en sa possession dans le but de dissoudre tout indice pouvant mener à une lecture politique d’une situation de non-droit présentée comme une révolte d’affamés réclamant de meilleures conditions de vie, en dépensant un argent fou dans des campagnes de presse au goût monarchiste très prononcé.
Kalaât M’gouna : l’enfer de Sa Majesté
A propos des émeutes de 1999, Jeune Afrique affirme sur un ton royaliste que la principale revendication concerne l’amélioration de la situation de l’emploi, mais que les événements avaient vite dégénéré à la suite d’un « traquenard » fomenté par les exécuteurs de sales besognes à la solde de Driss Basri, ministre de l’Intérieur à l’époque. Selon cette publication qui considère que les émeutes de Laâyoune expriment manifestement les « jeux de l’ombre » avec lesquels le Maroc n’en a pas fini, il s’agirait d’une grossière provocation alimentée par des agents du ministère de l’Intérieur marocain ! Dans quel but ? Elle ne le dit pas, mais enfonce davantage le clou en affirmant ostentatoirement que « contrairement aux communiqués de presse outranciers du Polisario, repris par quelques journaux étrangers, ni la question de l’indépendance du territoire, ni même celle du référendum d’autodétermination n’ont été évoquées. » C’est dit avec zèle et euphorie à tel point que ça ne laisse aucun doute sur les véritables intentions des meneurs de cette propagande d’un autre temps ! Tous ceux qui ne pensent pas comme Béchir Ben Yahmed sont donc invités par cette revue dans le secret du roi à se « repentir » en évacuant toute idée d’autodétermination. « Pour la première fois, depuis 1975, est apparue au grand jour, à la lumière, sans doute, du climat de décrispation que connaît le Maroc depuis la disparition de Hassan II, la véritable fracture sociale et culturelle qui sépare les Sahraouis marocains du reste du royaume », écrit François Soudan, l’envoyé spécial de l’hebdomadaire parisien, sous le titre exhibitionniste « La vérité sur les émeutes de Laâyoune », sans donner trop de détails sur les lourdes peines, allant de dix à quinze ans, qui ont frappé plus de 27 émeutiers sahraouis. Le bagne clandestin de triste mémoire de Kalaât M’gouna où des dizaines de Sahraouis ont perdu la vie a-t-il été érigé afin de « corriger » des émeutiers révoltés par leurs misérables conditions sociales ou plutôt pour faire régner et maintenir un climat de terreur autour d’une population qui éprouve plus que de la sympathie à l’égard du Front Polisario ? Jeune Afrique refuse soigneusement de répondre à cette question en cherchant refuge derrière une déclaration du prince Moulay Hicham résumée ainsi : « La conjoncture présente ouvre la perspective d’un dialogue franc et honnête, qui peut aider à modeler notre avenir. Le règne de notre nouveau souverain va permettre d’aborder les problèmes difficiles auxquels nous faisons face et d’aucun ne relève d’une solution rapide et aisée. Le Maroc a besoin de la contribution de tous ces citoyens. » Et à Jeune Afrique de s’écrier triomphalement dans la foulée du prince : « Citoyen : le mot, tabou il y a peu, est lâché. C’est de son contenu dont les Sahraouis de Laâyoune avaient le plus besoin. » Une affirmation hallucinante !
L’intervention brutale des forces de sécurité marocaines contre une population civile désarmée, le 8 novembre dernier, est venue rappeler à tout le monde une tragique réalité que les différentes opérations de lifting social annoncées à grands coups de pub et destinées théoriquement à la population sédentaire du Sahara occidental n’arrivent guère à dissimuler : l’exploitation systématique et intensive des ressources naturelles de ce pays a atteint un tel niveau d’exacerbation qu’il est devenu impossible aux « oligarchies » régnantes de freiner la tendance fasciste du pouvoir investie du rôle de veiller sur les gros intérêts, lorsque le peuple sahraoui hausse le ton.
La violence inouïe qui a accompagné le démantèlement du camp de Gdeim Izik par les militaires marocains discrédite totalement la thèse officielle brandie par Rabat et soutenue par des publications du genre Jeune Afrique, limitant toute forme de contestation sahraouie aux revendications sociales ou, comme c’est le cas aujourd’hui, présentant ces révoltes comme une manipulation du Polisario. Le directeur du quotidien Le Matin du Sahara et du Maghreb, une publication très proche du Palais, ne déroge nullement à la règle et accuse les indépendantistes d’avoir jeté de l’huile sur le feu. «L’objectif du Polisario était de bloquer le processus onusien en provoquant des événements tragiques savamment programmés et jouant sur les droits de l’Homme. Mais ce sont les fonctionnaires marocains qui comptent leurs morts. L’une des victimes a été égorgée par des hommes cagoulés », clame t-il, selon la feuille de route qui lui a été tracée, reflétant ainsi le désarroi d’une monarchie en désespoir de cause face à la montée en puissance d’une véritable Intifada sahraouie à l’intérieur des territoires occupés. Le délégué du Front Polisario en Espagne estime, quant à lui, que l’heure est vraiment grave, en appelant la communauté internationale à intervenir en toute urgence afin d’empêcher le Maroc de mener un nettoyage ethnique à Laâyoune. « La ville est occupée par l’armée et la police marocaines », a-t-il déclaré. « Ils vont de maison en maison ; il y a des centaines de détenus, surtout des jeunes. Des dizaines de soldats traversent en moto les rues que l’on ne peut pas traverser en voiture afin de poursuivre les gens », a-t-il rappelé avant d’ajouter : « On a parlé de 19 morts, mais nous ne connaissons pas le chiffre exact, il nous est interdit d’accéder aux hôpitaux et aux fosses communes. L’intervention du Maroc signifie une rupture du cessez-le-feu de 1991. Nous n’avons jamais été aussi proches de la guerre depuis cette date. » Le représentant du Front Polisario en France abonde dans le même sens. «L’envergure de la riposte des Marocains est à la hauteur de leur déception de voir leur politique de développement économique non couronnée de succès: ils ont perdu la bataille des cœurs», estime-t-il.
