Étiquette : Hirak

  • Algérie : Le peuple maintient la pression

    15e vendredi de mobilisation contre le systéme

    Pour ce dernier vendredi de Ramadhan, la mobilisation était encore une fois au rendez-vous. Les Algérien ssont en effet sortis manifester en masse.

    A Alger et dans toutes les villes du pays, la mobilisation, pour le 15e vendredi consécutif, n’a pas du tout faibli, puisque ils étaient des centaines de milliers, voire même des millions, à battre le pavé pour crier haut et fort, leur inébranlable volonté de changement et pour l’avènement d’une nouvelle ère démocratique dans le pays.

    Pour ce faire, les manifestants ont une nouvelle fois envahi la rue, pour exiger le départ du système qu’il juge illégitime. Dans plusieurs wilayas dupays, les manifestants toujours aussi nombreux, ont scandé des slogans hostiles aux représentants du système. Ils ont ainsi continué à demander le départ du chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, et du Premier ministre, Nouredine Bedoui, qui représentent pour eux l’ancien régime et qui n’ont pas, par voie de conséquence, leur place dans l’Algérie nouvelle qu’ils veulent bâtir.

    A Alger, selon certaines estimations, ils étaient encore plus nombreux que vendredi passé, alors qu’un dispositif policier avait quadrillé la ville dès la matinée. Les manifestants ont rendu un vibrant hommage à Kamel Eddine Fekhar, mort mardi alors qu’il était en détention. Des minutes de silence à sa mémoire ont été organisées, un peu partout à travers le pays. Et des manifestantes ont préféré défiler avec la calotte mozabite sur la tête, en signe de solidarité.

    Et comme vendredi dernier, les manifestants ont envahi la Place des Martyrs qui devient, désormais, une place forte du mouvement populaire. Cette place a été en effet, rallié par des milliers de manifestants. Mais à la Grande Poste, quadrillé par un dispositif de sécurité afin d’empêcher les manifestants à accéder au parvis de l’édifice, aussi il y avait une foule très nombreuse, comme à son habitude. Les manifestants ont scandé différents slogans appelant au changement. Sur l’ensemble du pays, c’était presque les mêmes images de manifestants, déterminés à imposer le changement.

    Ainsi, les habitants ont manifesté contre le régime, pour dire « non à un Etat militaire, oui pour un Etat civil ».

    A Bouira, les manifestants ont simulé un procès pour Ouyahia. Et comme les précédents vendredis, une impressionnante manifestation a eu lieu à Bordj Bou Arreridj, l’une des places fortes du mouvement populaire.

    A Tlemcen, il y a une forte mobilisation des manifestants, lors de ce 15e vendredi, pour réclamer « l’instauration d’une véritable démocratie » et contre « l’entêtement du régime d’imposer la fraude électorale, pour se maintenir au pouvoir ».

    A Oran, des milliers de manifestants ont battu le pavé.

    Par : RAHIMA RAHMOUNI

    Le Midi Libre, 1 Juin 2019

    Tags : Algérie, Hirak, 15e vendredi,

  • Algérie : Place à une intelligence collective

    Place à une intelligence collective

    Les appels du premier responsable de l’institution militaire au dialogue, comme remède à la crise politique que traverse le pays, ne laissent aucune frange de la classe politique ou de la société civile indifférente. Ils visent également à rassembler toutes les bonnes volontés de ce pays pour œuvrer ensemble à une solution qui requiert la conjugaison des efforts de tous.

    En filigrane des engagements de l’institution militaire à être du côté du peuple et à protéger ses revendications, on peut également comprendre la réitération de l’invitation à tout mettre autour d’une table, en présence de toutes les parties concernées, avec la sincérité et le sérieux requis, autant comme un souci bien réel de faire face à une crise qui risque de conduire le pays vers l’inconnu, que comme une prise de conscience de possibles développements qui pourraient encore compliquer la situation en rajoutant à la crise politique une impasse constitutionnelle.

    Sans préjuger de l’avis du Conseil constitutionnel sur l’issue à réserver au scrutin du 4 juillet prochain, on peut d’ores et déjà avancer que le dispositif constitutionnel en vigueur sera en mal pour encadrer un report de cette échéance.

    De nombreux constitutionnalistes algériens défilent sur les plateaux de télévision pour tenter d’imaginer des interprétations possibles pour une continuité de la «souveraineté constitutionnelle».

    Au même moment, de nombreuses voix de la classe politique, de personnalités nationales et de la société civile se font entendre pour décliner des offres politiques susceptibles de contourner pareille situation, notamment en puisant dans les revendications des manifestants.

    Avec tout cela, les manifestations populaires continuent de se faire remarquer par leur caractère massif et calme, appuyant à chaque fois la nécessité d’un changement politique serein.

    Le dialogue devra rester la seule voie susceptible de fédérer toutes ces bonnes volontés et laisser éclore une intelligence collective, seule à même de tracer la voie de sortie de la crise que vit le pays.

    Horizons, 31 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, Hirak,

  • Algérie : SAVOIR RAISON GARDER

    » L’alchimie est particulièrement subtile. Elle consiste en une sorte de main de fer dans un gant de velours. Elle consiste, surtout, à se montrer avant tout ferme -très ferme- envers les siens, envers ses policiers, avant de se tourner vers les citoyens lambda, afin que ces derniers comprennent que nul n’est au-dessus de la loi, que les changements sont bel et bien en marche et que les oligarques et anciens très hauts responsables emprisonnés ne l’ont pas été dans le cadre de règlements de comptes entre clans sur fond de hirak populaire « .

    Par Mohamed Abdoun :

    Tout d’abord, et afin que les choses soient parfaitement claires d’entrée de jeu, il est hors de question d’encourager ici la violence, de quelque nature qu’elle soit, et quelle qu’en soit l’auteur. Dans un pays civilisé digne de ce nom, tout se règle par le dialogue. Et, même lorsque le litige devient absolument insoluble, il existe des lois et des arbitres -les juges en l’occurrence- pour trancher en connaissance de cause, sans jamais attenter aux droits des uns et des autres.

    Ce préambule pour rebondir sur l’affaire de ces deux jeunes interpellés, et inculpés de » tentative d’homicide volontaire et agression avec violence contre un agent de la forte publique « . Ma foi, au risque de me tromper, cette accusation, particulièrement grave, me parait particulièrement disproportionnée au regard des faits constatés, et que chacun pour visionner à son aise sur les réseaux sociaux.

    Le contact physique, qui ne dure pas plus d’une fraction de seconde, ne comporte en aucune manière une quelconque » agression avec violence « . En revanche, il est vrai que le policier a bel et bien été poussé du haut de ce fourgon. L’agression y est, ce me semble. Mais sans violence. Et, encore moins avec volonté de tuer ce policier, puisqu’il est question ici, dois-je le répéter encore, de » tentative d’homicide volontaire «.

    La dureté de cette inculpation a de quoi braquer un peu plus les citoyens, vis-à-vis de la justice et des pouvoirs publics alors que le but premier, à mon humble sens, est d’apaiser les esprits et de tenter de trouver une issue à la grave crise dans laquelle se débat l’Algérie depuis de nombreuses semaines. Sinon, pourquoi est-ce que ce policier n’a pas été inculpé lui aussi.

    Ma foi, en plein ramadan, il procédait, du haut de ce fourgon, à l’arrosage des citoyens-manifestants à l’aide d’une bombe aérosol distillant des gaz lacrymogènes. L’agression est formellement et dûment constatée. Ce n’est pas le seul cas, du reste. Le sentiment d’impunité dont jouiraient les services de sécurité ne peut donc qu’exacerber une opinion publique déjà chauffée à blanc, à cause de la non-satisfaction de ses revendications principales, et dont des membres sont inculpés de très lourdes charges alors qu’ils ne faisaient, en somme, que défendre les leurs de l’agression caractérisée dont ils étaient victimes de la part de ce policier.

