Étiquette : répression

  • De la prostitution politique au Maroc

    En jettant un bref regard sur le paysage politique marocain, l’observateur avéré constaterait rapidement l’existence d’un palais qui décide de tout, un entourage royal qui oriente et influence ces décisions, et quelques valets/fusibles politiques qui se chargent de la basse besogne comme les Walis et autre commis de l’Etat.

    En descendant plus bas, dans les profondeurs des cloaques du champ politique, on trouve tous les partis politiques sans exception dont le rôle est de projeter à l’extérieur une image de démocratie et offrir au régime un semblant de légitimité à cette mascarade étatique. Des partis qui ont vendu leur âme au diable en échange d’un minable ministère ou un autre poste de responsabilité.

    Dans le but de permettre au lecteur de mieux cerner les relations complexes générées par l’allégeance au Makhzen à différents niveaux et par des profils très hétérogènes, nous pouvons comparer le fonctionnement de ces bas-fonds politiques à une maison close pleines de prostituées les unes plus moches que les autres, sans vouloir offenser les dames qui s’addonnent au métier décrit comme « le plus vieux métier du monde ».

    Le système de rémunération de ce bordel n’a rien d’inventif : Un proxénète (Fouad Ali El Himma étant le plus réputé) va chercher des hommes politiquement vierges à la sortie des prisons de Hassan II. En fonction de leur soumission – en raison des souffrances qu’ils ont subies – le proxénète leur propose un poste dans le bordel matérialié par un pseudo parti du Makhzen ou une fonction de haute responsabilité dans l’Etat. L’importance du poste dépendra des années que le candidat a passé dans les géôles du régime. Il devra oeuvrer a relooker l’image du fils du monarque qui était à l’origine de son emprisonnement, sa torture et son humilliation pendant des années. Bien sûr, contrairement aux prostituées sexuelles, les prostitués politiques n’ont pas l’ombre d’une dignité.

    Ainsi, le nouveau pion vendra son passé militant dans le but de servir son nouveau maître, celui-là même qui lui enfonçait une bouteille dans l’anus lors de son séjour à Tazmamart, Derb Sultan, Galaat Mgouna ou ailleurs.

    A titre d’exemple, il y a lieu de citer celui dont les marocains adorent rappeler son origine sahraouie en vue d’alimenter leur sentiment obsessionnelle vis-à-vis de l’esprit combatif de la population du Sahara Occidental, Mohamed Saleh Tamek, devenu le patron des prisons au Maroc.
    Ancien militant du Front Polisario, Tamek a retourné la veste pour devenir le géôlier en chef du royaume des la cruauté, l’humilliation et la hogra.

    La mission des nouveaux thuriféraires de Mohammed VI est de faire avaler aux marocains que la monarchie sanguinaire a tourné la page, que pratiques de torture et d’enlèvement font désormais partie d’un passé révolu et que les perspectives présentent des horizons plus favorables. C’est le rôle qu’ils jouent dans une honteuse comédie appellée « L’oubli » qui méprise le droit des victimes et détruit la mémoire collective des marocains.

    Les rifains ont eu l’occasion de goûter au plat servi par les nouveau serviteurs du palais royal. Les citoyens sont broyés par un camion-poubelle à Al Hoceima ou écrasés avec des fourgonnettes à Jerada pour la simple raison de revendiquer un emploi.

    Tags : Maroc, années de plomb, thuriféraires, répression, prostitution politique,

  • Maroc : Les horreurs du Makhzen dans le Rif

    En 1958 et 1959, les habitants du Rif, une région du Nord du Maroc se soulevérent. Une terrible répression allait suivre. Des événements qui ont beaucoup de mémoire et peu d’histoire.

    Une partie de cette histoire est racontée par Tarik El Idrissi dans son documentaire « Rif 58-59 : Briser le silence ».

    De ce documentaire, nous avons choisi un passage du témoignage d’Ahmed Benseddik.

    Témoignage d’Ahmed Benseddik

    Il m’a dit : « Ils m’ont beaucoup torturé…Ils ont arraché les ongles des mains à ton grand-père et les ongles des pieds ainsi que les deux dents qui lui restaient. Cela n’est rien, mais le pire c’est qu’ils m’ont jeté par terre et l’un d’eux s’est mis à me piétiner et m’a éclaté le thorax.

    Ils ont emmené mon père du village alors que j’étais encore enfant. Il a passé quelque temps en prison. Quand je suis allé le voir, le chef esst sorti et il m’a dit : « Pourquoi es-tu venu ? ». Je lui ai dit que j’étais venu voir mon père. Il me demanda : « D’où es-tu venu ? ». Je lui ai répondu :  « De Beni Hadifa ». « Donc, tu es également de Beni Hadifa, fils de… et en plus tu oses venir ici. » Il m’a donné une bonne raclée me laissant couvert de sang.

