Étiquette : Hirak

  • Maroc : Contre la dictature de Mohamed VI, solidarité avec le peuple rifain et ses prisonniers !

    Dans la nuit du vendredi 5 avril, quelques jours après la visite du Pape à l’occasion de laquelle la monarchie marocaine a cherché à vendre une image « d’ouverture et de tolérance », la justice « indépendante » de la dictature de Mohamed VI a confirmé, après un simulacre de procès, les lourdes peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour les principaux animateurs du Hirak rifain. Boycotté par les concernés, ce procès et ces peines confirment le retour aux années de plomb et la permanence d’une gestion quasi coloniale de la région du Rif, toujours maintenu sous une chape de plomb sécuritaire.

    Au total, ce sont 360 années de prison qui ont été infligées aux 53 détenus politiques, dont le seul crime est d’avoir manifesté pacifiquement pour des droits élémentaires et réclamé la dignité pour le peuple du Rif. 53 détenus auxquels s’ajoutent 500 autres prisonniers, arrêtés depuis le début de la mobilisation. Les détenus politiques de la prison d’Okacha, à Casablanca, ont assisté à une militarisation de leurs quartiers pénitentiaires après la confirmation des peines. Les prisonniers Nasser Zefzafi, condamné à 20 ans de prison ferme, et Mohamed El Haki, condamné à 15 ans, se sont cousu la bouche avec des aiguilles et du fil, en signe de protestation, et ont été suivis par d’autres depuis.

    Cette volonté de punir d’une manière exemplaire se veut une adresse à toutes les contestations sociales qui ne cessent de se développer sur tous les terrains et dans tout le pays malgré la répression. Loin d’être une exception historique ou un régime de transition démocratique, la dictature marocaine n’ignore pas la possibilité de soulèvements populaires, comme en témoignent aujourd’hui les mouvements au Soudan et en Algérie. Le régime pense y faire face en criminalisant le combat mené pour la justice sociale, la liberté et la dignité. Mais il ne fait que préparer les conditions d’un tsunami démocratique et social qui l’emportera bien avant que Nasser Zefzafi et ses compagnons aient fini de purger leurs peines.

    Le NPA apporte toute sa solidarité aux prisonniers politiques et à leurs familles, et exige la libération immédiate des détenus. Il condamne fermement le silence des États occidentaux complices, en premier lieu celui de la France, qui ne cesse de couvrir les crimes du règne actuel et lui fournit l’appui nécessaire pour réprimer le peuple marocain. Nous appelons à participer à toutes les initiatives de solidarité et à les amplifier.

    Montreuil, le 9 avril 2019.

    NPA

    Tags : Maroc, Rif, Hirak,

  • Maroc : Lahcen Tofli, l’instrument du Makhzen pour ses faux procès

    Lahcen Tolfi, le président de la Cour d’appel de Casablanca devait prendre sa retraite cette année, mais il a été prié de rester dans le but de conduire le procès contre les prisonniers rifains dont le seul crime a été de revendiquer un hôpital et une université dans une région longtemps marginalisée par les autorités marocaines.

    Comme d’habitude, Tofli n’a pas déçu ses manipulateurs. En toute naturalité, il a confirmé les lourdes peines prononcées par le tribunal de première instance.

    L’homme de choc du Makhzen est appelé à intervenir dans les situations difficiles où les autorités doivent faire preuve de fermeté et de cruauté. C’était le cas lors des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, ce qui pousse à croire que ce procès n’était qu’une mise en scène pour couvrir une opération exécutée par les services secrets en vue de crier au loup du terrorisme.

    Il a aussi dirigé une autre mise en scène à Casablanca en 2014 lors du procès de la prétendue cellule dormante d’Al Qaïda  composée, selon les autorités, de 3 saoudiens et 7 marocains qui projettaient, tenez-vous bien, de perpéttrer des « actes « terroristes » au Maroc et dans le détroit de Gibraltar ». Selon l’acte d’accusation, la cellule dormante du réseau d’Al-Qaïda « avait pour mission d’attaquer à l’explosif des bateaux de l’OTAN en Méditerranée, notamment des unités de la Marine américaine et britannique ». Une accusation aussi fausse que celle lancée contre les activistes rifains.

    Tags : Maroc, Lahcen Tofli, justice, Rif, Hirak, terrorisme,

  • Maroc : Abdelkrim Khattabi le fantôme qui hante les Alaouites

    “Président de la république” puis prisonnier sous Mohammed V, résistant exilé sous Hassan II, symbole historique dérangeant sous Mohammed VI… Le héros du Rif continue de peser de tout son poids sur la monarchie.

    Le 6 février 1963 s’éteignait celui qui fut l’émir du Rif, le seul (éphémère) président qu’ait connu le Maroc. 37 ans après avoir quitté sa terre natale, Abdelkrim Khattabi succombait à une attaque cardiaque dans son exil cairote. 46 ans plus tard, force est de constater que sa mémoire officielle n’est pas à la hauteur de son épopée. Certes, des boulevards portant son nom ont fleuri un peu partout au Maroc. Certes, des historiens, marocains ou étrangers, se sont penchés sur le cas d’école qu’il a représenté. Son souvenir officiel reste pourtant une affaire difficile à manier, une épine dans le pied d’une monarchie alaouite en mal de symboles populaires.

    Une mémoire occultée

    Populaire, Abdelkrim Khattabi l’est toujours. En témoignent les commémorations discrètes mais régulières de son action : samedi 7 février, le groupe universitaire de recherche sur Abdelkrim Khattabi organisait un colloque dans la banlieue de Rabat ; courant du mois, l’association Mémoire du Rif, qui publie sa revue annuelle chaque 6 févier, prévoit des rencontres entre des témoins de l’époque et des habitants d’Al Hoceïma. Le souvenir de l’émir du Rif n’est pas réservé, loin s’en faut, aux seuls chercheurs ou à quelques rares autonomistes. Le groupe de musique casablancais Darga, avec son titre-phare Abdelkrim, a récemment illustré la persistance d’un mythe populaire que peuvent s’approprier tous les Marocains. Un mythe d’une étrange actualité mais que peine à récupérer le “nouveau règne”, pourtant très soucieux de revisiter l’histoire nationale.

    Dès son intronisation, Mohammed VI a envoyé des signaux très favorables et le retour dans le Rif de la dépouille mortelle de Abdelkrim semblait possible, voire imminent. L’exilé Abraham Serfaty n’était-il pas rentré au pays à l’appel du roi ? Mohammed VI n’a-t-il pas honoré le Rif de ses multiples visites, n’a-t-il pas rencontré le fils (aujourd’hui décédé) de Abdelkrim ? L’Instance équité et réconciliation a même planché sur le cas Khattabi. Rien cependant n’a abouti, et la petite nièce de l’émir du Rif, Fadila Jirari, est aujourd’hui amère : “C’est une erreur d’avoir voulu traiter le cas Khattabi dans le cadre du bilan des années de plomb. On a voulu en faire un dossier parmi d’autres, ce qui est loin d’être le cas. Il ne s’agit ni de la même époque, ni des mêmes responsabilités de l’Etat”. Et Fadila Jirari de marteler : “C’est au niveau le plus élevé (ndlr, comprenez le roi) que doit être demandé le rapatriement du corps de Abdelkrim”. Puis, de guerre lasse, elle lâche : “De toute façon, les conditions qui expliquaient son refus de rentrer au pays n’ont pas disparu. Sur le fond, rien n’a vraiment changé”.

    Le fond, c’est évidemment l’attentisme précautionneux dont a toujours fait preuve la monarchie à l’égard de l’émir du Rif. Car avec le temps, la mémoire de Abdelkrim Khattabi est devenue une arme de propagande à double tranchant que personne ne veut complètement négliger. Dans les années 1940 déjà, les ténors de l’Istiqlal avaient tenté de récupérer l’héritage de l’exilé du Caire. Huit ans après sa mort, au lendemain du putsch de Skhirat, les thuriféraires de la monarchie alouite, alors vacillante, convoquent de nouveau la mémoire de Abdelkrim. Magali Morsy (Abdelkrim et la république du Rif, actes du colloque de 1973, Maspero, 1976) écrit à ce sujet : “Le 10 juillet 1971, c’est Skhirat, suivi des exécutions du 13 juillet.