    Hélas, la violence engendre la violence. Elle reste condamnable d’où qu’elle vienne. Elle l’est cependant deux fois plus chez celui qui a commencé. Qui a déclenché les hostilités. Le choix idoine, à mon humble sens, serait la voie de l’apaisement. Tout le monde a pu constater avec quel civisme les citoyens se comportent chaque vendredi, et qu’ils ne prennent la mouche que lorsqu’ils sont agressés et/ou provoqués.

    Des gilets oranges ont même été improvisés afin d’éviter et d’atténuer les frottements directs avec les services de sécurité, et de débusquer les provocateurs -d’Otpor et de Rachad- pouvant se glisser parmi les manifestants. L’alchimie est particulièrement subtile. Elle consiste en une sorte de main de fer dans un gant de velours. Elle consiste, surtout, à se montrer avant tout ferme -très ferme- envers les siens, envers ses policiers, avant de se tourner vers les citoyens lambda, afin que ces derniers comprennent que nul n’est au-dessus de la loi, que les changements sont bel et bien en marche et que les oligarques et anciens très hauts responsables emprisonnés ne l’ont pas été dans le cadre de règlements de comptes entre clans sur fond de hirak populaire.

    M. A.

    La Tribune des Lecteurs, 29 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, Hirak, armée, ANP, Gaid Salah,

  • Algérie : Le 15e vendredi de mobilisation

    Mouvement populaire : Le 15e vendredi de mobilisation

    10h01 : La grande poste et ses alentours sont fortement occupés par un important dispositif policier et l’on opère des arrestations parmi les premiers manifestants qui arrivent sur les lieux. Les accès vers la capitale sont bloqués par des barrages filtrant les automobilistes. Le Tunnel des facultés est pour le moment ouvert à la circulation avec une forte présence policière en prévision de sa fermeture.

    9h35 : Le quinzième vendredi de mobilisation populaire pour le départ du système intervient dans un contexte marqué par l’aboutissement de fait de la revendication portant annulation des élections présidentielles convoqués contre la volonté de la rue et au lendemain de la nouvelle offre de dialogue lancée par le chef de l’Etat major de l’armée nationale Ahmed Gaid Salah.

    Les Algériennes et les Algériens s’apprêtent à descendre dans la rue aussi au lendemain du décès tragique du détenu politique Kameleddine Fekhar après 54 jour de grève de faim pour protester contre la sa détention à la prison de Ghardaia.

    Cette question de détenus d’opinion puisque l’on a recensé pas moins de 14 suscitera sans aucun doute la réaction des manifestants de ce vendredi.

    Algérie1, 31 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, Hirak, armée, ANP, Gaid Salah,

  • Algérie: En attendant des solutions concrètes à la crise politique

    par Ghania Oukazi

      L’appel du chef d’état-major de l’ANP au dialogue et à l’organisation d’élections présidentielles devient redondance et continue de l’opposer à un «hirak» et à une classe politique qu’il s’est même refusé à qualifier en tant que tels.

    Encore une fois, le général de corps d’armée parle mais ne décide pas. Ses interventions dans les casernes deviennent des messages classiques qui n’apportent pas de solution concrète à la crise politique dans laquelle s’enlise le pays depuis trois mois. Ahmed Gaïd Salah sait qu’il est dans l’impossibilité d’organiser des élections présidentielles le 4 juillet prochain comme il l’a fait annoncer par le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, au lendemain de la démission de Bouteflika.

    Des échos des Tagarins laissent même penser à une élection présidentielle le 31 octobre ou le 7 novembre prochains et qu’il faille au préalable conformer l’esprit de la Constitution à la situation nationale «exceptionnelle». L’on sait d’ailleurs qu’une ébauche sur les mécanismes à mettre en place pour la création d’une instance chargée de l’organisation du scrutin lui a été adressée par des milieux universitaires.

    De tout cela, le chef de l’état-major de l’armée n’en fait cas dans son discours du mardi dernier à partir de la 6ème région militaire. Son refus de se prononcer sur le report d’un rendez-vous avorté doit être à ses yeux cet indice qu’il veut de taille pour montrer que l’armée se refuse à intervenir dans le champ politique.

    Devant l’opinion nationale et internationale, il tient absolument à ne pas être vu comme un putschiste qui impose au pays un régime militaire de fait. Il l’explique et l’affirme lorsqu’il souligne que «la priorité aujourd’hui est d’aller vers un dialogue productif qui prépare la voie à la tenue des prochaines élections dans les plus brefs délais possibles, loin, et je le dis, de périodes de transition aux conséquences incertaines, car l’Algérie ne peut supporter davantage de retard et de procrastination». Son allusion aux généraux putschistes de 1991 est claire. Il est certain que Gaïd Salah ne veut pas être considéré comme tel et refuse de revenir aux circonstances qui ont prévalu à l’arrêt du processus électoral de l’époque. Ses sous-entendus rappellent précisément l’intronisation du Haut Commandement de l’armée de l’époque à la tête de l’Etat à travers la présence de généraux janviéristes comme Khaled Nezzar dans le HCE (Haut Comité d’Etat.) Ce qui a plongé le pays dans une période de transition «d’exception» jusqu’en 95, date de l’élection présidentielle de Liamine Zeroual.

    Quand Gaïd prône la prudence

    C’est peut-être pour cela que le général de corps d’armée répète qu’il n’a aucune ambition politique. Ceci étant, ses affirmations ne l’éloignent pas de la scène politique dans laquelle il se trouve les pieds joints depuis le déclenchement de la crise. Mais il se veut prudent en restant dans les grands principes de sortie de crise, et ce, en s’abstenant à ce jour de fixer clairement les contours et les mécanismes du dialogue auquel il appelle et se refuse même à en désigner précisément les acteurs.

    En attendant qu’il arrête l’opportunité pour les faire préciser par le chef de l’Etat, le chef d’état-major s’est adressé de Tamanrasset à «des personnalités et aux élites nationales», aux «personnalités nationales» et aux «enfants du pays» pour leur rappeler qu’un «dialogue sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant est la seule solution à la crise». A aucun moment, le général de corps d’armée n’a interpellé nommément les partis politiques. Il est resté très vague sur les interlocuteurs ou les parties qu’il veut faire asseoir autour d’une table.

    Et bien qu’il exhorte «les enfants du pays» à «apporter la contribution judicieuse de façon à trouver les solutions escomptées», il réaffirme sa solution à lui à l’impasse politique en insistant sur «la tenue d’élections présidentielles dans les plus brefs délais». Il place ainsi le balle dans le camp de ceux qui appellent au dialogue à partir de leurs salons tout en leur faisant remarquer qu’«il n’y a aucune raison de continuer à perdre du temps, car le temps est précieux et il n’y a pas moyen de le gâcher dans des discussions stériles loin du véritable dialogue sincère et constructif». Il ne manquera pas de leur dire que «rien n’est impossible et l’Algérie attend une sortie légale et constitutionnelle qui la prémunira contre toute forme d’exacerbation de la situation». Il rejette par la force du verbe toute idée de période de transition «aux conséquences incertaines».

    La nouveauté dans son discours est peut-être cette esquisse d’un ordre du jour basé sur sa demande d’une «évaluation des circonstances que vit le pays» et surtout ces «concessions réciproques» qu’il attend de ceux qui appellent au dialogue. L’on se demande cependant de quel genre de concessions Gaïd Salah parle-t-il, mise à part celle qu’il attend de ses antagonistes de ne pas tenter de défaire le cadre constitutionnel par leur condition de faire partir le chef de l’Etat. Pour l’heure, Abdelkader Bensalah est la seule autorité constitutionnelle avec laquelle le dialogue peut être mené comme il le veut.

    «La Constitution telle qu’elle est» ?

