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  • Tunisie : à la recherche, toujours, de l’essor économique (Analyse)

    Lassaad Ben Ahmed | 27.02.2020

    Tunisia

    AA / Tunis / Anis Morai

    Si la Tunisie est parvenue à franchir des pas importants dans sa transition démocratique, amorcée depuis un certain 14 janvier 2011, son économie continue à connaitre de sérieuses difficultés.

    Certes, les indicateurs économiques reflétaient une meilleure prospérité du temps de l’ancien régime de Ben Ali, avec une moyenne de croissance annuelle du Produit Intérieur Brut de 5% sur la décennie 2000-2010.

    Toutefois, ces indicateurs dissimulaient, au fait, une économie essoufflée en raison d’un modèle de développement classique qui n’a pas su s’adapter à l’intégration de la Tunisie à l’économie mondiale et mondialisée et des changements qui en ont découlé.

    C’est, au fait, un modèle économique hérité d’un plan d’ajustement structurel décidé en 1986 avec le Fonds monétaire international (FMI), lorsque la Tunisie avait sombré dans l’une des plus graves crises économiques de son histoire.

    Ses principaux fondements reposaient sur un certain nombre d’orientations, dont le but était de transformer cette économie tunisienne, d’une économie dirigiste vers une économie libérale.

    Convertibilité partielle de la monnaie locale, (le dinar tunisien), mise à niveau des entreprises publiques en prévision de leur cession au secteur privé, limitation du rôle de l’Etat dans les services régaliens et renonciation aux monopoles économiques de l’Etat, etc.…

    Tels étaient, entre autres, les ingrédients de la recette du FMI pour transformer l’économie tunisienne, sans oublier la volonté de cette institution de Breton Woods de voire cette économie rejoindre le concert des pays membres du GATT (General agreement on tarifs and trade) puis de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).

    L’accord de libre-échange, signé en 1995 avec l’Union Européenne finira par achever les efforts des institutions internationales à intégrer l’économie tunisienne dans la mondialisation, mais pas dans une logique « WIN WIN » comme s’efforcent les chantres de la mondialisation à le crier sur tous les toits.

    Très amarrée à l’Europe avec laquelle elle fait, selon les statistiques officielles, jusqu’à 73% de ses échanges commerciaux, la Tunisie a subi les vicissitudes de son partenaire majeur, dont elle dépend, et du régime off-shore mis en place depuis 1972 qui procure à la Tunisie l’essentiel des réserves en monnaie étrangère, grâce aux exportations vers le vieux continent.

    Un régime qui permet, certes, de créer des emplois, mais ces derniers pèchent par leur précarité à l’instar du secteur du textile qui emploie, dans le cadre d’un régime de sous-traitance de commandes venues d’Europe, une main d’œuvre peu qualifiée et très bon marché.

    D’ailleurs, dans ce cadre, il faut bien souligner les efforts restés vains des deux parties à signer l’Aleca (accord de libre échange complet et approfondi), qui concerne la libéralisation des secteurs des services et de l’agriculture.

    Cet accord, s’il vient à être signé, portera le nombre des secteurs libéralisés depuis l’accord de 1995 avec l’Union européenne à trois secteurs, puisque le secteur industriel l’a déjà été depuis 1995.

    – L’économie, parent pauvre de la transition démocratique

    Malgré l’essoufflement du modèle économique en Tunisie en 2011, les décideurs politiques ne sont pas parvenus à transformer l’économie tunisienne, en raison de leur focalisation sur la transition politique et l’élaboration d’une nouvelle constitution pour la deuxième République.

    Entre temps, les revendications populaires allaient embourber le pays dans une crise économique sans précédent. Une crise nourrie, justement, par la demande sans cesse galopante d’amélioration des conditions de vie des Tunisiens, à laquelle fait face une économie léthargique et timorée qui ne crée plus de richesse pour pouvoir se les partager équitablement.

    Depuis le soulèvement de 2011, la croissance du PIB tunisien à été très molle avec un taux négatif en 2011, -1.9%, 1.1% en 2015 et 1.0% en 2019.