    C’est ce même mois de juillet (du 17 au 22 très précisément) qui aurait dû voir la commémoration du cinquantenaire de la déroute espagnole et de la victoire d’Anoual. C’est en fait un peu plus tard, après quelques semaines de désarroi, que se développe très rapidement un mouvement visant à remettre Abdelkrim à l’honneur. Le 1er novembre à 20 heures se tient, à Dar Massa, une ‘cérémonie en commémoration de la bataille d’Anoual, qui a marqué il y a cinquante ans la victoire du grand héros Abdelkrim Khattabi sur les forces coloniales’ (communiqué officiel). Cette cérémonie est marquée par des discours de Allal El Fassi et d’autres personnalités nationales”. L’historienne illustre ainsi l’enjeu mémoriel dont l’émir du Rif est l’otage, et explique aussi le regain d’intérêt que connaît la figure de Khattabi à l’orée des années 1970 : Abdelkrim devient un alibi du trône, un mythe démembré, privé de ses caractères national et républicain. Il n’est plus qu’un “leader rifain”, et sa guerre de libération est réduite à un “soulèvement populaire”, ultime avatar de plusieurs révoltes contre l’occupant occidental. Il est l’homme d’un contexte et d’une époque. Un souvenir.

    L’héritier d’un clan

    Mohamed Ben Abdelkrim Khattabi voit le jour à Ajdir en 1882 dans une famille de notables longtemps liés au Makhzen. Son père Abdelkrim est cadi désigné par le sultan. L’un de ses oncles est gouverneur, un autre est précepteur des enfants du sultan. Une famille qui, dans la tribu des Beni Ouryaghel, inspire estime et respect. Le clan Khattabi se réclame également d’un aïeul prestigieux : le calife Omar Ibn Al Khattab, qui incarne dans l’imaginaire musulman sunnite les valeurs de justice, de probité et d’esprit de conquête. Un schéma somme toute classique dans un pays où les descendants du prophète et les leaders religieux sont fondateurs de dynasties et chefs de mouvements de résistance ou de dissidence. Le cadi Abdelkrim, père de l’émir, exerce une influence très grande sur son fils, Mohamed.

    Les noms des deux hommes vont se confondre, au point que l’auguste fils sera désigné à jamais par le nom de son père, Abdelkrim. Ambitieux et intelligent, Khattabi père prépare ses enfants au nouveau monde qui se profile. Il veut qu’ils soient les dépositaires d’une triple culture : berbère, arabo-musulmane et occidentale. Mohamed se dirige vers des études traditionnelles à l’université Al Qaraouyine de Fès, tandis que son jeune frère M’hammed poursuit des études d’ingénieur à Madrid.

    Les fils Khattabi sont à l’époque des précurseurs. Ils appartiennent à une génération pionnière de nationalistes marocains qui ont eu la possibilité d’apprivoiser la culture du colonisateur, maîtriser sa langue, connaître son histoire, pour mieux en dénoncer les contradictions. Dans ses correspondances avec les autorités espagnoles lors de la guerre du Rif, Abdelkrim fera d’ailleurs souvent référence aux conventions internationales et aux textes juridiques modernes. Il parle un langage qui trouble le colonisateur et met à mal l’image du barbare, fruste et inculte, qu’il faut civiliser. A Fès, Abdelkrim Khattabi découvre également les idées réformistes de Mohamed Abdou et de Rachid Reda, qui vont influencer profondément la pensée et les visions politiques du futur leader nationaliste. Nommé juge à Melilia, Abdelkrim succombe à l’appel de l’engagement politique et de la polémique. Il devient chroniqueur au supplément en arabe du journal espagnol, Telegrama Del Rif, qu’il va diriger par la suite. Comme le remarque judicieusement Zakya Daoud dans une biographie consacrée à Abdelkrim, il est alors l’un des premiers journalistes du Maroc. Dans ses chroniques, Abdelkrim critique violemment la France et place ses espoirs sur l’Espagne pour moderniser le Rif. Pendant des années, on considère Abdelkrim et son père comme des amis de l’Espagne. Les deux hommes sont décorés plusieurs fois par les autorités de Madrid. Une proximité qui leur attire la colère et la vengeance des résistants rifains menés par Ameziane, qui voient d’un très mauvais œil cette connivence avec l’ennemi. Les terres des Khattabi sont incendiées et leurs biens détruits par les résistants. Le soutien du clan Khattabi à la Turquie musulmane et à l’Allemagne pendant la Première guerre mondiale marque un tournant dans cette relation avec l’Espagne. Abdelkrim est emprisonné et accusé de haute trahison en 1915. Il est libéré quelques mois plus tard, grâce aux relations de son père, pour rejoindre son clan et sa tribu, avec de nouvelles convictions et de nouvelles idées.

    Le vainqueur d’Anoual

    Le clan Khattabi rejoint la résistance contre l’Espagne. Le père de Abdelkrim dirige la tribu des Beni Ouryaghel dans cette lutte contre l’envahisseur. Mais un événement dramatique survient en juillet 1920 : le patriarche et chef du clan Khattabi meurt empoisonné. Mohamed Ben Abdelkrim lui succède. Il se retrouve propulsé à la tête des Imjahden, les combattants de quatre tribus qui ont oublié leurs rivalités ancestrales pour mener la guerre sainte contre l’ennemi étranger. L’ancien juge et journaliste se transforme en fin stratège et commandant d’une armée qui ne cesse de prendre de l’ampleur, mais qui manque terriblement d’armes et de munitions. Abdelkrim réussit à mettre en place un premier noyau de tribus rifaines unies et parvient à créer un commandement centralisé et simplifié.

    Une révolution mentale chez les membres de ces tribus, traditionnellement rétives à l’autorité. Les victoires de la résistance sont au rendez-vous et Abdelkrim s’affirme comme le chef charismatique et incontestable de cette résistance. La bataille d’Anoual en juillet 1921 finit par asseoir définitivement l’autorité de Abdelkrim et fait de lui un héros national et une légende. A la tête de 1500 hommes, Abdelkrim part à l’assaut d’Anoual, où plus de 26 000 soldats espagnols et mercenaires sont retranchés. Les combattants de Abdelkrim tiennent un front de plus de 30 kilomètres et décident de ne pas abandonner leurs positions. Dans la confusion et la panique, le général Silvestre, commandant militaire de la région, décide d’évacuer Anoual pour se retirer vers Melilia. Une erreur fatale, car l’armée de Abdelkrim va fondre sur les colonnes espagnoles en déroute et massacrer soldats, officiers et mercenaires. L’armée espagnole perd une dizaine de milliers de soldats dans cette bataille, et les troupes de Abdelkrim récupèrent un butin conséquent et inespéré : 200 canons, 400 mitrailleuses, 25 000 fusils et plus de 10 millions de cartouches.

    Avec cette victoire retentissante, Abdelkrim se hisse au firmament et devient une légende au Maroc et dans le monde. Il est le porteur d’un nouvel espoir, d’une foi ardente dans la victoire malgré la supériorité militaire et technique écrasante de l’envahisseur étranger. Une période où le sultan du Maroc est sous tutelle de la France. Malgré les révérences et le respect manifeste porté par le résident général Lyautey, le sultan du Maroc Moulay Youssef ne dispose pas d’une once de pouvoir sur ses sujets. Dans son livre sur les mouvements d’indépendance au Maghreb, Allal El Fassi rapporte que les nouvelles des victoires militaires de Abdelkrim au Rif étaient accueillies avec ferveur dans tout le Maroc.

    En 1924, un centre de recrutement et de propagande pour le compte de l’émir est démantelé à Casablanca par les autorités françaises. Le risque de contagion à tout le territoire marocain pousse la France à rejoindre l’Espagne dans le combat contre Abdelkrim et son armée. Lyautey, en fin analyste politique, a compris le danger que représentait Abdelkrim en estimant que “toute la puissance coloniale de l’Europe d’Occident et surtout le destin de l’empire africain de la France” se joue dans les montagnes du Rif. Là où Abdelkrim entreprend la colossale tâche d’unir les tribus rifaines autour de lui dans une forme d’organisation politique inédite : la république du Rif.