    «Les solutions viendront dans les plus proches délais afin d’assister l’Armée Nationale Populaire dans l’accompagnement des fils de notre patrie, lorsqu’ils présenteront leurs propositions constructives comme le requiert le noble devoir national», a-t-il dit en supposant que le «hirak» aussi arriverait rapidement à désigner ses représentants pour la phase de concertation.

    Le général de corps d’armée préfère slalomer entre les diverses situations plutôt que de détailler sa feuille de route et d’affronter ses objecteurs qui veulent l’amener physiquement sur le terrain politique. Pour lui, le jeu n’en vaut pas la chandelle parce qu’il risque de précipiter sa chute. La France lui a signifié hier qu’elle gardait l’œil sur ce qui se passait «chez lui». Son ministre des Affaires étrangères qui intervenait mardi dernier devant la commission de l’assemblée nationale de l’Europe et des Affaires étrangères, a exprimé le souhait de son pays que «les Algériens puissent trouver ensemble les chemins d’une transition démocratique».

    Jean-Yves Le Drian s’est prononcé sur l’élection présidentielle en Algérie en faisant cette remarque claire : «(…) le problème c’est que pour qu’il y ait une élection, il faut qu’il y ait des candidats et, voilà, les candidats ne se manifestent pas. Il y a deux candidatures qui ont été reçues par le Conseil constitutionnel «. Le chef de la diplomatie française qualifie la situation de «très particulière où il y a des manifestations qui se poursuivent dans le pays, avec des aspirations profondes pour ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’Algérie». Il fait un clin d’œil au chef d’état-major de l’ANP en relevant «la volonté des autorités militaires de faire en sorte que la Constitution telle qu’elle est puisse s’appliquer.

    D’où la répétition de l’engagement par M. Gaïd Salah de faire en sorte que l’élection puisse avoir lieu le 4 juillet». Son «mais», c’est, a-t-il dit, «il y a deux voies parallèles, d’un côté cette affirmation, de l’autre côté le mouvement du peuple algérien» et entre les deux, «nous (la France ndlr), nous souhaitons que les Algériens puissent trouver ensemble les chemins d’une transition démocratique. C’est ce que nous espérons compte tenu des liens profonds qui nous lient à ce pays et dans ces moments nous continuons de nous tenir aux côtés des Algériens dans le respect de l’amitié qui doit présider toujours à nos relations». Ceux qui tenaient à ce que la France officielle donne «son avis» sur les événements nationaux, Le Drian l’a fait avec précision.

    Le Quotidien d’Oran, 30 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, Hirak, armée, ANP, Gaid Salah,

  • Gaïd Salah met en garde contre les ceux qui veulent exacerber la situation et faire perdurer la crise

    Le chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, a affirmé, hier, à l’occasion de sa visite à la 6e Région militaire, que «l’unique voie pour résoudre la crise que vit notre pays est d’adopter la voie du dialogue sérieux, rationnel, constructif et clairvoyant, qui place l’Algérie au-dessus de toute considération».

    Le vice ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah a prononcé un nouveau discours, aujourd’hui, mercredi 29 mai, dans lequel il révoque l’importance du dialogue honnête et constructif pour sortir l’Algérie de la crise actuelle.

    Le chef de corps d’armée a confirmé que rien ne justifie la perte de temps et l’éloignement de la voie du dialogue honnête et constructif.

    Il avait notamment mis en garde contre les desseins de certains à vouloir exacerber la situation et faire perdurer cette crise, en répandant sciemment les rumeurs, les informations erronées et les mensonges, de façon continue, à travers de nombreux médias :

    «Ceux qui tendent à exacerber la situation et faire perdurer cette crise sont ceux-là mêmes qui œuvrent sciemment à répandre continuellement les rumeurs, les informations erronées et les mensonges à travers de nombreux médias, et ils ne peuvent en aucun cas contribuer à créer un climat d’entente mutuelle propice, voire un dialogue calme et serein et cela induit que ceux qui recourent à de telles pratiques sont contre le dialogue sérieux et pondéré. Ce sont des objectifs qui ne sont nullement innocents, dont les instigateurs supporteront les conséquences devant Allah, le peuple et l’histoire. Ils empruntent délibérément cette voie, même s’il était en leur capacité d’acquérir davantage de crédibilité en mettant l’accent sur la transmission des faits réels, au lieu de s’adonner à la désinformation de l’opinion publique par des mensonges et des scénarios fabriqués de toutes pièces et erronés, qu’ils imputent à des personnalités et des centres de décision, tout cela sur la base de plans étudiés et élaborés avec une grande ruse, afin de discréditer tout acte visant l’apaisement de la population et la recherche de solutions idoines à la crise actuelle que traverse le pays, leur but évident étant d’entraver toute solution et obstruer toute bonne démarche nationale de dialogue et de concertation entre les différentes parties »,a-t-il martelé.

    Rachel Hamdi

    Echourouk Online, 30 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, Hirak, armée, ANP, Gaid Salah,

  • Algérie : Le nécessaire débat

    Trois mois, presque jour pour jour, après l’émergence sur la scène nationale d’un mouvement populaire inédit en Algérie, la situation générale du pays, demeure exceptionnellement sereine, avec une «inflation salutaire» de débats citoyens. Les craintes d’une dérive violente ou d’un passage en force des autorités sur les questions que pose la société se sont dissipées, laissant place à un échange assez intense, faut-il l’admettre, entre les acteurs qui font l’actualité de l’heure. Mais cette intensité qui retient l’intérêt de toute la communauté nationale, où la chose politique s’impose, de fait, comme la priorité des priorités, est à ce jour stérile d’une feuille de route digne de ce nom.

    Cette stérilité dans la formulation d’une solution véritablement consensuelle, n’est certainement pas le fait de l’ANP, comme le crient certains leaders politiques qui se font relayer dans les manifestations. Et pour cause, l’attitude de l’institution militaire tient compte d’abord d’un constat de terrain, à savoir que le pays est actuellement dirigé par un président intérimaire. Il y a là des signes de fragilité, dont il faut s’occuper de manière urgente. L’armée n’a pas en face d’elle un interlocuteur représentatif de la scène politique à défaut d’être celui du Hirak. Et combien même cela serait-il possible, l’ANP a pris la résolution de n’avoir comme vis-à-vis que les institutions légales de la République. Dans le cas de figure de l’Algérie de l’après 2 avril, c’est la présidence de l’Etat.

    En restant sur sa position quant à l’organisation d’une élection présidentielle, sans passer par une période de transition, l’institution militaire est donc dans son rôle, telle que préconisée par la Constitution. Son refus d’ouvrir un débat direct avec la classe politique, relève du même principe constitutionnel. Que l’on soit d’accord ou pas avec la posture de l’état-major de l’ANP, il faut impérativement en prendre connaissance et le respecter. C’est à partir de là qu’il sera possible d’entrevoir une sortie à la crise que traverse le pays. Ce n’est pas en se posant comme donneur d’ordre à une institution de l’Etat, dont les missions sont clairement formulées dans la Constitution.

    Cela, pour dire que l’infertilité du débat qui prévaut actuellement avec cette impression de «dialogue de sourds», c’est précisément parce que les politiques semblent considérer que l’armée est à leur service. Qu’ils sachent donc qu’elle ne l’est pas. Elle est au service de toute la collectivité nationale, quelle que soit son obédience et ses positions vis-à-vis de la crise. Que les politiques descendent un peu de leur piédestal qu’ils écoutent réellement ce que dit l’armée. Le dialogue n’en sera que plus intéressant.

    Par Nabil G

    Source : Ouest Tribune, 22 mai 2019

    Tags : Algérie, transition, dialogue, Hirak, débat, ANP, armée,

  • Le socle de l’Algérie nouvelle

    Le socle de l’Algérie nouvelle La course à la présidentielle du 4 juillet a jusque-là mobilisé un fort contingent de 75 candidats à la candidature dont trois issus des partis de l’Alliance nationale républicaine, du Front El Moustakbal et du Front algérien pour le développement, la liberté et l’équité.

