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  • Maroc : Les rayons très argentés du « Roi soleil »

    COMMENT MOHAMMED VI S’ENRICHIT

    Les « Panama papers » ont révélé que le secrétaire particulier du roi du Maroc possédait deux sociétés offshore qui lui permettaient de gérer un hôtel particulier à Paris et un somptueux trois-mâts. En novembre 2015 déjà, le magazine américain Forbesestimait à 5 milliards de dollars la fortune du roi Mohammed VI, le double de ce qu’elle était en 2011 au début du printemps arabe. Pour les responsables de la Société nationale d’investissement (SNI), un mastodonte financier contrôlé par la famille royale, le secteur des énergies renouvelables est le nouveau trésor de guerre sur lequel le « Roi soleil » entend projeter ses rayons bien argentés.

    Le 6 février 2016, Mohammed VI inaugure en grande pompe le projet Noor 1, l’une des plus grandes centrales solaires au monde sous le soleil radieux de la ville de Ouarzazate, au sud du royaume. Grâce à ses paysages désertiques parsemés d’oasis, sur fond de cimes enneigées, cette ville berbérophone reste une destination très prisée des réalisateurs de films historiques à grand budget1. Le soleil y est présent presque toute l’année. Parmi les invités d’honneur, la ministre française de l’écologie, Ségolène Royal, pour qui le projet est « un formidable espoir pour tous les pays qui ont beaucoup d’ensoleillement et des terres désertiques ». D’une puissance de 160 mégawatts, cette centrale est la première d’un vaste parc solaire qui devrait produire d’ici 2018 plus de 500 mégawatts d’énergie photovoltaïque.

    La presse est quasi unanime : l’événement est salué tant par les médias marocains — mais faut-il s’en étonner ? — qu’étrangers, notamment français. Sous un même titre, « Le Roi soleil », le magazine marocainTelQuel et le quotidien français Libérationindiquent que le royaume devient ainsi un« leader mondial » et que de tels projets renforceront l’autonomie du royaume vis-à-vis des énergies fossiles. Depuis dix ans, le Maroc s’est en effet lancé dans un important processus visant à atteindre cet objectif, en mobilisant des fonds considérables pour la mise en place des infrastructures appropriées. Mais l’ampleur des dépenses engagées et l’importance de ces projets suscitent des interrogations sur la manière dont ils sont conduits de bout en bout, et notamment le rôle que joue la monarchie en tant qu’opérateur financier privé.

    TRÉSOR DE GUERRE

    Le 7 mars 2016, un marché public pour la construction de cinq parcs éoliens d’un montant de 12 milliards de dirhams (1,1 milliard d’euros) a été remporté par un consortium composé de Nareva Holding, Enel et Siemens. Il aura la charge de« développer, concevoir, financer, construire, exploiter et assurer la maintenance » de ces parcs éoliens situés dans cinq régions du royaume : Midelt (150 MW), Tiskrad (300 MW), Tanger (100 MV), Jbel Lahdid (200 MW) et Boujdour (100 MW).

    Filiale de la Société nationale d’investissement (SNI), le groupe financier contrôlé par le roi Mohammed VI, Nareva Holding a été créée en 2006. Elle se définit aujourd’hui comme leader dans le secteur des énergies renouvelables. Le fait que Nareva ait remporté le marché du 7 mars 2016 ne surprend plus aucun observateur économique : ce n’est pas la première fois que cette entreprise royale gagne un méga-appel d’offres portant sur le secteur des énergies renouvelables. Depuis sa création, Nareva Holding a décroché la quasi-totalité des marchés lancés par l’Office national d’électricité (ONEE). Cette information est donc passée comme une lettre à la poste alors que les enjeux financiers de tels projets, les acteurs auxquels ils sont confiés et les conditions de leur réalisation échappent à toutes les institutions incarnant la souveraineté populaire et la représentation nationale, Parlement et gouvernement notamment.

    Le premier appel d’offres remporté par le groupe royal date d’octobre 2010 : parmi quatorze autres candidats (malheureux), Nareva a pu décrocher un grand projet de parc éolien à Tarfaya, au sud, d’un montant de 450 millions d’euros. Depuis cette date, l’essentiel des marchés liés au secteur des énergies renouvelables est remporté par Nareva Holding, le dernier étant celui, précité.

    Il faut dire que depuis la création de Nareva en 2006, la conquête du marché intérieur des énergies renouvelables est un objectif à la fois constant et prioritaire pour les dirigeants de la SNI : « Notre trésor de guerre sera consacré à nos sociétés en développement dans les télécommunications et les énergies nouvelles », avait pronostiqué Hassan Bouhemou, l’ancien président de la SNI2. Présidée par Ahmed Nakkouch (ancien président de l’ONEE), Nareva — faut-il le rappeler — est également partie prenante de la future centrale à charbon géante de Safi, dans le sud-ouest du royaume.