    Mais au-delà des revendications populaires qui suivent logiquement tout changement politique majeur dans un pays, beaucoup d’observateurs imputent les difficultés économiques à l’absence d’une stratégie, d’une vision et d’un cap clairs, pour transformer cette économie et la rendre plus performante.

    D’ailleurs, les tentatives d’apporter les modifications escomptées afin d’atteindre cet objectif, à travers un nouveau plan de développement quinquennal adopté en 2016 pour couvrir la période 2016- 2021, se sont vite soldées par un échec cuisant, en raison, notamment, de l’incapacité des pouvoirs publics à mener les transformations nécessaires.

    Nombreuses sont les explications à avancer pour faire le constat de cet échec.

    Mais celles-ci peuvent se résumer à l’absence de la volonté politique, pour ce faire, à l’importance de la rente économique aux mains de rentiers tenant en otage des pans entiers de l’économie tunisienne, à la résistance naturelle aux changements et surtout à la corruption galopante dans le pays.

    Par ailleurs, et dès 2015, la Tunisie a renoué avec le FMI pour emprunter 2.9 milliards de dollars contre des réformes économiques et sociales convenues d’un commun accord avec le FMI.

    Des réformes ayant trait au système de subvention des matières de base et des hydrocarbures. Des réformes qui dégraissent également l’effectif pléthorique de la fonction publique dont la masse salariale représente chaque année 15% du PIB tunisien qui est estimé à 40 milliards de dollars.

    Devant l’incapacité d’honorer ses engagements, la Tunisie s’est vue sanctionnée par le Fonds monétaire international qui a décidé de suspendre le versement des tranches restantes du crédit conclu, après avoir débloqué cinq tranches, exigeant une progression substantielle dans la mise en œuvre des réformes convenues. 1.2 milliard de dollars restent ainsi suspendus à la réalisation de ces réformes.

    – Indicateurs économiques au rouge

    Lorsqu’une économie carbure à bas régime, il devient évident que ses indicateurs soient au rouge. L’économie tunisienne a réalisé une croissance molle de 1.0% en 2019, ce qui laisse 14.9% de la population active tunisienne au chômage, dont 260 mille jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.

    Le PIB par tête d’habitant reste le plus faible dans la région avec 3450 dollars en 2018.

    La balance commerciale connaît, elle aussi, un déficit structurel qui s’est élevé en 2019 à 6.5 milliards de dollars, dont 40% de ce déficit proviennent de la facture énergétique, puisque la Tunisie produit 33000 barils de pétrole par jour mais en consomme trois fois plus.

    Le déficit budgétaire, bien que jugulé à 3.9% du PIB en 2019, il n’en demeure pas moins que la Tunisie doit emprunter 4.2 milliards de dollars pour boucler le budget 2020, notamment pour payer les augmentation salariales convenues entre la puissante centrale syndicale dans le pays l’union générale des travailleurs tunisiens et le Gouvernement.

    De plus, ce déficit est si important, parce que la Tunisie vit au dessus de ses moyens et le pays n’arrive pas à mettre en place une politique d’austérité budgétaire comme d’autres pays l’ont adoptée.

    En effet, la croissance du budget de l’Etat d’année en année se mesure à environ 5% pour s’établir en 2020 à 16 milliard de dollars.

    De son côté, la dette publique explose et passe de moins de 50% en 2010 à 83% du PIB en 2019, dont 70% est libellée en devise étrangère, ce qui plombe davantage le principal et l’intérêt de la dette lorsque la monnaie nationale se déprécie face à l’euro/dollar.

    D’ailleurs, la parité de change donne un euro qui se négocie à 3.1 dinars, tandis que le dollar s’échange à 2.9 dinars actuellement.

    Malgré une politique monétaire draconienne qui se traduit par l’augmentation continue du taux directeur de la banque centrale, l’inflation en Tunisie reste élevée, en dépit d’une baisse sensible constatée depuis 2018.