    Monsieur le Président

    Les tribus du Rif incarnaient l’essence même de bled siba : la non-reconnaissance d’une autorité politique centrale, sauf celle spirituelle du sultan et une situation d’anarchie entretenue par les guerres entre différents clans et tribus. Robert Montagne, sociologue et conseiller de Lyautey, décrit ainsi la nature farouche et batailleuse des Beni Ouryaghel, tribu de Abdelkrim “les luttes intestines dans les villages y sont si constantes, si implacables, que nul n’ose construire sa maison près de celle de son voisin… Là où les Beni Ouryaghel étaient passés, il ne restait plus une porte, une poutre, un pot de terre”. Abdelkrim réussit pourtant à mettre fin à cette situation d’anarchie et à fédérer les tribus rifaines autour d’un projet de résistance et de libération du pays.

    Ce que les sultans du Maroc n’ont pas pu faire avec les armes et les campagnes militaires, Abdelkrim le réalise grâce à un subtil jeu d’alliances et d’implication des tribus dans la gestion des affaires du pays. En janvier 1923, Abdelkrim proclame la république du Rif dont il est élu président. Une assemblée nationale composée des représentants des différentes tribus, et présidée par Abdelkrim, dispose des pouvoirs législatifs et exécutifs. Un gouvernement est créé avec des ministres de l’Instruction et de la Justice, de l’Intérieur, de la Guerre, des Affaires étrangères et des Finances. Comme l’explique l’historien Mimoun Charqi, Abdelkrim a traduit, à travers cette forme d’organisation politique, ses connaissances acquises au contact des Espagnols, ainsi que les conseils prodigués par ses amis européens et américains.

    Abdelkrim voue également une grande admiration pour Atatürk et sa capacité à réformer son pays, la Turquie, en empruntant des lois et des modèles politiques à l’Europe. L’adoption d’une Constitution moderne correspond à la volonté de réforme politique qui anime Abdelkrim. Le fanatisme religieux et le maraboutisme représentent pour l’émir Abdelkrim un mal politique et culturel qu’il faut éradiquer. Quelques années plus tard il déclare à cet égard : “Ces gens n’ont pas participé à la lutte, parce qu’ils disaient que le combat pour la patrie ne les intéressait pas, leur rôle se limitait à la défense de la foi. J’ai tout fait pour débarrasser la patrie de leur influence”.

    Abdelkrim s’attaque également aux pratiques traditionnelles propres aux différentes tribus. Des codes juridiques inspirés du Droit musulman deviennent les seules références pour les juges, ainsi que les dahirs édictés par l’assemblée nationale et le gouvernement. L’émir du Rif interdit également l’esclavage pratiqué par certaines tribus et prohibe les propos désobligeants à l’égard des juifs, ce qui lui vaut un grand respect de la communauté juive. La république du Rif se profile comme la transition de bled siba vers une forme moderne de gouvernement.

    Elle devient le laboratoire des idées réformistes et modernistes de Abdelkrim, qu’il souhaite plus tard voir appliquées à tout le territoire marocain. Abdelkrim ne se positionne pourtant jamais comme un dissident, un rogui, un prétendant au trône. La prière n’est jamais dite en son nom, comme l’ont fait d’autres dissidents et aspirants au trône. Comme il l’explique lui-même : “Je n’ai aucune ambition. Je n’aspire pas au sultanat, ni au pouvoir absolu. Si je suis une gêne, je suis prêt à disparaître et laisser la place à un autre”. Pourtant, l’expérience de la république du Rif demeure une expérience inédite, presque invraisemblable, dans un pays habitué aux successions des dynasties monarchiques et aux hommes qui rêvent de devenir sultans et rois.

    L’exil forcé et l’évasion

    Le 27 mai 1926, Abdelkrim Khattabi, acculé, brisé par la force de frappe de deux armées occidentales liguées contre lui, décide de se rendre à l’armée française, qui lui promet la vie sauve. Commence alors son chemin de croix. 20 longues années d’exil à La Réunion, isolé de tout. Cette réclusion lui pèse et il déploie de multiples efforts pour voir s’adoucir sa peine. Le 11 novembre 1938, il écrit au gouverneur de La Réunion : “L’exil, depuis douze ans, pèse lourdement sur nos épaules”. Il évoque ses garçons dont l’avenir l’inquiète et la difficulté de marier ses filles, dont la dernière, Aïcha, vient de naître. Il a désormais onze enfants, dont cinq garçons et six filles, la moitié nés en exil, sans compter ceux de son frère et de son oncle.

    En 1939, il renouvelle sa demande : il exprime le souhait que ses fils combattent dans l’armée française au moment où s’ouvre la Seconde guerre mondiale. L’exil réunionnais de Abdelkrim ne prend fin qu’en 1947, à la faveur d’ambitions françaises mal cachées. Le sultan Mohamed Ben Youssef s’est un peu trop rapproché des thèses nationalistes au goût du résident général Erik Labonne. Il germe dans l’esprit de ce dernier l’idée de faire de Abdelkrim un contrepoids politique actif au sultan qui s’émancipe. On décide d’extraire l’exilé des antipodes où il croupit depuis 20 ans. Le 1er mai 1947, on l’embarque avec toute sa famille, sous la garde de quelques gendarmes français originaires de La Réunion, à bord d’un vieux rafiot. Cap sur la France, Cannes plus précisément, où Abdelkrim Khattabi doit poursuivre son exil… Il n’y arrivera jamais.

    A l’escale de Port Saïd, les leaders nationalistes maghrébins (marocains, algériens et tunisiens pour la plupart, réfugiés au Caire) sont prévenus de l’arrivée du navire de Khattabi et l’attendent de pied ferme. Pendant la nuit, ils s’engouffrent dans le navire à quai et demandent à parler au chef exilé. Dans sa biographie de Khattabi, Zakya Daoud raconte : “Méfiant face à tout ce remue-ménage qu’il ne comprend pas, Abdelkrim est enfermé dans sa cabine. Bourguiba tambourine à la porte : “Ouvre-nous, nous venons pour ton bien !” Abdelkrim répond : “Tout le monde peut dire cela, et d’abord, qui êtes-vous ?” Finalement, il ouvre et toute la délégation s’enferme avec lui, son frère et son oncle pendant que, sur le pont, les gendarmes français jouent à la pétanque et que l’équipage grec reste indifférent”. C’est finalement sans encombres que Abdelkrim parvient à fausser compagnie à ses gardiens français. “L’émir est immédiatement reçu par le gouverneur de la province, poursuit Zakya Daoud, et dès 6 heures du matin, toute la famille prend la route du Caire et est conviée dans la matinée au siège du bureau du Maghreb arabe. Ils sont ensuite reçus avec tous les honneurs par le roi d’Egypte qui fait installer l’émir et sa famille dans une villa où il campera 15 ans”.

    La retraite cairote

    “Ceux qui l’ont approché au moment du débarquement à Port Saïd disent combien Abdelkrim était hésitant, combien il manquait d’informations sur toutes choses, combien il avait fallu d’arguments pour le rallier au projet d’évasion”, rapporte l’historien Mohamed Zniber à l’occasion du colloque parisien dédié à Khattabi en 1973. Pourtant, début 1948, requinqué et plein d’énergie, Abdelkrim se met au service de la Ligue arabe et devient président du Comité de libération du Maghreb. Même affaibli physiquement, le vieux lion de 64 ans n’a rien perdu de son aura. Il suit de près l’évolution de la question marocaine. Ses rapports avec les nationalistes marocains présents au Caire, notamment le futur chef du Parti de l’Istiqlal, Allal El Fassi, sont tout sauf apaisés. “J’ai vu mes idées s’évanouir l’une après l’autre.

    Comme dans beaucoup de pays d’Orient, l’arrivisme et l’esprit de corruption se sont introduits dans notre cause nationale”, dira-t-il plus tard du nationalisme à l’aune duquel s’est arrachée l’indépendance marocaine. Il n’hésitera pas à qualifier les Istiqlaliens fassis de “femmes à barbe”. Quant au plus illustre d’entre eux, il l’ignorera superbement pendant toute la durée de son exil cairote. Les deux hommes ne semblent guère avoir d’atomes crochus. Chaque semaine, Allal El Fassi, qui travaille sur la guerre du Rif, demande à le rencontrer, chaque semaine, Abdelkrim se défile derrière de faux prétextes.