    Cette opération de souscription, arrêtée au 19 mai, se présente sous de bons auspices, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur. Elle marque le lancement du processus électoral, soutenu par le FLN, TAJ et le MPA, acquis à la solution constitutionnelle et relevant l’engagement de l’Armée nationale populaire à accompagner la voie légale de sortie de crise et à répondre aux revendications populaires.

    Cette option a été au cœur de l’intervention du général de corps d’armée Ahmed Gaïd-Salah, vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de l’ANP, appelant, à partir d’Ouargla, à la mise en place rapide d’une commission nationale indépendante de surveillance et de contrôle des élections, garante d’un scrutin transparent, crédible et intègre.

    «La tenue de l’élection présidentielle barrera la route à tous ceux qui tentent de faire perdurer la crise», a dénoncé le chef d’état-major pointant de l’index les «têtes de la discorde», démasquées et livrées à la justice, celles qui sont impliquées dans le complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée, et les embusqués du mouvement citoyen conçu telle une opportunité pour imposer leurs agendas et leurs ambitions politiques irréalisables par la voie démocratique.

    Le devoir de vigilance et de solidarité avec l’armée est de mise non seulement pour mettre hors d’état de nuire la «bande» qui a tenté de gêner les efforts de l’ANP et de la justice engagée dans la bataille de la corruption aux nombreux dossiers «lourds, voire dangereux», et aux ramifications tentaculaires présentes dans les milieux politico-financiers, médiatiques et des institutions de l’Etat.

    Mais il s’agit également d’«empêcher les instigateurs des plans pernicieux de s’infiltrer dans ses rangs quelles que soient les conditions et les circonstances».

    Fondamentalement, l’urne est le mode d’expression universellement admis pour permettre l’exercice du libre choix du peuple. Elle reste l’alternative à une impasse délibérément entretenue par des porte-parole autoproclamés du mouvement citoyen qui souffre d’une absence criante et incompréhensible d’une représentativité digne de son statut et de son rôle avant-gardiste.

    Qui empêche donc l’émergence d’un interlocuteur valable et légitime nécessaire à l’amorce d’un dialogue constructif et ouvert à toutes les forces politiques et aux acteurs de la société civile soucieuse d’une Algérie nouvelle et des exigences du développement social et économique ?

    Le temps compte énormément pour se défaire de l’inertie et poser les jalons de l’Algérie de demain rêvée par tous.

    Horizons

    Tags : Algérie, transition, Hirak, élections, FLN, TAJ et le MPA,

  • Algérie : Pour un dialogue franc

    Ibrahimi, Ali Yahia et Benyelles en appellent à l’ANP
    Pour un dialogue franc

    Trois personnalités nationales viennent de lancer un appel pour la mise en place d’une période de transition et l’ouverture d’un dialogue sérieux. Il s’agit de l’ancien président de la LADDH, Ali Yahia Abdenour, l’ancien ministre des affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi et le général à la retraite, Rachid Benyelles.

    Les trois ont signé aujourd’hui une déclaration commune appelant les responsables de l’institution militaire à ouvrir un dialogue sérieux pour trouver une solution sérieuse à la crise actuelle.

    « Nous, signataires de la déclaration du 7 octobre 2017 ainsi que du présent appel, demandons instamment au commandement de l’ANP de nouer un dialogue franc et honnête avec des figures représentatives du mouvement citoyen, des partis et des forces politiques et sociales qui le soutiennent, afin de trouver au plus vite, une solution politique consensuelle en mesure de répondre aux aspirations populaires légitimes qui s’expriment quotidiennement depuis bientôt trois mois », lit-on dans cette déclaration rendue publique, hier.

    Les signataires de cette déclaration estiment aussi que la mise en place d’une « courte période de transition est nécessaire afin de mettre en place les mécanismes et les mesures permettant aux peuple Algérie de choisir librement et en toute démocratie leur dirigeant ».

    « Après avoir obtenu la démission forcée du président candidat moribond, les manifestants dont le nombre a atteint des sommets historiques, exigent maintenant l’instauration d’un Etat de droit et d’une véritable démocratie, en passant préalablement par une période de transition de courte durée, conduite par des hommes et des femmes n’ayant jamais appartenu au système profondément corrompu des vingt dernières années », lit-on dans ce document.

    Et d’ajouter : « Cette période est nécessaire pour mettre en place les mécanismes et dispositions permettant au peuple souverain d’exprimer librement et démocratiquement son choix à travers les urnes, un processus qui va dans le sens de l’histoire, et que rien, ni personne ne saurait arrêter ».

    Pour les signataires de cette déclaration, le maintien de la présidentielle du 4 juillet prochain « ne fera que retarder la naissance de la nouvelle République ».

    « Porteuse de graves dangers dans une situation régionale tendue, la situation de blocage à laquelle nous assistons par le maintien de la date du 4 juillet ne pourra que retarder l’avènement inéluctable d’une nouvelle République », soutient-ils, avant de s’interroger : « Comment peut-on imaginer des élections libres et honnêtes alors qu’elles sont d’ores et déjà rejetées par l’immense majorité de la population parce qu’organisées par des institutions encore aux mains de forces disqualifiées, opposées à tout changement salutaire ? ».

    Samir Rabah

    Source : L’Est Républicain, 19 mai 2019

    Tags : Algérie, Hirak, Dialogue, Ibrahimi,célections,

  • Quelques réflexions sur le soulèvement algérien

    Hamza Hamouchene*

    Ce qui se passe en Algérie est vraiment historique. Le peuple a remporté la première bataille dans sa lutte pour un changement radical du système. Dans cet entretien, Dr Hamza Hamouchene nous livre quelques réflexions sur les perspectives et horizons du mouvement populaire qui ne cesse de s’élargir.

    Entretien réalisé originalement en anglais par Omar Hassan avec Hamza Hamouchene pour la revue Redflag.

    1. La couverture médiatique des processus révolutionnaires en Algérie et au Soudan a été jusqu’ici peu couverte par la presse internationale. Pourriez-vous commencer par expliquer en quoi consistent les manifestations en Algérie ? Quels sont leurs objectifs ?

    Le mouvement de protestations de masse a commencé quelques jours à peine après l’annonce par Bouteflika de son intention de briguer un cinquième mandat à la présidence de l’Algérie. Celles-ci étaient d’abord petites et locales, puis sont devenues massives et se sont répandues au niveau national à partir du vendredi 22 février 2019. Ainsi, chaque vendredi à partir de cette date, des millions d’Algériens (certaines estimations oscillent entre 17 et 22 millions pour une population totale de 42 millions personnes). Des millions, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes de différentes classes sociales sont descendus dans la rue lors d’un soulèvement important, se réappropriant des espaces publics confisqués depuis longtemps. Ces marches historiques du vendredi ont été suivies de manifestations dans plusieurs secteurs (éducation, santé, justice, industrie pétrochimique, étudiants, syndicats, etc.), faisant de la contestation une affaire quotidienne.

    Ce qui a commencé comme un refus catégorique de la candidature d’un président octogénaire physiquement inapte s’est transformé face à l’obstination et aux stratagèmes trompeurs des élites dirigeantes en un rejet uni du système en place, avec des revendications de changement démocratique radical, de liberté et de justice. Cette révolte ou révolution est une expression fondamentale de la convergence du mécontentement populaire d’en bas avec une crise interne profonde au sein des classes dirigeantes. Fondamentalement, ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner de la manière ancienne et ceux d’en bas ne peuvent plus les supporter. C’est aussi l’expression de décennies de profonde souffrance, de colère et de rejet de l’autoritarisme répressif, de la suppression des libertés, de l’exclusion économique et sociale, de la corruption endémique et du népotisme, de l’accumulation parasitaire et de la paupérisation, de la croissance des inégalités sociales et du développement inégal, ainsi que des horizons fermés pour les jeunes chômeurs qui risquent encore leur vie pour atteindre les rives nord de la Méditerranée afin d’échapper au désespoir et à l’humiliation d’être marginalisés et relégués au rang de « Hittiste », ces chômeurs qui ont cessé d’être des acteurs de l’Algérie post-coloniale. Et tout cela dans un pays riche comme le nôtre !