Une militante des droits de l’Homme sahraouie raconte ce qui s’est passé le 8 novembre, jour de l’ouverture sous l’égide des Nations unies, de la troisième réunion informelle entre le Polisario et le Maroc : « Les gens ont peur. Il y a eu beaucoup d’arrestations dans les maisons, et des colons marocains se sont livrés à des violences avec l’appui de la police», affirme-t-elle à des journalistes occidentaux. Le bilan toujours provisoire – dans la mesure où le harcèlement des Sahraouis se poursuit – fait état de 19 morts, d’environ 1000 blessés et de plus de 150 disparus dans un contexte caractérisé par la mise à l’écart de tous les témoins potentiels, journalistes, avocats, militants des droits de l’Homme et parlementaires.
Les Sahraouis, victimes d’une extermination à huis clos
Le président sahraoui lance un appel pressant au Conseil de sécurité de l’ONU, l’exhortant à créer au sein de la Minurso une police pour protéger la population civile. Invité par le quotidien en langue arabe Echorouk, il a exprimé d’abord son grand regret de constater que la présence de la Minurso à Laâyoune n’a pas suffisamment protégé les Sahraouis. Mohamed Abdellaziz sait de quoi il parle lorsqu’il affirme que les Sahraouis sont « victimes d’une opération d’extermination à huis clos ». Tout en déclarant sans détour que l’avenir reste ouvert sur toutes les éventualités y compris la reprise de la lutte armée, il s’est longuement interrogé sur le silence des différentes parties en mesure d’influer sur le cours des évènements : «Où est la conscience arabe ? Où est la conscience maghrébine ? Où est la conscience du monde musulman ? Où est la conscience de la communauté internationale ?» La cause défendue par la majorité écrasante du peuple sahraoui bénéficie du soutien et de la solidarité de nombreux peuples de la planète, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, en Amérique Latine et en Afrique.
Des personnalités marquantes, des intellectuels de renommée mondiale, des artistes et des universitaires, des femmes et des hommes libres de tous les continents et de toutes les cultures n’ont pas hésité à se ranger du côté du droit des Sahraouis à décider de leur avenir, librement et sans aucune contrainte. Les propos de Mohamed Abdellaziz ne nient pas cette réalité, mais le cours grave pris par les évènements lui impose d’alerter particulièrement les puissances occidentales afin qu’elles pèsent de tout leur poids dans l’application du droit international. Un droit que les gros intérêts économiques et financiers ne devront plus désormais marginaliser, si l’on observe méticuleusement l’attitude américaine, par exemple.
Le 10 novembre dernier, alors que la réunion de Manhasset se terminait comme elle avait débuté, c’est-à-dire sans aucune avancée notable, Janet A. Sanderson, sous-secrétaire adjointe chargée des Affaires du Maghreb et du Golfe, recevait la délégation sahraouie et demandait à avoir tous les éléments sur la situation à Laâyoune, après la brutale intervention des soldats marocains. A ce niveau de la responsabilité, le pragmatisme est de rigueur et il est sûr que l’audience accordée aux Sahraouis par l’ancienne ambassadrice US à Alger va déboucher sur d’importantes décisions.
En France, les Verts demandent que leur pays use de toute son influence, y compris auprès du Conseil de sécurité des Nations unies pour que le Maroc mette fin d’urgence aux opérations militaires et policières qui tournent au massacre de la population civile sahraouie, que le mandat de la Minurso soit modifié pour lui permettre de faire respecter les droits humains. En Espagne, plusieurs partis politiques demandent à Zapatero d’informer le Congrès sur les agressions commises par la police marocaine contre des journalistes espagnols au Maroc et son refus d’interdire aux parlementaires et aux médias espagnols de se rendre dans les territoires sahraouis occupés.