    Pour illustrer le fossé qui sépare ces deux géants du panthéon marocain, Abdallah Laroui rapporte un de leurs échanges : “Allal El Fassi a dit un jour, exprimant le point de vue des nationalistes de sa génération : Quand on pense que, pendant cinq ans, Abdelkrim n’a pas fondé une seul école ! Abdelkrim aurait rétorqué : Oui, mais vous, nationalistes d’entre les deux guerres, vous n’avez fait que cela, vous n’avez été que des maîtres d’école”. Magali Morsy résume assez bien le divorce avec les nationalistes, qui préfigure de l’attitude critique que gardera toujours Abdelkrim à l’égard de la monarchie : “La voix de Abdelkrim paraissait révolue aux nationalistes des années 1950, et l’on comprend que le divorce ait été consommé entre celui qui demeura muré dans son refus de remettre les pieds au Maroc tant que le dernier soldat étranger n’aurait pas quitté le Maghreb, et ceux que la route passant par Aix-les-Bains devait conduire au gouvernement, sous l’égide de Sa Majesté Mohammed V. Dans la perspective d’un Maroc indépendant, Abdelkrim était mort, bien mort”, écrit l’historienne.

    Tombeur de rois ?

    “Contrairement à certaines croyances, Abdelkrim n’avait rien dans l’absolu contre la monarchie. Il n’était pas contre le roi, mais contre la manière dont l’indépendance a fini par être obtenue”, expliquait Saïd, le fils de l’émir du Rif, en 2006. Malgré les dénégations de son fils, l’émir Abdelkrim reste perçu comme un concurrent – sinon historique, du moins symbolique – de la monarchie. Ses prises de position n’ont pas dissipé cette impression, bien au contraire. Encore président de la république du Rif, il déclarait à propos de Moulay Youssef : “La seule chose qui m’importe aujourd’hui, ce n’est pas l’existence d’un sultan au Maroc, mais l’indépendance entière, sans réserve, du malheureux peuple rifain”.

    En 1952, il salue la chute de la monarchie égyptienne et la victoire de Nasser, applaudissant à la fois au putsch des officiers et à la proclamation de la république. Une attitude douteuse pour les nationalistes marocains de l’époque, qui revendiquaient le leadership de Mohammed V. L’indépendance obtenue, Abdelkrim ne sera pas moins tendre à l’égard de la monarchie. En janvier 1960, Mohammed V, en visite au Caire, exprime le désir de rencontrer Abdelkrim, mais ne parvient pas à le convaincre de rentrer au Maroc. Saïd Khattabi a, à ce propos, expliqué : “Quand Mohammed V, peu avant sa mort, a rendu visite à mon père au Caire, celui-ci lui a répondu : ‘Je n’ai rien contre vous, mais je souhaite que mon pays accède réellement à l’indépendance, et cela passe d’abord par l’évacuation des troupes militaires étrangères’”.

    En juillet 1962, c’est au tour du nouveau roi Hassan II, venu assister au Caire à un sommet des chefs des Etats du Pacte de Casablanca (ancêtre de l’OUA) de solliciter une rencontre avec Abdelkrim. Celui-ci, qui décline lentement (il mourra quelques mois plus tard) reçoit Hassan II à son domicile. “Les photos montrent un jeune souverain penché attentivement sur le vieil émir, fatigué, la tête couverte d’une petite calotte blanche, toujours vêtu de sa jellaba grise”, commente Zakya Daoud. Le roi craint qu’était Hassan II, qui fut aussi le prince bourreau du Rif en 1958, disparut ainsi comme par magie en présence de Khattabi. En 1962 toujours, quelques mois avant de passer l’arme à gauche, Abdelkrim s’oppose à la Constitution octroyée de Hassan II. “Il n’y a de Constitution valable que la Constitution nationale établie par la nation elle-même et pour elle-même.

    La Constitution légitime d’un pays ne peut être élaborée que par une commission ou un organe élus, représentant authentiquement et correctement les différentes classes populaires”, écrit-il. Pourtant, si le défunt roi a puni le Rif pour son insoumission, il n’a jamais porté atteinte à la famille de Abdelkrim. “Hassan II a toujours respecté notre famille”, estime Fadila Jirari, petite-nièce de l’émir. Comment alors comprendre que M’Hammed, (frère de Mohamed Ben Abdelkrim), rentrant au Maroc en 1967 après 40 ans d’exil, ait été victime d’une farce aussi tragique que ridicule ? Son comité d’accueil, induit en erreur par le général Oufkir qui avait prétexté un retard de l’avion, déserta le tarmac, laissant le vieil exilé fouler en solitaire le sol marocain, avant d’être emmené manu militari à l’hôtel Hassan de Rabat où il mourra enfermé cinq mois plus tard, sans jamais avoir revu son Rif natal. “La dépouille mortelle de M’hammed Khattabi repose aujourd’hui à Ajdir. Qui le sait ?, s’interroge Fadila Jirari.

    La mémoire de la guerre du Rif est de moins en moins vive”, déplore-t-elle. En attendant, le ministre de la Communication, Khalid Naciri, a cru nécessaire d’expliquer que le rapatriement du corps de Abdelkrim n’était pas au menu du gouvernement Abbas El Fassi. L’émir du Rif serait-il déjà entré au panthéon des grands oubliés de l’histoire ? Pourra-t-il un jour prendre dans nos manuels scolaires la place qu’il mérite : celle d’un avant-gardiste protéiforme, précurseur incompris du nationalisme marocain ?

    Par Souleïman Bencheikh et Abdellah Tourabi

    Telquel

    Source: Amazigh News, février 2009

    Tags: Maroc, Rif, Hirak, Abdelkrim El Khattabi,

  • Maroc – Rif : Quelle réponse au Makhzen

    Rachid Oufkir

    Depuis le verdict du samedi 6 avril 2019, tous les échanges, physiques et dans le virtuel, avaient pour centre de gravité une réflexion collective sur les modalités de réaction convenables face à cette abomination que constitue les jugements des magistrats marocains envers les prisonniers politiques rifains : rassemblements unitaires, des pétitions, des dénonciations collectives corsées, radicales etc… Est-ce suffisant ? Je ne le pense pas.

    D’autres proposent des modes tels que la désobéissance civile et le boycott global. Je me permets de vous livrer quelques remarques au sujet de ces deux concepts, à l’adresse de ceux qui plaident pour cette voie comme un mode de réponse et de réciprocité à opposer à la politique de Rabat dans le RIF.

    Si c’est sérieux comme projet, je vous demande d’être terre à terre et d’expliquer, décortiquer pourquoi, comment, les tenants et les aboutissants de cette grosse opération? Cela aussi a pour objectifs de secouer les consciences, de pousser à la réflexion et d’appeler les citoyens à agir.

    Se contenter de balancer ça et là les logos et les insignes des entreprises et des institutions marocaines ne suffit pas, prenez le temps d’expliquer au peuple et à la diaspora marocaine dont la diaspora rifaine, les modalités de la mise en place de cette action. Prenez le temps d’étudier sa faisabilité, son impact, et ses dommages collatéraux, car elle a des dommages collatéraux; il n’y a rien sans rien. Notre principe est le suivant : pour arracher des droits et la liberté, il faut accepter de devoir consentir des sacrifices.

    Si cette opération constitue une stratégie à part entiere et de long terme, dans ce cas-là, il faudra la planifier, l’élaborer comme il se doit, correctement, et c’est mieux que ce soit mené par tous les groupes, structures et individus de soutien, il faut des explications, de la vulgarisation, investissement du terrain en allant prêcher ce mode d’action auprès des concernés. C’est facile de dire : il faut boycotter, ce qui l’est moins et c’est là que ça se corse, c’est de mener ce projet sur le terrain et persuader les masses de l’efficacité de ce mode de pression. etc..

    Soyons créatifs, inventifs, et simples avec les masses, qui ne comprennent pas un langage sophistiqué.

    En 2017, Abdessadak Boujibar, militant rifain qui vit au Pays-Bas, en guise de protestation de la politique de Rabat à l’endroit du RIF et des rifains, il a entrepris de déchirer, en direct sur facebook, son passeport marocain. C’est osé, radical, et concret. Je tiens tout de même à souligner qu’il était bi-national, qu’il a le passeport néerlandais en échange. Tous les rifains ne sont pas binationaux, tout le monde n’est pas capable, non plus d’arriver à ce point ! Cela dit, c’est une réaction parmi d’autres. il y a 1001 façons d’agir, chacun selon ses capacités et ses possibilités.