    Le slogan algérien « Acha3b yourid yetna7aw Ga3 ! » (Le peuple veut qu’ils aillent tous ou, plus exactement, le peuple veut qu’ils soient tous extirpés !) N’est qu’une autre version de « Acha3b yourid isqat annidham » (Le peuple veut renverser le système), le slogan que nous avons vu lors de tous les soulèvements arabes de 2010-2011.

    À cet égard, je pense que ce qui se passe actuellement au Soudan et en Algérie devrait être considéré comme la continuation d’un processus révolutionnaire en Afrique du Nord et en Asie occidentale, un processus révolutionnaire avec des hauts et des bas, des gains et des revers, qui s’est concrétisé par une transition « démocratique » néolibérale en Tunisie et des contre-révolutions sanglantes et des interventions impérialistes dans les pays restants qui ont été témoins de ces soulèvements. L’espoir est que les peuples algérien et soudanais tirent les enseignements des expériences de leurs frères et sœurs d’autres pays et poussent plus loin leurs révolutions afin de réaliser leurs revendications fondamentales de dignité, de justice, de souveraineté populaire et de liberté et de mettre fin à des décennies d’oppression politique et économique.

    2. Un certain nombre de vidéos publiées en ligne témoignent de la créativité et de la solidarité du mouvement révolutionnaire en Algérie et ailleurs. Pouvez vous nous parler de quelques moments qui l’ont marqué pour vous ?

    Oui, le mouvement révolutionnaire en Algérie a libéré la créativité inépuisable du « génie populaire ». En scandant : « Nous nous sommes réveillés et vous allez payer ! », Le peuple exprime sa volonté politique récemment découverte. Le processus de libération est en même temps un processus de transformation. Nous pouvons sentir cela dans l’euphorie, l’énergie, la créativité, la confiance, l’humour et la joie que ce mouvement a inspiré après des décennies de répression sociale et politique.

    L’humour et la satire peuvent être très subversifs et les Algériens l’ont démontré dans leurs slogans, leurs chants et leurs pancartes pour raviver et mettre en valeur la culture populaire. J’ai vu et entendu tant de slogans en ligne et dans les rues de plusieurs villes d’Algérie. Et en voici quelques-unes que j’ai capturées avec l’appareil photo de mon téléphone :

    « L’Algérie, pays de héros gouverné par des zéros. »

    « Nous avons arrêté la harga (immigration clandestine), nous avons cessé de prendre de la drogue et nous allons aussi vous arrêter. »

    « Changement de système… 99 % de chargement. »

    « Non à Bouteflika et à ses dérivés. »

    « Nous avons besoin de Detol pour tuer 99,99 % du gang. »
    Et celui – ci d’une étudiante en médecine : « Nous sommes vaccinés et nous avons développé le système anti-IgG (anti-corps) … et nous continuons à obtenir des rappels tous les vendredis. »

    « Le problème est la persistance de l’idolâtrie et non le remplacement de l’idole. »

    « Je ne suis pas ici pour faire un Selfie, je suis ici pour changer le système. »

    Certains slogans ciblaient directement la complicité et l’ingérence françaises :

    « La France craint que si l’Algérie accédait à l’indépendance, elle demanderait une compensation pour le métal qu’elle avait utilisé pour construire la tour Eiffel. »

    « Allo Allo Macron, les petits-enfants du Novembre 54 sont de retour. »
    Et en réaction aux appels du commandant en chef des forces armées, Gaid Salah, à appliquer l’article 102 de la constitution qui permettrait au président de la chambre haute de prendre la relève et d’organiser des élections dans les 90 jours, suivant la déclaration de vacance de la présidence par le conseil constitutionnel. Les gens ont répondu :

    « Nous voulons l’application de l’article 2019 … Vous allez partir tous. »

    « Nous avons demandé le départ de tout le gang, pas la promotion de certains de ses membres. »

    « Les piles sont mortes, pas besoin de les presser. »

    « Cher système, tu es une merde et je peux le prouver mathématiquement. »

    « Ici l’Algérie : la voix du peuple. Le numéro 102 n’est plus en service. Appelez le service du peuple au numéro 07 s’ils vous plaît » (en référence à l’article 07 stipulant que c’est le peuple qui est la source de toute souveraineté.
    Ce ne sont que quelques exemples parmi des milliers d’autres slogans et chants créatifs, humoristiques et amusants. Cela démontre que le génie populaire est bien vivant et peut être mobilisé pour résister, subvertir et demander un changement radical.

    En ce qui concerne la solidarité internationale, ce que je peux dire, c’est que les peuples opprimés de la région et au-delà participent à une sorte de dialogue entre eux. Les Soudanais et les Algériens se suivent mutuellement et sont de plus en plus inspirés et déterminés à suivre leur propre révolution et à renverser les systèmes qui les ont écrasés pendant des décennies. Il y a cette bande dessinée drôle par le journaliste algérien Ali Dilem qui montre les Soudanais gagner 2 à 1 contre les Algériens en renversant deux chefs d’état à ce jour contre seulement 1 en Algérie. Les Marocains sont également inspirés par ce qui se passe en Algérie et nous l’avons vu dans les chants des stades. Le dernier mais non le moindre est la solidarité inébranlable et éternelle avec le peuple palestinien. Tout cela atteste que les peuples aspirent à la liberté, la justice et l’émancipation et ils s’inspirent quand ils voient d’autres qui prennent leur destin en main et contestant les forces du statu quo.

    3. Bien que les événements de 2011 aient traversé une grande partie de la région, d’importantes différences locales ont façonné les résultats divergents observés depuis. Par exemple, en Égypte, le mouvement était dirigé par les jeunes et sans structures, ce qui signifiait qu’il manquait d’un certain poids institutionnel et social à des moments cruciaux, tandis qu’en Tunisie, le rôle de l’UGTT – en particulier ses rangs inférieurs – était très important. Quelles forces sociales ont dirigé le mouvement en Algérie ? Et existe-t-il des organisations ou des idées particulièrement centrales ou populaires ?

    En définitive, le soulèvement algérien a aussi ses spécificités et je vais essayer de vous donner quelques indices afin de comprendre ses forces et ses faiblesses.

    a) Ce qui rend ce mouvement vraiment unique, c’est son envergure, son caractère pacifique et sa diffusion nationale, y compris dans le sud marginalisé. Le mouvement se caractérise également par une participation significative des femmes et en particulier des jeunes, qui constituent la majorité de la population. L’Algérie n’a pas connu un mouvement aussi vaste, diversifié et aussi répandu depuis 1962, année où les Algériens étaient descendus dans la rue pour célébrer leur indépendance durement gagnée du régime colonial français.

    b) On peut également voir dans ce soulèvement la continuation de la lutte anticolonialiste des années 50 et 60 pour recouvrer la souveraineté populaire et économique. Les nombreuses manifestations et marches qui ont eu lieu font allusion à la révolution anticolonialiste algérienne et à ses glorieux martyrs qui ont sacrifié leur vie pour l’indépendance de l’Algérie, réaffirmant ainsi que l’indépendance formelle n’a pas de sens sans la souveraineté nationale et populaire, surtout que nos élites bradent le pays et ses ressources depuis plus de trente ans. Ces sentiments anti-coloniaux sont réaffirmés par une hostilité sans faille à toute ingérence étrangère et à toute intervention impérialiste. Nous avons vu comment le peuple algérien a fermement rejeté la complicité française avec les factions au pouvoir ainsi que sa désapprobation des tentatives de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra d’internationaliser le conflit par le biais de ses voyages aux États-Unis, en Europe, en Russie et en Chine.