    Sur le chemin du retour, j’ai rencontré un soldat qui a sorti une arme et m’a emmené au loin, puis il me dit : « Choisis entre deux choses : soit je te le fais, soit je te tue. » Je lui ai dit :  « Tue-moi c’est mieux ». Te faire signifie violer et moi j’étais encore enfant. Je lui dis « tue-moi, c’est mieux ». Il me dit : «creuse ta tombe parce que je vais te tuer ». Il m’a enleveé mes vêtements, je suis resté en caleçon, et je me suis mis par terre en attendant qu’il me tue. A la fin, il me dit : « Je ne veux pas te tuer, je voulais juste te violer, tu peux t’en aller maintenant ».

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, répression,

  • Il n’y a pas de conditions propices pour réintégrer les anciens djihadistes au Maroc (Think tank)

    Selon une étude conjointe publiée par Egmont Institute et la Fondation Konrad Adenauer Stiftung, deux think tanks belge et allemand respectivement, les autorités marocaines procèdent incessament au démantèlement de cellules terroristes avant qu’ils ne passent à l’acte, ce qui pourrait induire à des erreurs et à « l’emprisonnment de personnes qui n’ont été impliquées dans aucune activité terroriste ».

    Le Maroc a renforcé son dispositif sécuritaire en créant le Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ) et en déployant 50.000 informateurs gérés par le Ministère de l’Intérieur. Ces mesures pourraient imposer un contrôle excessif sur la société marocaine allant jusqu’à affecter le liberté d’expression, la liberté de la presse et d’autres libertés civiles au nom de la lutte contre le terrorisme. L’étude cite un rapport de Human Rights Watch publié en 2017 dénonçant la pratique de la torture sur des personnes soupçonnées de terrorisme.

    En 2014, les autorités marocaines ont renforcé le code pénal avec des lois plus sévères dont des peines allant de 5 à 15 ans de prison et 45 000 euros d’amende pour tout Marocain qui rejoint ou tente de rejoindre une organisation armée non étatique, à l’intérieur ou à l’extérieur du Maroc. Dans cette même lignée, il a mis en place un programme de dé-radicalisation dans les prisons connu sous le nom de « Reconciliation » conçu pour les djihadistes marocains rapatriés ainsi que ceux qui n’ont jamais quitté le pays.

    Le programme, qui dure quatre mois, comprend des conseils psychologiques, des enseignements théologiques et des outils nécessaires à la réinsertion dans la société. Dans sa première version en 2016, 25 détenus volontaires ont bénéficié de ce programme. En 2018, ce chiffre est passé à 300. Ceux qui réussissent le programme sont libérés par décret royal de grâce.

    Mais, selon les analystes européens, ce programme est limité au séjour en prison des personnes concernées, mais, une fois libérés, il leur est difficile de réintégrer la société en raison du manque d’emploi et d’une position économique et culturelle leur permettant de faire partie de la société. Après tout, beaucoup de Marocains qui ont rejoint les rangs de l’État islamique n’avaient pas ce sentiment d’appartenance à la société et étaient issus d’un milieu social, économique et culturel très bas.

    A part ce programme de réconciliation, ajoute l’analyse, le Maroc n’a pas conçu d’autre programme spécifique pour les ex-combattants rapatriés. A cela il convient d’ajouter que le royaume chérifien n’a pas résolu le problème des citoyens à double nationalité ni répondu au débat sur les femmes et les enfants. Ni celui des orphelins des ex-combattants, car dans les camps syriens, plus de 2500 enfants solitaires sont en train d’attendre une réponse des gouvernements européens ainsi que de ceux d’Afrique du Nord.

    Une autre particularité du cas marocain est que 80% des recrutements de djihadistes ont été effectués via les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, car en raison du contrôle serré de la situation dans les rues et dans la société marocaine, il est difficile de le faire en personne comme c’était le cas dans d’autres pays du Maghreb tels que la Tunisie et l’Égypte.

    Tags : Maroc, BCIJ, lutte antiterroriste, terrorisme, djihadistes, retour, répression, réintégration, Syrie, Irak,

  • Il n’y a pas de conditions propices pour réintégrer les anciens djihadistes au Maroc (Think tank)

    Selon une étude conjointe publiée par Egmont Institute et la Fondation Konrad Adenauer Stiftung, deux think tanks belge et allemand respectivement, les autorités marocaines procèdent incessament au démantèlement de cellules terroristes avant qu’ils ne passent à l’acte, ce qui pourrait induire à des erreurs et à « l’emprisonnment de personnes qui n’ont été impliquées dans aucune activité terroriste ».

    Le Maroc a renforcé son dispositif sécuritaire en créant le Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ) et en déployant 50.000 informateurs gérés par le Ministère de l’Intérieur. Ces mesures pourraient imposer un contrôle excessif sur la société marocaine allant jusqu’à affecter le liberté d’expression, la liberté de la presse et d’autres libertés civiles au nom de la lutte contre le terrorisme. L’étude cite un rapport de Human Rights Watch publié en 2017 dénonçant la pratique de la torture sur des personnes soupçonnées de terrorisme.