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, prisonniers rifains, verdict,

  • Maroc – Rif : Nasser Zefzafi et Mohamed Al-Haki entament une grève de la faim en se cousant la bouche avec des aiguilles et du fil

    Les détenus politiques rifains dans la prison d’Okacha à Casablanca se sont réveillés aujourd’hui sur la militarisation complète de l’aile dans laquelle ils se trouvent, ils ont été sévèrement assiégés, les téléphones surveillés (plus de 10 gardes devant chaque cabine téléphonique d’Okacha), chacune des ailes a connu le débarquement de toute une caserne.

    Suite à cela Nasser Zefzafi et Mohamed al-Haki ont entamé une grève de la faim en se cousant la bouche avec des aiguilles et du fil.

    Dans un message envoyé à son père, Nasser Zefzafi, par le biais d’un de ses codétenus, a déclaré que la bataille qu’il mène (suturer sa bouche) vient de sa foi en son droit à la liberté, du rejet de la militarisation, de l’assassinat et de l’enlèvement d’enfants et de femmes rifaines, et du refus de l’administration pénitentiaire de lui remettre son dossier médical.

    Tags: maroc, rif, hirak, nasser zefzafi, militarisation,

  • Maroc : La maladie du snobisme mine la résistance contre le Makhzen

    Un peuple désuni sera toujours vaincu

    Le snobisme est un comportement qui peut frapper n’importe quel commun des mortels, celui de croire que nos goûts (ou nos pensées) sont supérieurs aux autres. Pour Prouste, le snobisme est une maladie grave de l’âme, mais localisée et qui ne la gâte pas tout entière.

    Les marocains semblent gravement atteints par cette malaldie. Au Maroc, certains gauchistes snobent d’autres, les arabes snobent les amazighs, les amazighs snobent les sahraouis, les « zefzafiens » snobent les républicains, et tout le monde snobe le prince Hicham El Alaoui. Un peuple conflictif dont le point faible le plus grave est la désunion causée par cette arrogance qui mine l’esprit de chacun. Ce peuple semble fonctionner en mode individualisé, comme si chacun était une entreprise personnel. Comme si son seul intérêt était focalisé sur son « égo», se passant du sort des autres.

    Hicham El Alaoui mène un travail impeccable malgré les difficultés qu’il doit affronter: d’un côté, les manœuvres du Makhzen, et, d’un autre, la marginalisation des prétendus démocrates marocains qui lui demandent de renoncer à la fortune qu’il a hérité de son père. Une jalousie déguisée en revendications démocratiques. On dirait qu’ils veulent lui couper les ailes avec lesquelles il se bat contre son cousin germain.

    Le résultat de ce snobisme est évident : le peuple est désuni. Une situation créée par le Makhzen et dont il profite. Il peut agir en toute liberté après avoir semé la désunion au sein de tous les milieux de l’opposition, qu’elle soit rifaine ou autre. Il récolte le fruit de son travail. Il sent qu’il peut frapper comme il veut, notamment dans le domaine dont il excelle : la répression. Sans aucune crainte et avec la certitude qu’il a le soutien de la France, ce qui le rend encore plus arrogant. Un peuple désuni sera toujours vaincu. Le Rif en est un bel exemple.

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, gauche, opposition, républicains,

  • Maroc – Rif : « L’État marocain nous étouffe » (Nasser Zefzafi)

    Par Btisam Akarkach

    La mort d’un poissonnier, Mouhcine Fikri, a provoqué une rébellion populaire dans le nord du Maroc. Depuis six mois, les Marocains descendent dans la rue pour manifester contre la politique de leur gouvernement. MO* s’est entretenu avec un des leaders du mouvement populaire du Rif, Nasser Zafzafi.

    Les manifestations du Rif ne laissent pas les Marocains d’Europe indifférents. À la suite des contestations sociales, plusieurs comités ont vu le jour en Europe (en Belgique, Norvège, Pays-Bas, Espagne, France et Allemagne) pour soutenir le mouvement populaire de la région du Rif.

    Ce 8 avril 2017 avait lieu le premier rassemblement européen de ces comités. Ils reconnaissent n’en être qu’à leurs débuts, mais déclarent se consacrer entièrement aux préparatifs nécessaires pour soutenir la région du Rif dans différentes matières. Ces comités européens seront d’une importance capitale pour la cause rifaine, cela ne fait pas le moindre doute. En effet, 30 % des Rifains ont émigré en Europe.

    MO* s’est entretenu avec l’un des leaders du mouvement populaire du Rif, Nasser Zafzafi.

    Diverses vidéos des protestations du Rif circulent sur les réseaux sociaux. La plupart sont des enregistrements de vos discours. Pouvez-vous brièvement nous dire qui vous êtes et quel est votre rôle dans cette révolte populaire ?

    Nasser Zafzafi : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour cette interview nécessaire. Si je dis nécessaire, c’est parce que l’État marocain emploie ses journalistes pour contrer ces manifestations pacifiques. Pour la réprimer, l’État assombrit et manipule la réalité. Il a une phobie du journalisme objectif et entrave la diffusion d’informations honnêtes.

    ‘L’État marocain a une phobie du journalisme objectif et entrave la diffusion d’informations honnêtes’

    Je m’appelle Nasser Zafzafi et je suis, comme les autres personnes qui défilent dans la rue, un simple citoyen. Comme eux, je subis la même humiliation et la même injustice persistantes dont cet État se rend coupable jour après jour. L’État et sa politique ont entraîné la mort de notre camarade Mouhcine Fikri. L’État marocain poursuit une politique de répression économique, sociale et culturelle des Rifains. Aujourd’hui, nous répétons : c’en est assez !

    Je suis donc, en bref, un Rifain de la province d’Al-Hoceima et je ne suis pas d’accord avec cette tyrannie qui perpétue cette dynamique de la violence.

    Vous parlez de revendiquer des droits. De quoi s’agit-il, concrètement ?

    Nasser Zafzafi : Il s’agit de droits qui reviennent à la population du Rif. D’exigences d’ordre économique, politique et culturel prévues par la loi, à savoir la création d’emplois, d’hôpitaux équipés en état de fonctionnement, d’une université où les gens puissent étudier.

    De plus, la région du Rif est considérée comme une zone militarisée depuis l’indépendance du Maroc, proclamée en 1956. À tout moment, l’armée a son mot à dire dans la région. On peut la comparer à une zone de guerre où l’armée peut se déployer dès que le roi le souhaite. Et seul le roi peut abroger cette loi. C’est pourquoi nous exigeons explicitement la levée de la militarisation du Rif. Nous avons compilé toutes nos exigences dans un dossier qui a été remis à l’État.

    Zone militarisée

    En octobre, les manifestations avaient pour motif la mort de Mouhcine Fikri. L’attention semble aujourd’hui dirigée contre la militarisation du Rif. Est-ce que les manifestations populaires d’aujourd’hui ont changé d’objectif?

    Nasser Zafzafi : Leur objectif n’a certainement pas changé, mais n’oublions surtout pas la cause de la mort de Mouhcine Fikri. La politique menée dans le Rif est à l’origine de son destin tragique. Cette stratégie n’est pas comparable à celle poursuivie à Rabat, Fez, Casablanca …

    Cette affaire a débuté fin octobre dans le port de pêche d’Al-Hoceima. Mouhcine Fikri y a été arrêté avec son chargement d’espadons au sortir du port. Effectivement, la pêche à l’espadon est interdite au Maroc en cette saison, mais les autorités corrompues ferment pourtant les yeux à Al-Hoceima et dans les autres ports marocains. Il existe un marché pour cette espèce de poissons.

    ‘Nous exigeons la fin de la corruption. Nous exigeons de l’emploi, une université, des hôpitaux équipés …’

    Vous devez par ailleurs savoir que Mouhcine n’avait pas pêché ces poissons, mais qu’il les avait achetés dans le port, sous les yeux attentifs des autorités locales ! Puisqu’il refusa de leur payer un pot-de-vin, ils ont voulu l’humilier et détruire sa marchandise dans un camion à ordures, pour faire étalage de leur position de force. Le jeune homme et ses amis ont alors sauté dans la benne pour protester. L’agent cria ‘Broie cet idiot’. La benne fut mise en marche et Mouhcine le paya de sa vie.