    UN HOMME D’AFFAIRES TRÈS PARTICULIER

    La domination écrasante de Nareva Holding sur le marché des énergies pose problème par le simple fait que celui qui la contrôle, le roi, n’est pas un homme d’affaires ordinaire. Son statut et ses attributions politiques et judiciaires ne peuvent empêcher les observateurs de penser au conflit d’intérêts qu’une telle situation peut engendrer. C’est le roi qui nomme le patron de l’Agence marocaine de l’énergie solaire (Moroccan Agency for Solar Energy, Masen)3, « habilitée à mener toutes opérations industrielles, commerciales, immobilières, mobilières et financières nécessaires ou utiles à la réalisation de son objet », précise son statut.

    C’est également le roi qui nomme le directeur général de l’ONEE, l’opérateur marocain unique de fourniture d’électricité et, surtout, le lanceur exclusif des appels d’offres et des marchés. Cet important pouvoir de nomination dont dispose le roi, son statut religieux qui en fait un personnage quasi sacré et ses attributions judiciaires (il nomme les magistrats et les jugements sont prononcés en son nom, préside le conseil supérieur de la magistrature) sont-ils compatibles avec la fonction d’homme d’affaires contrôlant des groupes financiers qui postulent à des marchés de grande envergure ?

    Les règles du marché et de la concurrence loyale sont-elles respectées ? Ces interrogations continuent de susciter la controverse au Maroc à cause de la multiplicité des casquettes du monarque et ses attributions. Plus concrètement, le fait que le roi nomme les personnages clés de la Masen et de l’ONEE peut-il éviter les risques du conflit d’intérêts dans l’octroi des marchés et des appels d’offres ? Si la plupart des hommes d’affaires marocains se contentent pour l’instant de ruminer ces questionnements à voix basse dans leurs salons feutrés à Casablanca, il paraît difficile cependant, à travers tous ces éléments réunis, d’occulter le conflit d’intérêts tel qu’il est communément défini : « un conflit entre la mission d’un agent public et ses intérêts privés, conflit susceptible d’influencer la manière dont il exerce ses fonctions ». Cette situation problématique prend tout son effet dans le secteur lié aux énergies renouvelables qui semble, depuis quelques années, intéresser tout particulièrement celui que l’on surnomme désormais « le Roi soleil ».

    LA FORTUNE ET LE POUVOIR

    Le 26 décembre dernier, le palais décide de renforcer davantage son contrôle sur la Masen en écartant définitivement le gouvernement au profit du cabinet royal. Dans un communiqué publié le même jour par l’Agence de presse officielle Maghreb arabe presse (MAP), on peut ainsi lire que des « instructions royales » sont données pour que le gouvernement se dessaisisse« de l’ensemble des stratégies nationales relatives aux énergies renouvelables ». Une mise à l’écart ? Un coup d’État dans l’État ? Cette décision a été prise après une réunion aux allures kafkaïennes le 26 décembre 2015 à l’intérieur du palais à Casablanca, le nerf de l’économie marocaine. En l’absence du roi Mohammed VI, le chef du gouvernement,l’islamiste Abdelilah Benkirane et le ministre de l’énergie Abdelkader Amara sont convoqués par les conseillers du cabinet royal, dont le puissant Fouad Ali el-Himma. Au cours d’une entrevue de quelques minutes, ils informent le chef du gouvernement que son équipe n’est plus concernée par la mission de la Masen et son action, désormais du seul ressort du palais.« C’était dur et proprement humiliant pour le gouvernement et son chef. Après lecture des instructions royales devant Benkirane, celui-ci n’a rien dit », confie un député islamiste.

    Le non-cumul de la fortune et du pouvoir faisait partie des slogans du Mouvement pro-réformes du 20 février, né dans le sillage du Printemps arabe en février 2011. Mais depuis la fin des espérances que ce dernier avait suscitées au Maroc, la fortune du roi Mohammed VI a doublé : de 2 milliards d’euros en 2012, elle est passée à 4,5 milliards d’euros en 2015, selon le magazine américain Forbes. Le budget alloué chaque année par la loi de finances à la monarchie est de plus de 120 millions d’euros. Douze fois plus que celui de la monarchie espagnole. Et les « Panama papers » ont jeté une nouvelle lumière sur la fortune du souverain.