    c) Solidarité avec la Palestine : les Algériens comprennent que leur libération ne sera pas complète sans la libération de la Palestine. C’est vraiment unique dans le monde arabe : aux côtés des drapeaux algériens, on voit toujours le drapeau palestinien et les gens se rappellent toujours des martyrs algériens et palestiniens sans faire de différence. Cela s’explique par le fait que seule l’Algérie (avec la Palestine) dans toute la région a vécu l’expérience d’un cruel colonialisme de peuplement, raciste et inhumain.

    d) Le paysage politique généralement aride qui a résulté de la décimation d’une véritable opposition politique, de la faillite de la politique du multipartisme associée à la répression et / ou cooptation des syndicats et d’autres acteurs de la société civile a incité les gens à s’organiser différemment. Au cours des dernières années, la dissidence et le mécontentement ont été de plus en plus exprimés à travers des manifestations sectorielles ou l’émergence de mouvements sociaux horizontaux, en particulier dans le Sahara riche en gaz et en pétrole, où nous avons vu des mouvements de chômeurs et anti-gaz de schiste en 2012 et 2015. L’hostilité à l’égard des partis politiques est profondément ancrée, comme en témoigne la dynamique populaire actuelle. Comme en Egypte, le mouvement est dirigé par les jeunes et est relativement non-structuré, comme vous le dites. Il n’y a pas de leaders clairement identifiables ou de structures organisées qui le propulsent.

    Il est clair qu’il s’agit d’un soulèvement populaire dans la mesure où il a mobilisé des forces de masse issues de la classe moyenne ainsi que des classes marginalisées des zones urbaines et rurales, affectées par des politiques néolibérales de plusieurs décennies et par une économie de rente corrompue dans le sillage d’une mondialisation prédatrice facilitant le pillage des ressources financières et naturelles du pays. Il convient de noter que les étudiants, les travailleurs (en particulier ceux du secteur pétrolier et gazier), les syndicats autonomes, les juges et les avocats jouent un rôle très important dans ces mobilisations en organisant leurs propres manifestations, en appelant à la grève et en maintenant la dynamique. Contrairement au Soudan où l’Alliance pour la Liberté et la Changement ainsi que l’association professionnelle soudanaise jouent le rôle d’une sorte de structure dirigeante et organisationnelle, il semble en Algérie que les choses s’organisent de manière horizontale et principalement par le biais des médias sociaux où des appels à la protestation sont lancés.

    e) Je ne suis pas de ceux qui, s’ils n’aiment pas le dénouement d’une révolution, ses forces, ses exigences et ses stratégies, ils se précipitent à nier son caractère révolutionnaire ou simplement lui refuser le nom de « révolution ». Cependant, nous devons rester critiques, intellectuellement honnêtes et tirer les leçons des erreurs des révolutions précédentes.

    La pancarte se lit comme suit : « Non à la réforme du régime, Nous voulons en construire un nouveau. »Photo prise à Alger le vendredi 15 mars 2019.

    La quasi-sacralisation de la spontanéité, l’absence de leadership et l’hostilité à toute forme de structuration ne sont pas uniques au cas algérien, mais ont été observés dans d’autres révolutions dans d’autres pays tels que l’Égypte et la Tunisie. Il est vrai que la spontanéité et les mouvements sans leaders généreront, dans un premier temps, de grandes mobilisations interclassistes qui donnent l’impression d’une unité au-delà de la classe, du genre et de l’orientation idéologique. Cependant, cela peut devenir dangereux quand les droits socio-économiques des marginalisés sont éliminés de tout débat. Dans de tels scénarios, les questions légitimes de souveraineté populaire et de justice sociale céderont la place aux vagues notions libérales dominantes de « gestion démocratique », « bonne gouvernance », de « liberté » et « d’égalité », au détriment des revendications des damnés de la terre.

    Cette situation a été surnommée « révolution sans révolutionnaires » ou « révolution sans organisation ». Ces dynamiques et mouvements amorphes et non structurés et sans leader sont extrêmement vulnérables. Ces caractéristiques peuvent être des faiblesses fatales, en particulier quand la répression commence. Afin de prolonger la dynamique actuelle dans le temps, nous avons besoin de structures et d’organisations dotées d’une vision cohérente, capables de formuler des revendications claires, de proposer diverses stratégies de résistance et de faire avancer un programme entièrement élaboré. Les dirigeants peuvent émerger de manière organique mais cela nécessite une organisation incessante ainsi que la multiplication des initiatives pour ouvrir des espaces de débats et de réflexion.

    C’est ça la réalité sur le terrain, ça inspire de voir les gens regagner leur confiance en eux et commencer à croire en un « nous » collectif. On a vu comment ils n’ont pas été dupés par les divers stratagèmes avancés par les différentes factions du système. Le mouvement se renforce et ses revendications se radicalisent de jour en jour. Ce qui les unit, c’est que tous les symboles de l’ancien système doivent disparaître et doivent être rendus responsables de toutes les souffrances et les ravages qu’ils ont causés.

    4. Le rôle de premier plan des femmes dans le mouvement de protestation au Soudan est devenu de plus en plus important, de manière particulièrement dramatique avec Alaa’a Saleh. Ce n’est pas une surprise pour ceux qui ont étudié l’histoire ; les révolutions ont souvent été décrites comme des fêtes d’opprimés. Pouvez-vous parler un peu de la situation en Algérie en ce qui concerne les femmes, la minorité berbère et d’autres groupes opprimés ? Quels sont leurs griefs spécifiques et quelle a été la participation aux manifestations jusqu’à présent ?

    Les révolutions ne peuvent se produire sans les femmes et sans leur participation active. Et la révolution algérienne n’est pas différente. Depuis le début de cette dynamique populaire, les femmes ont joué un rôle important en associant leurs revendications contre le patriarcat aux revendications démocratiques de l’ensemble du mouvement. En fait, j’ai vu comment la participation des femmes augmentait semaine après semaine. Leur nombre était significatif dans les manifestations que j’ai vues à Alger, Béjaia et Skikda. Elles sont également très impliquées dans les mouvements étudiants et syndicaux. Cependant, nous ne pouvons pas nier le fait qu’une grande partie de la société algérienne est encore conservatrice et machiste. Un épisode peut dénoter ce fait : certaines féministes ont été harcelées et attaquées lors d’une marche à Alger et ont été exhortées (par des hommes) à ne pas formuler des revendications féministes qui divisent le mouvement. Il y avait aussi une vidéo menaçant d’utiliser de l’acide contre celles qui oseraient faire valoir de telles revendications. Cela peut être un incident extrémiste isolé, mais à mon avis, cela montre le sexisme enraciné et l’opposition aux droits des femmes qui sont présents dans notre société. Les corps des femmes sont un champ de bataille et nous avons vu comment les forces de police ont traité quatre activistes il y a quelques jours après leur arrestation : elles ont été humiliées en étant obligées de se dépouiller de tous leurs vêtements !

    En dépit de tous les progrès accomplis par les femmes au cours des dernières décennies en matière d’éducation, d’emploi et de participation à la vie politique, leur lutte pour l’égalité avec les hommes et contre l’oppression et la violence patriarcales est encore loin d’être terminée (comme partout dans le monde d’ailleurs). Elles résistent encore à une vision réactionnaire de leur rôle dans la société, incarnée par des mesures sociales très conservatrices telles que le fameux code de la famille rétrograde de 1984.