    Avec nos manifestations, c’est le système que nous dénonçons. Ceux qui refusent de verser dans la corruption se voient éliminés d’une manière ou d’une autre. De plus, les autorités peuvent très facilement brider le mouvement, quand vous savez qu’elles n’ont aucunement l’intention de légaliser quoi que ce soit dans la région. Dans le cas de Mouhcine Fikri, le motif était l’interdiction de pêcher l’espadon à cette période. La question que nous devons nous poser, c’est pourquoi Mouhcine a-t-il eu la possibilité d’acheter ce poisson malgré l’interdiction ? Et pourquoi cet espadon est-il disponible librement à Tanger, Fez et autres villes du Maroc, à cette même période ?

    Pour éviter d’autres victimes, nous avons rédigé des revendications concrètes. Nous exigeons la fin de cette politique de corruption. Nous exigeons des emplois, une université, des hôpitaux équipés … Ce sont ces revendications simples qui réunissent les Rifains aujourd’hui.

    La mort de Mouhcine a été la goutte qui a fait déborder le vase, qui a mobilisé la population à descendre dans la rue pour manifester contre les politiques qui sont non seulement corrompus et agressifs, mais qui délaissent aussi systématiquement la région et la forcent à l’isolement.

    Pression de l’État

    Ces revendications sont-elles entendues ? Avez-vous pu dialoguer avec les autorités ?

    Nasser Zafzafi : Cela fait près de six mois que nous manifestons. Près de six mois que nous faisons pression sur les autorités pour qu’elles réagissent. Nous n’avons reçu aucune réaction à notre dossier. L’État ne veut pas d’un dialogue. Il craint les révoltes sociales parce que les manifestants n’ont pas d’ambition politique. Il nie leur existence dans l’espoir que les actions de protestation s’essoufflent.

    L’État et ses lobbyistes veulent rendre la région invivable, nous forcer à émigrer. Les autorités n’ont jamais porté cette province dans leur cœur. Et encore moins depuis l’indépendance du Maroc. Notre province est démocratique, elle ne tolère ni corruption, ni injustice. Voilà pourquoi l’État déploie ces forces incroyables pour réprimer la province d’Al-Hoceima.

    Quelle proposition constructive de l’État attendez-vous, au juste ? Qu’est-ce que les autorités marocaines pourraient offrir ?

    ‘Le Maroc aime se présenter comme un pays démocratique en plein essor, comme un pays qui connaît une nouvelle ère démocratique et qui a laissé la sombre ère d’Hassan derrière lui. Voici le visage hypocrite que le Maroc présente au monde extérieur.’

    Nasser Zafzafi : Un dialogue, pour commencer. Puisque les protestations sociales et les manifestations ne sont pas bien vues au Maroc, il ne faut pas compter trop vite sur la collaboration de l’État. Cette révolte populaire inquiète les autorités élitistes parce qu’elle expose de nombreux points douloureux. La génération qui se soulève aujourd’hui ne connaît pas la peur. Elle fait ressortir la véritable nature du Maroc. Le Maroc aime se présenter comme un pays démocratique en plein essor, comme un pays qui connaît une nouvelle ère démocratique et qui a laissé la sombre ère d’Hassan derrière lui. Voici le visage hypocrite que le Maroc présente au monde extérieur.

    Cette révolte populaire prouve que le Maroc n’est qu’un théâtre de marionnettes. Aux autorités, nous clamons haut et fort : assez de cette animosité envers la population marocaine. Assez de ces humiliations et de cette hypocrisie. Il est désormais urgent d’entamer le dialogue avec la population marocaine, ses revendications doivent être concrétisées. Et la politique extravagante que l’État mène dans le but d’étouffer encore plus les habitants de la région du Rif doit cesser immédiatement ! Cette province ne supportera pas encore plus de marginalisation et de destruction.

    Mouvement populaire

    La province d’Al-Hoceima a-t-elle aussi un comité qui dirige cette révolte ?

    Nasser Zafzafi : Non. C’est justement là la force de la révolte. Chaque personne qui sort de chez elle le fait en tant qu’individu. Aucune organisation ne guide ou ne motive les citoyens. C’est la situation misérable des Rifains qui les pousse à sortir en nombre dans la rue.

    ‘Nous formulons nos exigences lors de manifestations et de rassemblements publics. Maintenant, c’est au tour des autorités de venir nous parler.’

    Nous sommes un mouvement populaire, tout le monde est bienvenu. Aucune idéologie ne prévaut sur une autre. C’est notre discours. Nous formulons nos exigences lors de manifestations et de rassemblements publics. Maintenant, c’est au tour des autorités de venir nous parler. Mais la seule forme de communication de l’État, c’est la violence qu’il nous adresse.

    Dans divers États européens, des comités de suivi et de soutien des protestations populaires du Rif ont vu le jour. Quel rôle la diaspora peut-elle jouer ?

    Nasser Zafzafi : Avant toute chose, les émigrés marocains doivent se demander pourquoi ils vivent à cet endroit précis. L’Europe avait besoin de main d’œuvre, certes, mais il ne faut pas oublier l’histoire qui a précédé cette migration.

    C’est pourquoi nous nous adressons en premier lieu aux Marocains de la première génération. À ceux qui, jeunes hommes, sont partis dans les années soixante et septante pour “un travail temporaire”. Ceux qui sont partis plus tard pour l’Europe avec, par exemple, un visa étudiant ou de rassemblement familial font évidemment aussi partie du mouvement. Ils suivent les événements de notre pays. Ils ont créé les comités. Mais les Marocains de l’ancienne génération doivent prendre leurs responsabilités et se défaire de leurs angoisses. Ils doivent raconter à leurs enfants, à leurs petits-enfants la souffrance des années Hassan, qui était responsable de la faim et de l’angoisse qu’ils ressentaient. C’est cette pression qui les incita à émigrer.

    Notre mouvement populaire ne les renie pas. Pendant les vacances d’été, nos compatriotes émigrés viennent ici, leur ticket pour le Maroc leur coûte souvent plus cher que pour un autre pays.

    Quand ils arrivent en voiture ou en bus aux ports, ils sont traités de manière inhumaine, comme dans les aéroports.

    Quand ils veulent régler leur affaires ici, comme les héritages ou autre, aucune institution ne les oriente. Au contraire : au Maroc, les autorités exigent des pots-de-vin pour tout. Pour l’État, l’unique intérêt qu’ils représentent, c’est l’argent qu’ils apportent dans leurs valises ou envoient au Rif. Argent que l’État s’empresse de rafler. Sérieusement, est-ce là le suivi que le Maroc propose à des sujets qui lui rapportent des milliards ?

    Faire du bruit

    Nasser Zafzafi : Nous demandons également aux Marocains de la diaspora de se mobiliser dans les pays où ils résident. De se montrer pendant les manifestations. Non seulement pour eux-mêmes, mais aussi par solidarité avec les Rifains au Maroc. En tant qu’activistes pour les droits de l’homme, nous leur demandons de dénoncer l’injustice. Ici, ils ont de la famille, des proches dans le besoin qu’ils soutiennent et qu’ils font même émigrer en Europe. Pourquoi ? Si l’État prenait ses responsabilités dans le Rif et lui permettait de se développer, il libérerait sa diaspora d’un grand poids financier.

    Ceux des plus jeunes générations de la diaspora envisagent différemment la protestation. Ils s’organisent avec les jeunes d’ici qui descendent dans la rue, ils se motivent les uns les autres pour participer aux manifestations sociales pendant les vacances d’été.

    Dans certaines mosquées d’Europe, on entend dire que nous faisons du bruit pour perturber la tranquillité de la région. Nous savons que certains imams en Europe travaillent pour les services de renseignement marocains. Ils récitent ce que le gouvernement marocain leur dicte. Ils ne sont pas démocratiquement élus par les musulmans européens. Ils ne connaissent même pas la société européenne. Nos compatriotes doivent oser s’opposer à ces pratiques. Chez nous, les protestations sociales sont pacifiques.

    Qu’avez-vous prévu pour les Rifains européens qui seront encore une fois nombreux à revenir, cet été ?

    Nasser Zafzafi : Du thé, des biscuits et un accueil chaleureux (rires). Nous allons bientôt convoquer des réunions et des rassemblements dédiés à l’organisation de l’été. Nous proposerons un programme à nos compatriotes de la diaspora. Nous voulons que d’une part, ils puissent comprendre ce qu’il se passe dans notre région, mais d’autre part aussi leur offrir une plateforme où ventiler leurs propres revendications. Nous devons travailler ensemble.