    OMAR BROUKSY

    Source : Anti-K, 5 avr 2016

    Tags : Maroc, Mohammed VI, Makhzen, fortune, monopole, enrichissement,

  • “Le Roi prédateur”: Une bonne idée mal mise en pratique

    Por: Ignacio Cembrero

    Source: Orilla Sur, 02 mars 2012

    L’idée est excellente, sa mise en pratique laisse à désirer. L’idée du livre « Le Roi prédateur » (Le Seuil), écrit par les journalistes français Catherine Graciet et Eric Laurent, est d’expliquer pourquoi Mohamed VI a doublé, selon la revue Forbes, sa fortune en cinq ans, pourquoi il s’est hissé au septième rang des monarques plus fortunés devançant les émirs du Qatar et du Koweït. ImageRoi

    Les auteurs commencent par décrire le train de vie du souverain et de ses courtisans en faisant une bonne synthèse de que ce qui a été publié ces dernières années par la presse marocaine et plus spécialement Le Journal hebdomadaire, Tel Quel, Nichane ou des sites d’information comme Lakome. C’est ce résumé que le quotidien espagnol EL PAÍS a publié, le dimanche 26 février, et qui lui a valu d’être interdit au Maroc. Pourtant, pour le lecteur marocain, il n’y avait là rien de nouveau, rien qu’il n’ait déjà pu lire dans son propre pays. L’interdiction d’EL PAÍS n’a donc aucun sens.

    Ensuite vient l’enquête pour aboutir à une conclusion : « Au Maroc, c’est le peuple qui, chaque jour que Dieu fait, enrichit le roi en achetant les produits de ses entreprises ». Le roi est, en effet, « le premier banquier, le premier assureur, le premier agriculteur » de son royaume.

    Mais l’enquête n’est pas à la hauteur. Elle est un peu bâclée. Sans doute n’est-elle guère facile à faire dans un pays ou tout ce qui touche au palais royal baigne dans l’opacité. Il n’y a même pas un porte-parole ou un directeur de communication de l’institution comme le possèdent les maisons royales européennes. Pour ceux qui ont pu approcher le roi et ses courtisans, parler après à des journalistes est un exercice risqué. Cela explique, entre autres, que très souvent les sources du livre sont anonymes.

    En quoi l’enquête n’est-elles pas à la hauteur ? Sur la forme il n’est, par exemple, guère raisonnable de donner des chiffres en euros, dollars ou livres sterling sans les convertir à une même monnaie. Sur le fond les anecdotes ou les données rapportées ne sont pas suffisamment étayées. Un exemple parmi tant d’autres : Peut-on raconter que Mohamed VI a inauguré, dans le sud du pays, un hôpital dont le matériel médical qui lui a été montré avait été loué pour l’occasion sans préciser la date, le lieu et le nom de l’établissement ? Les six questions clefs du journalisme (qui, quoi, où, quand, comment et pourquoi) n’obtiennent pas toujours des réponses dans le livre.

    Il y a cependant des chapitres qui valent bien le détour à commencer par celui intitulé « Comment on fabrique un coupable » consacré à la descente aux enfers de Khalid Oudghiri, celui qui fut le patron de la plus grande banque du pays, Attijariwafa Bank. Il osa proposer de désengager les entreprises de la famille royale de l’économie marocaine. Mal lui en prit. Trainé dans la boue et humilié il finit par être condamné par contumace à 20 ans de prison et ses biens au Maroc furent saisis. De son exil en France il a parlé aux auteurs du livre.

    Mohamed VI a érigé sa fortune, et c’est là le dernier défaut du livre, dans un Maroc qui a vécu son « printemps arabe » très spécial, ou les islamistes ont, pour la première fois, gagné les élections, en novembre dernier, et formé le gouvernement. Tout au loin des 216 pages de l’ouvrage il n’y a que quelques paragraphes, à la fin du livre, sur ce contexte politique qui aiderait pourtant à mieux comprendre l’enrichissement royal.

    Tags : Maroc, Mohammed VI, le roi prédateur, Forbes, foortune, enrichissement,

  • Maroc : fils de son père

    Mohammed VI règne maintenant depuis douze ans. Un règne marqué à la fois par la continuité et la rupture avec les trente-huit années au pouvoir de son père. Hassan II s’est employé à bâtir une monarchie suffisamment solide et respectée pour qu’elle soit maître des institutions et du jeu politique. Un absolutisme cultivé avec la même intransigeance par Mohammed VI, mais qui semble s’appliquer à des champs différents.

    L’absolutisme royal d’Hassan II était résolument politique et visait à assurer la pérennité de la monarchie marocaine. L’absolutisme de Mohammed VI s’exerce, lui, essentiellement dans le domaine de l’économie et ne s’accompagne d’aucune stratégie politique pour assurer l’avenir de la dynastie qu’il incarne. Comprendre le coup d’État économique et financier auquel s’est livré Mohammed VI suppose d’abord de bien cerner sa personnalité et les relations (conflictuelles) qu’il a entretenues avec son père. Cela implique également de pénétrer dans les coulisses de cet univers qui se dérobe à tous les regards: celui de la dynastie alaouite.