    Ce taux a atteint des pics de presque 8% en 2018, avant de tomber à 6.7% en 2019.

    Une inflation qui a contribué à éroder l’épargne nationale dans le pays qui est passée de 21% en 2010 à 9% en 2019.

    De son côté, la pression fiscale reste élevée, et c’est l’une des plus élevées de la région dans la mesure où elle se maintient en 2019 à 25%.

    La Tunisie est en proie à des défis économiques et sociaux très importants qui risquent de freiner le processus de transition démocratique, entamée depuis la révolution de 2011. Saura-t-elle renverser la vapeur et relever ces défis ?

    La question est toujours d’actualité.

    (Les opinions exprimées dans cette analyses appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale d’Anadolu)

    ANADOLOU

    Tags : Tunisie, économie, crise,

  • Où va l’économie de la Russie ?

    Alors que la croissance mondiale ralentit, l’économie russe prend de l’ampleur. Le nouveau gouvernement s’apprête à abandonner l’austérité. La croissance du PIB devrait s’accélérer. Mais, il y a ces incertitudes mondiales …

    Par Jon Hellevig − Le 31 janvier 2020 − Source Awara

    Jon-Hellevig-blog-120x120Il y a beaucoup à faire pour l’économie russe alors que 2020 entame son deuxième mois. Le remaniement du gouvernement russe est considéré comme levant les contraintes d’austérité et accélérant le financement des ambitieux programmes nationaux de développement de Poutine.

    Dans son discours à l’Assemblée nationale, Poutine a signalé la fin de l’austérité sur les dépenses sociales, la Russie étant le seul pays du monde développé qui augmente désormais sérieusement ses dépenses sociales – entre autres, l’augmentation des retraites du double du taux d’inflation et l’initiation de mesures massives d’aides alimentaires pour les enfants – pendant que tout les autres pays taillent dans les budgets sociaux.

    Nous nous attendons à ce que la Banque centrale doive emboîter le pas et mettre fin à son austérité financière afin de finalement réduire les taux d’intérêt réels records de la Russie, à l’échelle mondiale, et les mettre en ligne avec l’inflation en baisse rapide. Les industries manufacturières russes continueront de croître au-dessus des moyennes mondiales, grâce aux programmes nationaux de développement et grâce à la vigueur des programmes de substitution des importations qui arrivent à maturité. Avec l’ouverture de nouveaux gazoducs fin 2019 vers la Chine et la Turquie, les exportations d’énergie de la Russie resteront fortes, quoi qu’il arrive dans l’économie mondiale.

    En raison de la vigueur globale de l’économie et de la forte réduction concomitante de l’afflux de nouveaux jeunes adultes sur le marché du travail en raison des effets de la crise démographique des années 90, le marché du travail sera de plus en plus tendu, ce qui exercera une pression à la hausse sur les salaires et augmentera la consommation.

    En raison du niveau d’endettement de la Russie, de loin le plus bas de l’économie mondiale, et des finances publiques solides, le rouble devrait rester stable. En effet, celui-ci semble avoir réussi à se dissocier de la domination du dollar, car il a montré une force remarquable à travers les bouleversements financiers et les tensions mondiales de ces dernières années. Ceci, à son tour, en plus de l’affaiblissement de l’économie mondiale, devrait maintenir la pression inflationniste sous contrôle, malgré tous les éléments qui stimulent la croissance sur le front intérieur. Il est possible que les devises des marchés émergents, et le rouble avec elles, soient attaquées dans le cadre d’une hystérie potentielle sur les marchés financiers mondiaux – y compris une baisse du prix du pétrole – liée à l’épidémie de coronavirus. Malgré cela, les fondamentaux du rouble sont si solides qu’il devrait, dans ce cas, se redresser rapidement.