    Concrètement, que peuvent faire les Marocains d’Occident pour renforcer davantage encore les protestations dans la région ?

    Nasser Zafzafi : Les journalistes d’origine marocaine ou rifaine peuvent commencer par suivre la situation de la région et la rapporter objectivement. Il s’agit là de droits de l’homme, pas de chauvinisme. Au Maroc, les journalistes sont censurés. Sous pression, ils doivent publier des mensonges sur la révolte. Le rôle des journalistes européens est donc crucial pour notre cause marocaine.

    Comme vous l’avez mentionné, plusieurs comités ont été créés en Europe à la suite de cette révolte. Des rassemblements ont lieu en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en Norvège … Ralliez-vous. Nous partageons une même cause. L’Europe n’est plus ce qu’elle était. Sa prospérité n’est plus ce qu’elle était. Ces protestations donnent aux Marocains d’Europe la liberté de se sentir chez eux dans leur pays d’origine.

    Solidarité éphémère

    Peu après le décès de Mouhcine Fikri, beaucoup de marches de solidarité ont été organisées dans tout le Maroc. Peu à peu, les protestations se limitèrent au Rif. Comment l’expliquez-vous ?

    Nasser Zafzafi : Les Marocains ont manifesté leur solidarité avec Mouhcine Fikri. Ils ont exprimé leur mécontentement envers l’État marocain. L’État a vite réagi en affirmant que nous étions partisans du séparatisme, que l’Algérie nous a instrumentalisés dans le cadre du Front Polisario, que nous voulons faire du Maroc une seconde Syrie. C’est absurde ! Au contraire, nous voulons plus de démocratie, nous voulons la possibilité de vivre et de travailler comme en Norvège et au Danemark, où le peuple est libre de ses mouvements. Au moyen de leur politique étouffante et corrompue, les autorités veulent faire de notre pays une Syrie. Cette politique est responsable du taux de suicide élevé du Maroc, bien qu’il refuse fermement de le reconnaître.

    ‘Mais les personnes sont constamment intimidées et menacées de mort, elles n’osent donc plus se rebeller.’

    Et bien sûr, l’ensemble du Maroc a des problèmes. Mais les personnes sont constamment intimidées et menacées de mort, elles n’osent donc plus se rebeller. Il y a deux mois, un homme a succombé à des coups de matraques à Kenitra, parce qu’il revendiquait ses droits dans un bureau de police. Autre exemple à l’intérieur du pays : celui d’une femme qui vendait du pain dans la rue et perdu elle aussi la vie pour avoir invoqué ses droits.

    Les gens ont peur et ne sont par conséquent pas unis. Ils descendent quand même dans la rue, mais la cohérence leur fait défaut. Dans la région du Rif, la cohérence est bien présente. De plus, nous partons de notre propre réalité, nous avons des demandes spécifiques à notre région.

    L’humiliation et la corruption posent en fait un problème dans l’ensemble du pays ?

    Nasser Zafzafi : Évidemment. Mais bien que l’humiliation et la corruption soient devenues la norme, cela ne veut pas dire que nous devons les accepter. Ni chez nous, ni ailleurs. Nous, les Rifains, nous ne nous mettons pas à genoux. Nous sommes des citoyens démocratiques et libres qui connaissent bien leurs droits et ne tolèrent aucune humiliation.

    Quel est le rôle exact de l’armée ?

    Nasser Zafzafi : L’armée marocaine s’entraîne spécialement pour son travail dans cette région-ci, dans le Rif. Les soldats sont sélectionnés en-dehors du Rif et se font d’abord endoctriner. Une fois leurs esprits bien échauffés, ces forces de l’ordre sont envoyées dans la région, où elles s’en donnent à cœur joie. Les soldats énoncent des propos racistes, tapent dans tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin, volent dans les magasins, humilient les simples citoyens … Nous connaissons bien cette stratégie, au Maroc.

    ‘Au Maroc, provocation et manipulation sont monnaie courante’

    Malgré tout, nous les traitons avec respect. Nous épargnons leurs voitures, leurs maison, leurs bureaux lors de nos manifestations. Pourquoi ce respect n’est-il pas réciproque ? Parce que c’est leur protocole : nous provoquer, c’est leur tâche. Au Maroc, provocation et manipulation sont monnaie courante. Une dictature réserve ce même traitement à ses sujets. Elle ne soigne que sa petite élite tandis que le peuple n’a qu’à se soumettre. Ce pays est construit sur ce mécanisme.

    La différence avec le mouvement du 20 février

    D’après vous, en quoi la révolte actuelle diffère-t-elle du Mouvement du 20 février ?

    Nasser Zafzafi : Le Mouvement du 20 février touchait l’ensemble du Maroc. La différence aujourd’hui, c’est que la révolte trouve son origine dans la mort de Mouhcine Fikri. Ce qui explique pourquoi le mouvement est si enraciné dans la province. Ce mouvement social de protestation demande explicitement pourquoi la région ne reçoit pas un traitement égal au reste du Maroc.

    Autre différence : le Mouvement du 20 février remettait avant tout le pouvoir de la monarchie en cause, dans la lignée du Printemps arabe. Nous ne le faisons pas, nous exigeons des fonctionnaires d’État qu’ils prennent leurs responsabilités.

    En outre, ce mouvement populaire est pacifique. C’est primordial. Avant nos manifestations, nos agents de sécurité se tiennent prêts, on les reconnaît à leur gilet fluo. Il s’agit d’une initiative populaire. Ces agents assurent la sécurité des manifestants, mais aussi des services du gouvernement, des commerçants, des services de police, des voitures, des écoles … Cette différence est importante.

    J’ai remarqué que ce mouvement trouve écho chez les femmes, qui y sont bien représentées. Comment cela se fait-il ? Qu’est-ce qui les motive ?

    Nasser Zafzafi : Les femmes ont tout de même aussi le droit d’étudier, de travailler, de bénéficier de soins de santé … ? N’oublions pas que la majorité des personnes sans emploi sont des femmes. Souvent, les femmes sont également le moteur de la famille ; quand elles s’impliquent dans un projet, toute la famille suit. Ce mouvement populaire doit son succès à nos mères, qui sont descendues nombreuses dans la rue sans organisation ou institution. À l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars, beaucoup de femmes ont réaffirmé leur engagement dans le mouvement.

    ‘Ce mouvement populaire doit son succès à nos mères, qui sont descendues nombreuses dans la rue’

    Les protestations ont-elles déjà apporté un changement ?

    Nasser Zafzafi : Les autorités ont perdu le nord. Le mouvement de protestation continue de grandir. Elles ne s’y attendaient pas. L’État ne s’en tient pas à des informations, intimidations et menaces.

    L’armée est déployée dans la région, la police est plus présente dans les rues, les autorités s’infiltrent un peu partout, et j’en passe. La région grouille. Tous ces agents ne sont pas ouverts au dialogue.

    Leur objectif est d’effrayer la population.

    Les gens ne se laissent pas intimider. Ils continuent de défiler dans la rue, filment les événements avec leur smartphone pour démentir les mensonges des médias de l’État. Les smartphones fournissent des preuves importantes.

    Récemment, une manifestation pacifique menée par des écoliers d’Imzouren (Al-Hoceima) a été interrompue par les forces de l’ordre, qui ont eu recours à la violence. Les locaux (de la police) ont été incendiés, les policiers se sont réfugiés sur le toit. Les citoyens se sont précipités pour leur porter secours, pour éviter le drame. Ainsi travaillent les autorités : elles créent le chaos pour ensuite blâmer le mouvement de protestation.

    Pas de désir de dialoguer

    Désormais, le gouverneur de la région Tanger-Tétouan-Al-Hoceima, Mohamed El Yaacoubi, parcourt les rues d’Al-Hoceima pour les caméras des médias d’État, pour feindre une forme de rapprochement. Les vidéos réalisées par les citoyens démontrent qu’il n’est absolument pas ouvert au dialogue. Il évite les questions des revendications ou celles qui concernent le mouvement de protestation.

    ‘Ses habitants nourrissent un espoir de changement. Si nous continuons à manifester pacifiquement et si nous continuons à propager notre histoire, je suis certain que nos revendications seront entendues’

    Que prévoyez-vous à long terme pour le Rif ? Comment envisagez-vous l’avenir ?