    Grande marche à Bejaia le vendredi 22 mars. © Hamza Hamouchene
    Pour ce qui est de la minorité berbère, je voudrais apporter une correction ici. Ce n’est pas une minorité. En fait, la majorité des Algériens sont d’origine ethnique berbère-amazighe. Je voudrais dire que nous sommes des arabo-berbères, car l’arabe est également un élément important de notre identité culturelle et politique. Ces problèmes d’identité ont créé de nombreuses tensions au sein de la société au cours des dernières décennies car notre diversité culturelle a été ignorée au profit d’une conception plus étroite de notre identité. La dimension berbère du patrimoine culturel algérien a été marginalisée et réduite à des manifestations folkloriques. Cependant, la lutte pour la reconnaissance de tamazight en tant qu’élément équivalent à l’arabe et à l’islam dans notre identité culturelle s’est beaucoup développée depuis le printemps berbère de 1980, lorsque le mouvement culturel berbère a vu le jour en Kabylie. Le printemps berbère a été le premier défi politique à grande échelle contre le régime depuis le début des années 60, où les Kabyles ont exprimé leurs griefs contre l’autoritarisme du régime, son mépris pour la riche identité culturelle et linguistique berbère, ainsi que sa négligence de l’économie de la région. Ce véritable mouvement de masse démocratique a inspiré une décennie de luttes et de révoltes continues.

    En avril 2001, une insurrection commença en Kabylie et en un an et demi, un puissant mouvement populaire appelé La’rouche occupa le devant de la scène politique et remit à l’ordre du jour la question de la démocratie. Ce mouvement a organisé le 14 Juin une marche très impressionnante vers Alger et a inspiré de nombreux citoyens dans d’autres régions à se révolter contre la Hogra (l’humiliation et l’injustice sociale). Cependant, ce mouvement a été coopté, infiltré et écrasé.

    Quand les occidentaux parlent de la minorité berbère, ils désignent principalement la population kabyle. Pour des raisons historiques qui remontent à l’époque coloniale, cette région a été à l’avant-garde de la lutte contre l’oppression et l’autoritarisme. Et dans l’actualité, ce n’est pas différent. Il en va de même pour d’autres groupes amazighs tels que les Chaouis, Mouzabit et Touaregs. Tous sont impliqués en tant que citoyens algériens confrontés à la tactique consistant à « diviser pour régner » des élites dirigeantes. En fait, les slogans étaient clairs dans les différentes marches : nous ne voulons pas de division, nous sommes tous des Algériens, soulignant leur unité populaire.

    5. Quels sont les principaux courants de la pensée de gauche en Algérie et dans quelle mesure la gauche organisée joue-t-elle un rôle dans ce mouvement ?

    La gauche, à mon avis, devrait être la force capable de réunir la liberté et l’égalité. Je ne parle pas seulement de l’égalité politique, mais également de l’égalité socio-économique qui élimine les disparités de classe dans la société. La démocratie ne peut être complète dans le cadre de la domination du capital et de la dictature des marchés. C’est pourquoi nous avons aussi besoin de démocratie sociale et économique. Que ferait un jeune algérien avec la liberté s’il n’a pas d’emploi ni de logement décent ?

    Malheureusement, pour diverses raisons, notamment mondiale, la gauche organisée en Algérie est fragmentée, atomisée et extrêmement faible. Cependant, dans de tels moments révolutionnaires, elle peut se régénérer et se développer si elle veut jouer son rôle historique en tant qu’outil permettant aux masses d’exprimer et de réaliser leurs revendications fondamentales de liberté, de dignité et de justice. Pour ce faire, elle doit avoir une vision claire de ce futur souhaité, être autonome sur les plans intellectuel et organisationnel, se débarrasser de son paternalisme et devenir des organisations de masse au service des couches défavorisées.

    Le plus grand parti de gauche en Algérie est le Parti des travailleurs trotskistes de Louisa Hanoune. Malheureusement, pour des raisons qui dépassent l’entendement, Louisa Hanoune a longtemps soutenu Bouteflika, car elle le considérait comme un rempart contre l’impérialisme. Cette position « anti-impérialiste » malavisée qui justifie l’autoritarisme a déjà été vue, en particulier dans le cas de la Syrie avec Bashar Al Asad. C’est d’autant plus ironique quand on sait que l’ère Bouteflika est l’ère la plus ultralibérale de l’histoire de l’Algérie indépendante avec tant de concessions faites aux multinationales et aux capitales occidentales. C’est l’ère de la compradorisation des élites dirigeantes en alignant leurs intérêts et en subordonnant les intérêts nationaux à ceux du capital international. Autrement dit, le système de Bouteflika a abandonné la légitimité populaire au profit des capitaux nationaux et internationaux.

    Il existe d’autres structures plus petites et des partis politiques tels que le Parti socialiste ouvrier (PST) et le Mouvement démocratique et social (MDS) qui tentent de multiplier les initiatives telles que les appels à l’auto-organisation des travailleurs, des étudiants et des masses populaires. Je pense fermement que cette initiative devrait être encouragée et renforcée. Nous voyons déjà cela au sein du mouvement étudiant ainsi que dans les tentatives de certains syndicalistes de base de se réapproprier le plus grand syndicat d’Algérie, l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) et de le débarrasser de ses dirigeants corrompues, pro-régime et anti-travailleurs.

    6. Je sais que dans des pays tels que l’Égypte, il existe une forte tradition politique du nassérisme qui défend l’armée sur la base de son passé supposé de « nationaliste arabe ». Existe-t-il des illusions similaires en Algérie ? Et dans quelle mesure les gens ont-ils absorbé les leçons du rôle totalement réactionnaire de l’armée dans la révolution égyptienne ?

    L’histoire de l’Armée populaire nationale en Algérie est unique : elle est d’origine plébéienne et elle est née de la lutte anti-coloniale contre les Français et joue depuis un rôle prépondérant dans la sphère politique. Elle a donc toujours cette légitimité révolutionnaire malgré tous ses excès depuis l’indépendance de 1962, notamment le massacre de centaines de jeunes lors de l’Intifada d’octobre 1988, le coup d’État de 1992 et son rôle dans les massacres et la guerre contre les civils dans la décennie noire. En raison d’une militarisation profonde de la société, il y a cette crainte justifiée de l’armée et de ce qu’elle peut faire. De plus, nous ne pouvons pas oublier que le haut commandement militaire et les généraux ont participé à une accumulation parasitaire des richesses et à une corruption endémique. Son association avec l’oligarchie a privé le peuple algérien de son droit à l’autodétermination. En ce qui concerne le parti du Front de libération nationale (FLN), il a été complètement discrédité en tant que façade civile d’un régime militaire corrompu et autoritaire. Cela a été articulé par des slogans comme : « FLN, dégage ! »

    L’entrée décisive du peuple sur la scène politique a effectivement contraint le haut commandement militaire de rompre avec le cercle présidentiel. L’armée est clairement intervenue pour mettre fin au règne de Bouteflika afin de préserver le régime en place. L’abdication de Bouteflika est un moment important de la dynamique populaire qui a débuté en février 2019, mais il ne s’agit que d’une victoire dans la longue lutte pour un changement radical qui doit inclure le renversement de tous les symboles du système, y compris le général-major Gaid Salah ; une personnalité clé du régime de Bouteflika et un partisan de son cinquième mandat avant de reculer sous la pression du mouvement populaire grandissant. Il ne faut absolument pas faire confiance à la direction de l’armée, comme l’avaient clairement indiqué les menaces initiales du major général Salah contre le mouvement avant d’adopter un ton plus conciliant. Dans sa déclaration à Oran du 10 avril, le général a déclaré qu’il n’y avait pas d’autre solution à la crise actuelle, si ce n’est dans une constitution conçue en premier lieu pour protéger les élites dirigeantes et leurs intérêts. Fondamentalement, il donne son appui et son poids à une transition contrôlée d’en haut, c’est-à-dire à un coup d’Etat contre le soulèvement populaire.