    La Russie devrait croître plus vite que l’Occident

    Potentiellement, tout cela pourrait se traduire par une croissance du PIB de 2 à 2,5%, voire 3% au mieux. Mais avec toutes les incertitudes mondiales, il n’y a aucune base solide pour assurer ces prévisions. De leur côté, les prévisions du FMI pour la croissance du PIB en 2020 annoncent l’économie mondiale à 3,3%, les États-Unis à 2,3% et la zone euro à 1,3%, dont l’Allemagne à 1,1%. La prévision pour la Russie est de 1,9%. Étant donné que la Russie atteindra une croissance de 1,4% en 2019 contre une prévision du FMI de 1,1%, ils sous-estiment probablement celle de 2020 également.

    Nous sommes sur une base plus ferme pour prédire que l’économie russe sera en tête du monde développé et croîtra de 1 à 2% de plus que celle de l’Europe occidentale.

    La Russie a désormais de bonnes chances d’atteindre une trajectoire de croissance de 3%, supérieure à la moyenne de la zone euro. Compte tenu également de la probabilité très réelle que l’UE – ou du moins la vieille Europe occidentale – pourrait effectivement connaître une croissance négative au cours des dix prochaines années, il est raisonnable de s’attendre à ce que dans une décennie, le PIB – en parité de pouvoir d’achat (PPA) – par habitant de la Russie atteigne le niveau moyen européen .

    Perspectives sombres pour la croissance mondiale

    En 2019, l’environnement économique mondial a été dominé par les guerres commerciales américaines contre la Chine et d’autres pays, y compris les sanctions contre la Russie. Bien qu’une sorte de trêve ait été conclue entre les États-Unis et la Chine à la fin de l’année, nous devrions nous attendre à la même situation en 2020 et ensuite. Avec le ralentissement mondial et l’incapacité définitive de l’Occident à générer une croissance réelle autre que temporaire en truquant les marchés financiers, le rôle des méthodes non marchandes – guerres commerciales, arnaques commerciales, diplomatie secrète, truquage financier – pour soutenir les économies en difficulté va indubitablement croître.

    L’autre grand danger mondial est une conséquence du truquage du marché, c’est-à-dire la dette. La grande préoccupation est de savoir combien de temps les économies occidentales pourront continuer autrement que par l’ingénierie financière et un levier d’endettement sans cesse croissant ? Il est déjà clair qu’aucun montant de dette ne semble pouvoir produire une croissance significative, alors que cette dette augmente considérablement les inégalités, au point que le tissu social se désintègre, les manifestations de masse en France n’en étant qu’un aperçu très visible. À l’heure actuelle, nous ne devons pas être loin des grosses difficultés finales : l’hyperinflation et un effondrement financier épique suivi d’un effondrement de l’économie réelle.

    Le coup le plus récent porté à l’économie mondiale provient du coronavirus originaire de Chine. Jusqu’à quel point la crise de la maladie s’aggravera, personne ne le sait, mais il y a déjà des répercussions économiques à cause des restrictions obligatoires, ou volontaires, à la mobilité des personnes et des marchandises. Il y a là le potentiel d’un impact important sur le commerce mondial.

    Le changement climatique est également une grande préoccupation. Nous ne voulons pas dire cela parce que le climat changerait plus qu’il ne l’a déjà fait pendant des milliards d’années, et pas non plus parce qu’il y aurait des preuves d’un changement climatique d’origine humaine. Ce que nous voulons dire, c’est que les politiques adaptées à l’alarme climatique semblent n’ajouter qu’une couche supplémentaire d’inefficacité économique, de taxes, de coûts, de mauvais investissements et de décisions mal orientées. C’est certainement une menace pour les économies occidentales dans un avenir proche. Cela dit, nous devons souligner que, contrairement à l’idéologie fallacieuse du changement climatique, il existe de véritables problèmes écologiques fondamentaux – la pollution, la destruction de l’environnement et la disparition de la vie organique – qui feront certainement obstacle au potentiel de valeur économique ajoutée.

    Au final, nous considérons que la position géopolitique et géo-économique de la Russie s’est renforcée au cours des dernières années, ce qui supprime certains des risques autrefois associés traditionnellement à la Russie.