    La proximité est souvent trompeuse, car elle donne l’illusion de la compréhension. Les élites françaises, de droite comme de gauche, croient connaître cette monarchie parce qu’elle règne sur un pays situé à trois heures d’avion de Paris. Invitées régulièrement dans les palaces de Marrakech et de Fès, elles reçoivent les confidences biaisées des hommes supposés proches du roi. Pourtant, derrière les hauts murs ocre qui ceinturent les palais, ce sont les mêmes intrigues et les mêmes mystères, soigneusement cachés, qui continuent de peser, de planer, d’un roi à l’autre. Les rumeurs se propagent constamment, la vérité jamais.

    Au tout début de son règne, Mohammed VI envisagea d’ouvrir au public un certain nombre de palais. Les attentats meurtriers de Casablanca, survenus en 2003 et qui firent quarante-cinq morts, mirent un terme à ses bonnes intentions. Il se retrancha comme son père à l’intérieur de ses forteresses luxueuses, peuplées de serviteurs silencieux qui ressemblent à des ombres. C’est ainsi que Mohammed VI commença à se glisser dans les habits d’Hassan II. Quand l’on demandait à ce dernier quelle activité il aurait aimé exercer s’il n’avait pas été roi, il répondait immédiatement: « Historien.» Pour une raison évidente: dès son plus jeune âge, il fut confronté aux aléas de l’Histoire et savait mieux que quiconque que, sans coup de pouce du destin, le pouvoir lui aurait définitivement échappé.

    La France exerce sur le Maroc un protectorat depuis 1912. En 1953, exaspérée par ses positions favorables à l’indépendance, elle décide de déposer puis d’envoyer en exil le sultan Mohammed Ben Youssef, futur Mohammed V et père d’Hassan. Un épisode qui marquera à jamais ce dernier. Les autorités françaises installent à sa place un petit cousin du sultan déchu, Mohammed Ben Arafa. L’homme est trop falot pour s’imposer et, trois ans plus tard, Paris doit se résigner au retour du sultan et à l’indépendance du pays.

    Mohammed V est le vingt et unième descendant de la dynastie alaouite, au pouvoir depuis 1659, dont les membres seraient des descendants du prophète Mahomet. Mais il devient le premier roi du pays en 1957. La même année, il désigne son fils âgé de 29 ans, l’homme fort du régime, comme prince héritier. Une décision inspirée par ce dernier et son conseiller, Mehdi Ben Barka. Première entorse voulue par le futur Hassan II avec la tradition. Jusqu’alors, en effet, le souverain était choisi par les oulémas.

    Quarante ans plus tard, en veine de confidences, il déclara : « J’ai passé la plus grande partie de mon règne à essayer de réduire le nombre d’aléas qui pèsent sur la royauté.» Traduit en clair, cela signifie: « J’ai imaginé, pensé et façonné cette monarchie dans chacune de ses composantes, pour qu’elle soit durable et indiscutée.»

    Sous sa houlette, le pouvoir royal devient pouvoir absolu puisque le roi détient à la fois le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Chacune de ses décisions est sacrée. Son goût pour l’histoire le conduit à comprendre que celle-ci n’est qu’une construction subjective. Hassan II adorait Alexandre Dumas, dont il rénova, sur ses propres deniers, la propriété. L’écrivain avait écrit: « L’Histoire est un portemanteau sur lequel j’accroche mes histoires.»

    Hassan II le paraphrasant aurait pu affirmer: « L’Histoire est le portemanteau auquel j’accroche les symboles et les institutions que j’ai choisis pour légitimer et conforter mon pouvoir.» Peu après son arrivée sur le trône, il va tourner le dos à la modernité et s’employer à «retraditionnaliser» le royaume.

    En mettant ses pas, paradoxalement, dans ceux des colonisateurs français. Un intellectuel marocain, Abdallah Laroui, qui s’était pourtant rallié à Hassan II, en dresse une analyse éclairante: «Les réformes, souvent hautement symboliques, induites par la présence des étrangers furent effacées l’une après l’autre […]. L’ère de la modernisation des esprits était terminée. Archivistes et historiographes se plongèrent dans les vieux documents, poursuivant un mouvement imaginé par les nationalistes euxmêmes, mais à des fins opposées, pour ressusciter le protocole ancien, décrit en détail par maints ambassadeurs et voyageurs étrangers. Par petites touches fut reconstitué “le Maroc qui fut”, tant de fois exhibé par l’administration coloniale pour mettre en valeur son œuvre réformatrice1.»

    Source : Le Roi prédateur

    Tags : Maroc, Mohammed VI, Hassan II, dictature, despotisme, répression, enrichissement,