Tout ce beau monde est-il manipulé par le Polisario et l’Algérie comme le prétendent ces associations fantoches financées par le régime marocain ? Dans un communiqué délirant, un collectif d’associations installées en Espagne ne craint pas le ridicule en demandant à la planète entière de détourner son regard du Sahara occidental et d’arrêter le « tapage médiatique » fait autour des évènements de Laâyoune. Selon ces sujets du roi, « l’instrumentalisation des derniers évènements de Laâyoune par le Polisario, l’Algérie et certains supports médiatiques espagnols a pour but de passer sous silence l’affaire du militant Mustapha Salma » ! Ce dernier a non seulement rallié la thèse de l’autonomie, le nouveau label produit par le roi du Maroc, mais tout porte à croire qu’il a fait aussi l’objet d’un retournement par les services marocains dans le but de semer le doute et l’anarchie au sein des populations de réfugiés sahraouies. Son cas constitue un problème interne au Polisario et ne concerne nullement un pays comme l’Algérie qui n’a aucunement besoin de s’abaisser à un tel niveau d’appréciation.
Les certitudes contrôlées de Jeune Afrique
Si vis-à-vis de l’Algérie, l’attitude marocaine demeure figée par un chauvinisme d’une rare virulence et qu’en conséquence, la méfiance est de mise, pourquoi cette même attitude reste plombée lorsque des Occidentaux affichent leurs opinions ? Tout le monde, de Madrid à Rome, serait-il manipulé ? Ces personnalités indépendantes, dont la rigueur n’a jamais été prise en défaut et qui appellent le gouvernement espagnol « à ne pas se contenter, une fois de plus, d’une simple explication avancée par le Maroc concernant les récents évènements de Laâyoune », ne seraient-elles en fin de compte que de vulgaires marionnettes entre les mains du Polisario ?
A croire le directeur de Jeune Afrique, tous ceux qui partagent le point de vue du Polisario ou qui sont guidés tout simplement par des motivations humanitaires en direction d’un peuple refusant la soumission manquent de lucidité et de clairvoyance. « En 1976, j’ai jugé que la position de l’Algérie sur le Sahara occidental était une erreur stratégique, pour elle, pour le Sahara et pour la région. J’ai défendu, et j’ai obligé Jeune Afrique à en faire de même, le point de vue marocain qui me paraissait juste, dans le meilleur intérêt des Sahraouis eux-mêmes. Et je le crois aujourd’hui », affirme t-il dans une longue interview publiée à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de l’hebdomadaire parisien. Il avait jugé en 1976, c’est-à-dire une année seulement après l’annexion du Sahara occidental par le Maroc, et son jugement devait, selon lui, porter l’empreinte de l’absolu. Selon Béchir Ben Yahmed, « l’indépendance du Sahara occidental est une erreur stratégique. Les Sahraouis sont très peu nombreux et vivent sur un vaste désert sans ressources importantes. Je crois qu’ils s’épanouiront mieux dans le cadre du Maroc que dans un tout petit pays privé de richesses et sous l’influence de l’Algérie ou de pays tiers. Et je sais que la moitié des Sahraouis se sentent Marocains. La plupart des gens qui ont créé le Polisario étaient des Marocains opposés à Hassan II. En fait, c’était une opposition intérieure, et leurs griefs, même fondés, étaient conjoncturels ». En un mot, il n’est pas loin d’accuser l’Algérie d’ingérence dans les affaires intérieures marocaines. Même s’il n’ose pas le dire franchement, son journal se charge de le suggérer de différentes façons sournoises et vicieuses comme cette singulière manière d’interpréter les indices statistiques, toujours en faveur des Marocains. La méthode primaire consiste à extraire des chiffres de leur contexte et à en faire une lecture biaisée faussement objective de la réalité algérienne. A titre d’exemple, même sur le plan de la stabilisation démographique, l’Algérie accuse un retard de dix ans par rapport au Maroc ! Il est naturellement inutile de demander à Jeune Afrique, dans l’état actuel des choses, de ciseler les « ficelles » qui le retiennent ou de se débarrasser des lourdes « casseroles » qu’il traîne depuis toujours. Béchir Ben Yahmed n’a-t-il pas avoué ses erreurs d’appréciation concernant l’avenir politique de Hassan II, Kadhafi et Fidel Castro ? « J’ai pris mes désirs pour des réalités », a-t-il reconnu.
Aujourd’hui encore, et au vu des évènements gravissimes qui secouent le Sahara occidental, le patron de Jeune Afrique pourrait voir ses « croyances pro-marocaines » subir le même sort que ses désirs des années 1960 et 1970. Le roi Mohammed VI et sa famille, l’une des plus grosses fortunes mondiales, ne pourront pas résister éternellement devant la volonté d’un peuple déterminé à récupérer ses richesses spoliées. Cette loi implacable devant laquelle tous les occupants avaient été obligés de faire des concessions ne dépend ni des désirs des uns ni des talents d’astrologues des autres. Le directeur de Jeune Afrique aurait été mieux inspiré en méditant sagement la décision américaine d’exclure le Sahara occidental de l’accord de libre-échange signé avec le Maroc. Ses analyses auraient sûrement été plus pertinentes et ses points de vue auraient beaucoup gagné en crédibilité. Une chose est sûre, s’il avait consulté un bon astrologue, celui-ci lui aurait certainement répondu que le mythe du « Sahara utile » ne survivra pas plus qu’il n’a vécu !
Par Mohamed Mebarki
El Djazair, n° 33
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