    Austérité, pas d’austérité, ou une certaine austérité ? Telle est la question
    La plupart des Russes semblaient soulagés par le récent remaniement gouvernemental de Poutine, car on pensait que l’ancien Premier ministre Dmitri Medvedev ne pouvait gérer l’économie plus longtemps. Bien que la Russie ait un bilan macroéconomique remarquable, le gouvernement Medvedev était trop prudent, et trop porté à l’austérité, pour pouvoir traduire cela en une croissance économique solide tout en améliorant le niveau de vie de la population. Medvedev est tristement connu pour avoir dit en 2016 à un groupe de mamies qui se plaignaient de leurs pensions : « Il n’y a pas d’argent, mais vous vous accrochez ! »

    Cela a donc été un soulagement lorsque le nouveau Premier ministre Mikhail Mishustin a déclaré : « Il y a assez d’argent pour tout ce que le président veut accomplir ». Mishustin est l’ancien responsable, très compétent, de l’administration fiscale, alors il sait de quoi il parle. La perception des impôts a doublé en termes réels sous son mandat de dix ans, tandis que la pression fiscale sur l’économie est restée faible – dans une comparaison mondiale. La charge fiscale totale de la Russie, à 31,1%, est restée faible, surtout par rapport aux pays de l’OCDE. Un fardeau fiscal relativement faible ajoute également à la force de la Russie par rapport à la plupart des pays développés en cas de ralentissement mondial, car le pays se retrouverait avec une plus grande flexibilité budgétaire.

    La slogan «Il n’y a pas d’argent» résume parfaitement ce que représentait le gouvernement d’austérité de Medvedev. Quoi qu’il en soit, la Russie avait un triple excédent – commercial, trésorerie, budgétaire – avec des réserves de devises internationales atteignant des niveaux record et un fonds souverain solidement renforcé. Il y aurait eu amplement de la place pour une relance – avec de l’argent réel, et dans l’économie réelle, au lieu de la relance avec l’argent de la planche à billets, comme aux États-Unis et dans l’UE, gaspillé sur les marchés financiers – mais le gouvernement Medvedev avait tout verrouillé.

    Compte tenu du niveau d’endettement incroyablement bas de la Russie, elle aurait également eu largement les moyens d’emprunter afin de financer la croissance dont elle avait tant besoin. Voir ce rapport.

    En plus des prometteuses déclarations de politique du nouveau Premier ministre Mishustin, la nomination clé d’Andrey Belousov en tant que premier vice-Premier ministre – n ° 2 du cabinet – marque la fin d’une austérité inutile. Belousov a occupé, en 2012-2013, le poste de ministre du Développement économique, mais a rapidement été installé dans l’administration présidentielle en qualité de conseiller économique en chef. On dit que Belousov est davantage étatiste, il croit au rôle crucial du gouvernement dans la direction des processus économiques et il est partisan de l’augmentation des dépenses publiques et d’un plus grand rôle du gouvernement dans l’économie. Nous l’espérons. Au moins, cela mettrait un terme aux discussions sur la privatisation accrue que nous avons entendues du gouvernement Medvedev lors de son dernier soupir.

    En particulier, Belousov est considéré comme un architecte clé des projets nationaux à grande échelle, dont Poutine a ordonné la mise en œuvre. Les projets nationaux représentent un programme de dépenses de 500 milliards de dollars (2/3 financé par le gouvernement, 1/3 privé) jusqu’en 2024 dans le but de moderniser les infrastructures du pays et l’économie, de stimuler les exportations de produits manufacturés et d’améliorer le niveau de vie, la santé et les compétences de la population ainsi que le renforcement du développement démographique.

    Ces investissements entraînent une stimulation directe au fil des ans sous forme de dépenses ciblées, mais plus important encore, ils stimuleront l’économie russe par les nouvelles capacités qu’ils offriront.