    Pour moi, Gaid Salah et le haut commandement militaire sont le fer de lance de la contre-révolution qui a commencé à montrer ouvertement ses signes, y compris la répression violente des manifestants pacifiques. Ceux qui se faisaient des illusions sur lui et sur ses annonces selon lesquelles il était du côté du peuple et de ses aspirations ont commencé à devenir beaucoup plus prudents. Des slogans tels que « L’armée et le peuple sont des frères » ne peuvent pas être appliqués aux généraux corrompus qui ont bénéficié du régime de Bouteflika et l’ont maintenu.

    Le peuple algérien – en particulier les masses populaires – doit se méfier de l’interventionnisme de tels acteurs afin d’éviter un scénario à la Sisi en Égypte. Là aussi, Sisi a affirmé qu’il était intervenu au nom du peuple lorsqu’il avait exécuté un coup d’État contre Morsi et nous savons tous ce qui s’est passé depuis. Il pourrait être tactique de tirer profit de la lutte de pouvoir interne en cours entre les élites dirigeantes, mais ce serait une erreur fatale de croire que la direction de l’armée serait du côté du peuple ou de sa révolution. Le peuple algérien doit être plus vigilant et déterminé que jamais afin d’empêcher les forces contre-révolutionnaires de détourner ce soulèvement historique.

    Marche du personnel médical dans les rues de Skikda pour soutenir le mouvement populaire, Est de l’Algérie le 19 mars 2019 © Hamza Hamouchene

    7. Selon vous, quelles sont les tâches et les défis immédiats auxquels le mouvement est confronté ?

    En cette neuvième semaine de contestation, malgré toutes les tentatives de manipulation, de division, de peur, le mouvement ne faiblit pas. Au contraire, il se développe et s’étend à plusieurs secteurs professionnels. Personne ne s’attendait à ce que des juges soutiennent le mouvement populaire et refusent même de superviser les prochaines élections présidentielles prévues pour le 4 juillet. Les étudiants organisent toujours d’énormes manifestations et marches dans tout le pays pour soutenir Al Hirak Acha’bi (le mouvement populaire) et ont appelé à une grève nationale. Certains syndicats autonomes maintiennent leurs appels à la grève pour soutenir la dynamique en cours.

    Cette semaine, des dizaines de maires ont déclaré leur refus d’organiser des élections dans leurs localités. Certaines organisations de la société civile sont déterminées à se réapproprier les espaces publics en organisant des débats et des activités publics, interdits dans la capitale, Alger, et qui se terminent par la répression et les arrestations. Nous avons également vu comment diverses visites ministérielles avaient été interrompues ou annulées par des personnes chassées par plusieurs ministres de Tebessa, Bechar, Tissemsilt et Tipaza.

    Il devient très clair que les gens rejettent le plan de transition du régime et il est évident que nous vivons dans une situation révolutionnaire qui pourrait s’aggraver et se radicaliser en fonction de la réaction des classes dirigeantes, du niveau de conscience politique et de l’organisation du mouvement. Ce que les manifestants appellent des « membres du gang » a tout intérêt à maintenir le statu quo et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour les préserver, notamment en sacrifiant des boucs émissaires pour gagner du temps et sauver le système.

    Nous ne pouvons pas être naïfs ; les révolutions ont un coût et la répression sera au rendez-vous. Le caractère pacifique ou violent d’une révolution est toujours déterminé par l’oppresseur et ses méthodes. Le système n’abandonnera pas facilement. Pour cette raison, le rapport des forces doit être considérablement modifié vers les masses en maintenant la résistance (marches, manifestations, occupations d’espaces publics, grèves générales, etc.) pour obliger le commandement de l’armée à céder à la demande de la population pour un changement de système entraînant la liquidation de toute la vieille garde politique. Les organisations et les intellectuels hautement conscients et armés des principes révolutionnaires doivent barrer la voie au pouvoir militaire et à l’oligarchie comprador.

    Je pense que certains des défis auxquels le mouvement est confronté peuvent être résumés dans :

    Se structurer en poussant et en encourageant l’auto-organisation locale à travers des comités de quartier, des collectifs d’étudiants, des représentations locales indépendantes et l’ouverture d’espaces de discussion, de débat et de réflexion afin de disposer d’une plateforme solide et d’un programme cohérent. Cela inscrira la dynamique dans le moyen et le long terme car la lutte est loin d’être terminée.

    Doter le mouvement de structures et de mécanismes populaires et pleinement démocratiques nous permettrait d’élaborer des stratégies : comment formuler des revendications claires, quel type de tactiques adopter et quand intensifier une résistance ou négocier. Nous ne pouvons pas nous précipiter dans les élections maintenant car ce seront toujours les forces structurées (y compris celles de l’ancien régime) qui prendront le relais.

    À ce stade crucial, il est très important d’insister sur la liberté d’expression et d’organisation individuelle et collective, tout le temps et pas seulement les vendredis.

    Refuser catégoriquement toute transition gérée par les oligarques et l’armée et appeler à une assemblée constituante souveraine et populaire afin de proposer une constitution véritablement populaire et démocratique qui consacre la justice sociale et la souveraineté populaire sur les ressources naturelles. Dans tous les cas, la transition démocratique doit être entre les mains du peuple, gérée par ses forces et pour le peuple.

    Continuer à rejeter toute intervention étrangère dans les événements en cours.

    Enfin, il faut allier justice sociale et droits socio-économiques à la démocratie, cette révolution étant l’expression d’une volonté générale des opprimés de défendre leurs intérêts communs.

    Notre révolution est confrontée à des problèmes politiques, économiques et sociaux majeurs. Les enjeux sont vraiment importants et ils nécessitent un niveau de conscience, d’organisation et de stratégie révolutionnaire à la hauteur des aspirations des masses, en particulier des plus démunis. Alors que le savoir et la pensée naissent de l’expérience et de la praxis, nous devons en même temps poursuivre et nous engager dans la lutte démocratique, lutter pour la justice sociale et défendre les libertés civiles qui sont menacées chaque jour, agissons pour les droits des citoyens et des travailleurs, pour l’égalité des droits et des devoirs entre hommes et femmes, pour la souveraineté nationale contre les intrusions de l’impérialisme et des bourgeoisies parasitaires.

    Un changement radical n’est pas une opération programmée par bouton-poussoir ; il s’agit d’un processus politique continu, de confrontation nécessitant des sacrifices qui, à certains moments, s’accélère sur un chemin balisé par de longues luttes et des expériences accumulées. Pour reprendre une phrase célèbre connue des musulmans : « Travaillons à un changement radical, comme si cela prendrait une éternité à se réaliser et préparons le terrain comme si cela se produirait demain ».

    *Hamza Hamouchene est docteur en carcinogénèse environnementale de l’’Institute of Cancer Research, université de Londres. Il est membre fondateur d’’Algeria Solidarity Campaign (ASC) et d’’ Environmental Justice North Africa (EJNA), deux organisations londoniennes faisant campagne respectivement pour un changement démocratique pacifique en Algérie et pour la justice environnementale et climatique au Maghreb. Il travaille aussi pour Platform, où il suit le dossier des intérêts britanniques dans le domaine de l’’énergie en Algérie. Il a publié deux rapports pour Platform : “Le renforcement des dictatures : Accaparement du gaz par le Royaume-Uni et les violations des droits humains en Algérie” et “La Prochaine revolution en Afrique du Nord : La lutte pour la Justice Climatique”. Il travaillait auparavant pour Global Justice Now sur les questions liées au climat, à l’’alimentation et à la justice commerciale. Il a publié des articles dans The Guardian, Counterpunch, New Internationalist, Red Pepper, Jadaliyya, openDemocracy, Pambazuka, El Watan, Maghreb Emergent et Huffington Post. Il a été interviewé entre autres par BBC Arabic, Al Jazeera, France 24 et RFI.

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