    Nasser Zafzafi : Tout d’abord, nous pouvons déjà dire que cette révolte est fructueuse. Elle a réuni la région du Rif et elle est parvenue à ce qu’hommes et femmes osent revendiquer sereinement leurs droits et dénoncer l’État corrompu.

    Ce mouvement populaire a réussi à éveiller pour la première fois un vif intérêt en Europe pour la situation du Maroc et du Rif. Voilà pourquoi ce mouvement, c’est aussi notre avenir. Avant la création du mouvement populaire, le suicide était fréquent chez les jeunes. Depuis l’avènement du mouvement populaire, je n’ai plus entendu parler de suicide dans la région. Ses habitants nourrissent un espoir de changement. Je vois un avenir positif pour la région, pour le reste du Maroc et pour sa diaspora. Si nous continuons à manifester pacifiquement et si nous continuons à propager notre histoire, je suis certain que nos revendications seront entendues.

    Traduction : Marie Gomrée

    Source : Mondiaal Niews, 25 avr 2017

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, Nasser Zefzafi,

  • Maroc : l’État s’acharne contre les dirigeants de la révolte du Hirak

    Les 42 dirigeants du mouvement du Hirak, qui avait soulevé la région marocaine du Rif en 2016 et 2017 ont vu leurs peines confirmées par la Cour d’appel de Casablanca : elles sont de 15 à 20 ans de prison pour ceux désignés comme les responsables de ce prétendu « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État » selon les termes employés par la justice.

    Le mouvement du Hirak avait été déclenché par la mort d’un vendeur de poissons, broyé dans une benne à ordures en tentant de s’opposer à la saisie de sa marchandise.

    La dictature marocaine, qui bénéficie du soutien sans faille de l’État français depuis des décennies, entend terroriser les classes populaires pour briser toute contestation.

    Il faut espérer qu’elle n’y parviendra pas, d’autant que ce qu’accomplit en ce moment le peuple algérien les aidera à renforcer leur détermination.

    Lutte ouvrière

    Photo : Lahcen Tofli, le juge qui a condamné les rifains

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, répression,

  • Maroc – Rif : Réactions au verdict contre les prisonniers politiques rifains

    Epouse de Mohammed Jalloul :

    « En tant qu’épouse de Mohamed Jalloul, les Jugements injustes contre nos enfants enlevés,que l’Éternel se venge de vous, ennemis de la liberté. J’ai beaucoup souffert pendant des années , aussi, je ne m’attendais pas à rien de bien de votre part.

    Que Vive le RIF et que vivent tous les prisonniers politiques intrépides du mouvement rifain. Nous marcherons sur leurs traces !

    En 2012, mon mari Mohamed Jalloul a passé injustement et agressivement plus de 5 ans de prison.Il a été enlevé immédiatement après sa libération, quatre semaines seulement après avoir embrassé la liberté, je resterai inébranlable, tout comme la ténacité de mon mari. »

    Fille de Mohamed Jalloul :

    « Vous avez donné 10 ans à papa, mais il a 3 enfants qui prendront la relève ». Cet Etat n’aime que les corrompus ».

    Kati Piri, Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen :

    « Au milieu de la nuit, la cour d’appel de Casablanca a confirmé les années de peines contre les prisonniers politiques du mouvement hirak. Malgré le manque de preuve, malgré les nombreux rapports des organisations de droits de l’homme et malgré les dégâts énormes que le régime et le Maroc portent à son image.

    Mes pensées vont aux leaders du hirak, à leurs familles, à tous les rifains. Le petit peu d’espoir de la justice a été remis à la défaite aujourd’hui. Même si nous savions tous qu’il s’agit d’un processus politique, qui ne tourne pas autour de la vérité… J’espérais que la pression internationale croissante sur le gouvernement marocain leur ferait comprendre qu’ils ne pouvaient pas continuer comme ça.

    Le régime a joué et a pris la mauvaise décision. C’est parti et on ne peut pas s’en sortir ! Vous ne pouvez pas continuer à réprimer un peuple sans conséquences. Vous ne pouvez pas détenir des manifestants innocents pendant des années et penser que tout reste juste à l’ancienne. Les rifains méritent notre solidarité ! La lutte pour la libération des prisonniers de hirak continue et cela ne fait qu’aggraver la situation. Nous allons continuer jusqu’à ce que les derniers prisonniers politiques soient libérés. »

    Rosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité :

    Alors que l’Algérie se soulève pour la liberté et la démocratie, au Maroc voisin, Nasser Zefzafi et ses compagnons détenus depuis bientôt 2 ans pour avoir revendiqué la justice sociale et la fin de l’arbitraire. Mêmes peuples, mêmes maux, même mouvement de libération.

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, verdict, prisonniers rifains,

  • Maroc – Rif : Un verdict prononcé au milieu de la nuit

    C’est la nuit dernière, alors que le Maroc et son environnement régional, l’Afrique du nord et l’Europe comprise, étaient endormis, que la cour d’appel de Casablanca a confirmé de manière quasi-confidentielle, les très lourdes peines prononcées en première instance à l’encontre des détenus du Hirak du Rif, pour avoir revendiqué la justice sociale, l’égalité et la liberté. Cela, juste une semaine après le tohu-bohu de la visite du pape François 1er qui avait couvert de louanges la politique de Mohammed VI en matière de tolérance.

    Légitimé à grand coup d’eau bénite, le régime marocain a pu ainsi accomplir ce qu’il fait de mieux : une mascarade de justice effectuée en catimini, nous révélant un peu plus, malgré l’absolution papale, la vraie nature de cette tyrannie despotique et autoritaire qui gouverne le Maroc . Ceci avec le silence aussi bienveillant qu’assourdissant des grandes puissances du Conseil de Sécurité, et de la plus grande partie de la Communauté internationale.

    « Êtes-vous un gouvernement ou un gang ? » Cette question avait été posée il y a des années par Abdelkrim au gouvernement du Maroc. Une question que l’on est obligé de poser à nouveau, chaque fois que le makhzen réprime un peu plus une partie de son peuple et surtout les Rifains, accusés de tous les maux par la monarchie alaouite. Cette répression vise avec une brutalité implacable les membres du mouvement du Hirak. Les charges retenues contre ceux-ci sont d’une incroyable gravité alors qu’il ne s’agit que de simples manifestants. Les plus gratinées vont du complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat jusqu’à l’apologie du terrorisme.

    Jamais la moindre preuve plausible n’a été apportée par l’accusation. D’ailleurs s’il y en avait, on nous submergeraient matin, midi et soir dans les médias avec les images de « dépôts d’armes rifains », ou de commentaires sur les « complots » de ces « éternels rebelles », sans parler de bien d’autres clichés dont on nous affuble et qui tous, au passage, légitiment depuis l’indépendance une occupation militaire en bonne et due forme du Rif, accompagnée d’exactions brutales ainsi que de son lot quotidien de brimades et de vexations. S’il y a une réalité que le régime marocain se garde bien de rappeler et qui en l’occurrence n’est pas un cliché, c’est l’état de sous-développement qui est maintenu dans le Rif par le makhzen, malgré toutes les déclarations officielles prétendant le contraire.

    Or que voulaient les manifestants condamnés jusqu’à 20 ans de prison en première instance et dont la peine a été confirmée en appel par la même parodie de justice? Ils voulaient juste dénoncer le fossé grandissant entre le peuple et des dirigeants qui mêlent affaires et gestion politique, le degré de corruption de l’Etat qui contraste avec l’état de dénuement du peuple du Rif et même bien au-delà, et enfin le déploiement de forces militaires en réponse à la demande des Rifains d’équipements hospitaliers et universitaires.

    En quoi le mot d’ordre « Vivre, étudier, travailler, se soigner et vieillir dignement au pays » porte-t-il atteinte à la sûreté de l’Etat où fait-il l’apologie du terrorisme? Ceux qui portent atteinte le plus à la sûreté de l’Etat, ce sont de toute évidence les cercles dirigeants du Maroc qui confondent les deniers publics avec leurs propres dirhams, les mêmes qui expédient l’argent mal acquis du peuple dans les paradis fiscaux comme Panama, et ceux qui, comme les dirigeants du makhzen manipulent la justice en dépit du bon sens pour délivrer des sentences iniques, piétiner les droits humains et pousser les peuples au désespoir et à la colère.

    Radia. A

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