    Austérité de la banque centrale

    Medvedev et son cabinet n’étaient cependant pas les pires coupables de l’austérité, car ce titre revient à la Banque centrale russe et à sa cheffe Elvira Nabiullina. Depuis la crise financière qui a suivi le cataclysme ukrainien en 2014, la Banque centrale russe a maintenu des taux d’intérêt inutilement punitifs, ce qui a étranglé l’activité économique. Après le choc initial, la Banque centrale a été très lente à réduire le taux directeur même lorsque l’inflation intérieure a ralenti pour atteindre des creux records et que les taux d’intérêt occidentaux sont devenus négatifs.

    A savoir, la Banque centrale a baissé ses taux très lentement mais beaucoup moins que le ralentissement de l’inflation. Le taux d’intérêt réel primaire (taux directeur moins inflation) est resté au niveau de 4% depuis 2014, atteignant même des niveaux de 5% par rapport à l’inflation courante en 2015 et 2016. Par inflation courante, nous entendons le taux d’inflation prévisible sur la base des derniers mois par rapport à l’inflation cumulée des 12 derniers mois.

    La Banque centrale a commis une grave erreur dans sa politique de taux d’intérêt en se guidant sur les 12 derniers mois au lieu de regarder vers l’avenir. Le pic d’inflation provoqué par le début de la crise ukrainienne et l’effondrement des prix du pétrole s’est limité à la période de septembre 2014 à mars 2015, après quoi l’inflation a été rapidement maîtrisée et a affiché un taux de progression de 5%. Mais, guidée par son rétroviseur, la Banque centrale a maintenu les taux d’intérêt astronomiques. (À propos de ce sujet, voir plus ici).

    Actuellement, l’inflation annuelle s’élève à 2,5% (à la fois le taux courant et le cumul), mais le taux directeur de la Banque centrale se situe toujours à un incroyable taux de 6,25%. C’est un intérêt réel de 3,75%, un niveau que vous maintiendriez dans une situation d’urgence, mais pas dans l’environnement économique sain de la Russie d’aujourd’hui. Nous prévoyons donc une réduction rapide d’au moins 2%. En effet, même si la Banque centrale n’a pas l’intention d’aller à l’encontre de l’insistance du président Poutine à déployer tous les efforts pour stimuler rapidement la croissance économique et le niveau de vie des citoyens, elle devra le faire. Les taux d’intérêt excessifs pèsent particulièrement sur le taux de natalité, que Poutine a récemment identifié comme l’un des plus grands défis de la Russie. Pour que les baisses de taux d’intérêt aient un effet, elles devraient être faites d’avance, avec au moins 1,5% au cours du prochain semestre.

    Nous avons souligné plus haut que nous parlons d’un taux d’intérêt réel primaire, car le taux d’intérêt réel pour les entreprises et les ménages est beaucoup plus élevé. C’est le taux d’intérêt primaire, plus les marges notoirement élevées que les banques russes facturent pour leurs prêts.

    La Banque centrale russe n’a pas réussi à créer quelque chose qui s’approche des conditions d’emprunt normales pour les petites et moyennes entreprises. Pour que cela se produise, le taux d’intérêt primaire doit être sérieusement réduit. Avec la même proportion, les taux hypothécaires des ménages devraient être ramenés des niveaux actuels de 9,5% à 6%.

    Pour être juste, la Banque centrale est également largement reconnue pour avoir finalement freiné l’inflation notoirement élevée de la Russie. Cependant, il ne faut pas non plus accorder trop de crédit à la Banque centrale pour cela. À notre avis, la contribution décisive à la baisse de l’inflation est venue des mécanismes de l’offre. Au terme de l’analyse, l’inflation est toujours et partout un problème d’offre – sauf en cas de déficit public imprudent et d’utilisation de la planche à billets. Le problème d’inflation de la Russie était principalement dû aux importations de denrées alimentaires, de machines et de biens de consommation et aux besoins correspondants de dollars (euro), la valeur domestique du rouble étant très sensibles – et toujours uniquement à la hausse – aux importations libellées en dollars et aux fluctuations du marché des changes associées à la spéculation monétaire.

    Il y avait eu une croissance rapide de l’industrie manufacturière et de l’agriculture nationales de 2000 au début de la crise en 2014, ce qui avait déjà sérieusement aidé la Russie à se sevrer des importations – nous en avons parlé dans un rapport fondateur en 2014. La frappe décisive contre le dollar (euro) est ensuite intervenue après que la Russie, en réponse aux sanctions occidentales de 2014, a interdit les importations de denrées alimentaires en provenance de ces pays. Du fait des actions de la Russie, la production et la fabrication de produits alimentaires nationaux ont encore augmenté, et les importations se sont déplacées vers des pays à moindre coût. Par ces processus économiques – et aussi par les politiques actives de dé-dollarisation du gouvernement – les offres moins chères ont augmenté et les marques occidentales plus chères ont perdu leur attrait pour le gestionnaire d’achat et le consommateur russe, ce qui a entraîné le découplage des prix intérieurs du dollar (euro). et les pressions inflationnistes ont cédé.

    Avec une croissance stimulant les taux d’intérêt, la Banque centrale aurait dû aider la croissance de l’offre à maintenir l’inflation, au lieu d’aggraver la situation.

    Le magnat milliardaire Oleg Deripaska – se joignant à un chœur croissant de critiques – a récemment critiqué durement les politiques de la Banque centrale. Il a remis en question la répression excessive de l’inflation et a appelé à une politique de taux axée sur la croissance et la lutte contre la pauvreté. En mettant fin à l’austérité financière de la Banque centrale, la Russie pourrait atteindre une croissance annuelle du PIB jusqu’au niveau de 5% selon Deripaska.

    Les taux vont baisser, mais cela sera-t-il suffisant et assez rapide, on verra. Espérons que la Banque centrale gardera son sang-froid et ne laissera pas les turbulences potentielles sur les marchés mondiaux la détourner des baisses de taux d’intérêt. Aucune augmentation significative de la pression inflationniste ne s’ensuivrait, même si le rouble se dépréciait suite à une éventuelle turbulence du marché mondial.

    Jon Hellevig

    Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

    Source : Le Saker Francophone, 31 janvier 2020

    Tags : Russie, économie, finances, crise, croissance,

  • Algérie – De la bonne volonté

    Alors que la crise politique aura bouclé son cinquième mois, les prémices d’un début de solution ne sont toujours pas visibles malgré les bonnes volontés exprimées depuis par les différents acteurs politiques.

    La difficulté à trouver un début de solution qui ferait inéluctablement baisser la tension actuelle trouve sa cause dans la forme que prennent invariablement les différentes initiatives. Celles notamment émanant du pouvoir ou celles encouragées par ce dernier.

    La sortie de Taleb Ibrahimi selon laquelle il n’acceptera pas de faire partie d’une quelconque commission de dialogue si elle n’est pas « indépendante et souveraine » vient replacer le curseur à l’endroit du véritable débat.

    Aucune proposition de solution politique ou de plate-forme de dialogue, aussi sophistiquée soit-elle, ne saurait avoir de chance de réussite sans une posture sincère.

    Cet appel au pouvoir de donner des gages réels de bonne volonté s’inscrit véritablement dans le bon sens. Celui de la recherche d’une voie qui ne souffrirait aucunement de fragilités qui pourraient lui être fatales en cours de route.

    Il reste aujourd’hui évident que la crise de confiance ne peut être dépassée par des solutions de rafistolage juste valable à gagner du temps, voire à imposer le fait accompli.

    Le refus des Algériens, qui continuent inlassablement à revendiquer le changement, d’accepter des solutions palliatives à la place de véritables ouvertures pérennes est une réalité indépassable en l’état.

    Il s’agit d’opter pour des voies durables qui garantissent un minimum de confiance. Sans cela, toute approche est vouée inéluctablement à l’échec avant même son entame.

    Les différentes initiatives en cours démontrent allègrement que les obstacles ne peuvent être levés sans une contrepartie franche. La voie la moins risquée pour l’intégrité du pays étant d’user d’un discours franc empreint de crédibilité. Sans cette bonne volonté, la crise algérienne aura encore de beaux jours devant elle.

    Source : Reportersdz, 24 jui 2019

    Tags : Algérie, transition, dialogue, Taleb Ibrahimi, crise, Hirak,

  • République Démocratique du Congo, Ituri: des crises sans précédents frappent les populations

    Aujourd’hui, l’organisation médicale internationale, Médecins Sans Frontières (MSF), réitère donc son appel

    GENEVA, Suisse, 28 juin 2019/ — Dans la province de l’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC), Médecins Sans Frontières (MSF) est témoin depuis plusieurs mois de multiples crises humanitaires qui laissent des centaines de milliers de personnes en besoin urgent d’assistance. Tout récemment, des milliers de Congolais ont été amenés à fuir face aux nouvelles violences qui frappent les territoires de Djugu, Mahagi et de l’Irumu. En dépit des appels répétés aux organisations d’aide internationale pour une plus grande mobilisation, la majorité des personnes déplacées n’a toujours pas accès aux biens et services de première nécessité. Aujourd’hui, l’organisation médicale internationale, MSF, réitère donc son appel.

    « Ce n’est malheureusement pas la première fois que les besoins humanitaires sont si importants dans le pays », explique le Dr Moussa Ousman, chef de mission MSF en RDC. « Mais une telle combinaison entre des violences provoquant des déplacements majeurs de populations, une épidémie d’Ebola et une autre de rougeole, c’est sans précédent. »

    Sur le terrain, les équipes doivent aujourd’hui répondre à plusieurs crises, devant faire face à des déplacements massifs de populations dus à la violence dans un contexte épidémique qui cumule rougeole, Ebola et taux de prévalence de paludisme extrêmement élevé. L’épidémie d’Ebola actuellement en cours ne montre aucun signe de ralentissement et la rougeole semble s’étendre dans la région.

    Les violences en Ituri sévissent depuis décembre 2017 et depuis plus de 18 mois, une grande partie de la population a besoin de manière urgente d’aide humanitaire. Depuis octobre 2018, MSF a mené trois enquêtes de mortalité dans les sites et les villages des zones de santé de Drodro, Nizi et Angumu. Toutes font état de taux de mortalité bien supérieurs aux seuils d’urgence.

    « Les enquêtes font apparaître que les gens meurent principalement de maladies évitables comme le paludisme, la rougeole ou les diarrhées », poursuit le Dr Ousman. « C’est très inquiétant. D’autant plus que pendant une épidémie d’Ebola, on n’a jamais pu jusqu’à présent mener de campagne de vaccination contre la rougeole. Cependant, avec le ministère de la Santé, nous réfléchissons à des stratégies et des moyens innovants pour mettre en œuvre des réponses adaptées. »

    MSF appuie les autorités sanitaires locales dans la dispense de soins médicaux et la réponse aux besoins indispensables à la survie de ces personnes : approvisionnement en eau potable, distribution de produits de première nécessité, douches et latrines dans les sites de Drodro, Nizi et Bunia où sont installés les personnes déplacées.

    La situation demande toutefois une mobilisation humanitaire médicale qui s’inscrive dans la durée, afin de venir en aide aux déplacés et faire face à l’épidémie de rougeole ainsi qu’au pic saisonnier de paludisme. Le nouveau pic de violence entre les communautés de juin 2019 a en outre provoqué des déplacements massifs de populations, majoritairement composées de femmes et d’enfants, augmentant ainsi considérablement les besoins.

    Face à la complexité de la situation, l’organisation médicale internationale MSF appelle à une mobilisation immédiate et consistante de l’assistance humanitaire, et qui s’inscrive dans la durée, afin non seulement d’éviter de nouvelles pertes humaines mais aussi d’offrir de meilleures conditions de vie à toutes ces personnes forcées de fuir.

    Distribué par APO Group pour Médecins sans frontières (MSF).

    Tags : RDC, République Démocratique du Congo, Ebola, crise, medecins sans frontières, épidémie,