    En 2014, les autorités marocaines ont renforcé le code pénal avec des lois plus sévères dont des peines allant de 5 à 15 ans de prison et 45 000 euros d’amende pour tout Marocain qui rejoint ou tente de rejoindre une organisation armée non étatique, à l’intérieur ou à l’extérieur du Maroc. Dans cette même lignée, il a mis en place un programme de dé-radicalisation dans les prisons connu sous le nom de « Reconciliation » conçu pour les djihadistes marocains rapatriés ainsi que ceux qui n’ont jamais quitté le pays.

    Le programme, qui dure quatre mois, comprend des conseils psychologiques, des enseignements théologiques et des outils nécessaires à la réinsertion dans la société. Dans sa première version en 2016, 25 détenus volontaires ont bénéficié de ce programme. En 2018, ce chiffre est passé à 300. Ceux qui réussissent le programme sont libérés par décret royal de grâce.

    Mais, selon les analystes européens, ce programme est limité au séjour en prison des personnes concernées, mais, une fois libérés, il leur est difficile de réintégrer la société en raison du manque d’emploi et d’une position économique et culturelle leur permettant de faire partie de la société. Après tout, beaucoup de Marocains qui ont rejoint les rangs de l’État islamique n’avaient pas ce sentiment d’appartenance à la société et étaient issus d’un milieu social, économique et culturel très bas.

    A part ce programme de réconciliation, ajoute l’analyse, le Maroc n’a pas conçu d’autre programme spécifique pour les ex-combattants rapatriés. A cela il convient d’ajouter que le royaume chérifien n’a pas résolu le problème des citoyens à double nationalité ni répondu au débat sur les femmes et les enfants. Ni celui des orphelins des ex-combattants, car dans les camps syriens, plus de 2500 enfants solitaires sont en train d’attendre une réponse des gouvernements européens ainsi que de ceux d’Afrique du Nord.

    Une autre particularité du cas marocain est que 80% des recrutements de djihadistes ont été effectués via les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, car en raison du contrôle serré de la situation dans les rues et dans la société marocaine, il est difficile de le faire en personne comme c’était le cas dans d’autres pays du Maghreb tels que la Tunisie et l’Égypte.

    Tags : Maroc, BCIJ, lutte antiterroriste, terrorisme, djihadistes, retour, répression, réintégration, Syrie, Irak,

  • Maroc : Naufrage d’une embarcation suite à une bagarre entre migrants !

    Le bateau a chaviré à 100 mètres de la plage de Sabadia, dans la région d’Al Hoceima, alors qu’il se rendait en Espagne

    Selon le site El Faro de Ceuta qui cite une une source sécuritaire, un bateau qui se dirigeait à l’Espagne a naufragé samedi au large des côtes marocaines. Un migrant marocain a été blessé et 14 autres de la même nationalité ont sorti indemnes.

    L’embarcation a chaviré à 100 mètres de la plage de Sabadia, située dans la région de la ville d’Al Hoceima, dans le nord du Maroc, à la suite d’une bagarre entre ses occupants.

    Quatorze des occupants du bateau sont revenus à la côte en nageant, tandis qu’un autre a été sauvé par la marine royale marocaine et transféré à l’hôpital provincial Mohamed V.

    La source a déclaré que deux des migrants qui étaient indemnes ont été arrêtés par la marine et remis à la police judiciaire.

    Selon le compte Twitter Arif Tweets, qui a rapporté le naufrage les passagers de cette embarcation sont des Rifans qui veulent échapper à la répression du Makhzen et certains entre eux ont péri dans leur tentative.

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, migration, répression,

  • Hicham Alaoui : « L’exception marocaine » est une idée française pour faire échec à l’aspiration démocratique au Maroc

    Source : Alifpost, 29/04/2019

    De l’exceptionnalisme à la singularité: L’expérience maghrébine dans une perspective contemporaine/ Hicham Alaui

    Aujourd’hui sera un jour de débat délibératif, je ne vous accablerai donc pas de discussions académiques excessives. Par-dessus tout, je voudrais vous souhaiter à tous la bienvenue à cet atelier, qui représente l’aboutissement d’un riche voyage intellectuel. Ce voyage a commencé en 2015, lorsque le professeur Stephen King, le professeur Abdeslam Maghraoui et d’autres interlocuteurs ont commencé à organiser une conférence pour explorer la politique contemporaine en Afrique du Nord.

    L’effort qui en a résulté en avril 2016 a rassemblé un cercle impressionnant d’universitaires dans un atelier chargé pour engager les courants sociaux, économiques et politiques du Maghreb. Les contributeurs à ce projet sont devenus les auteurs de divers chapitres de ce nouvel ouvrage, que nous sommes tous heureux de voir se concrétiser. En même temps, je suis intimidé par les connaissances dans cette salle. Beaucoup d’entre vous connaissent mieux que moi les nuances empiriques et les contours théoriques de la région. C’est pourquoi, dans cet esprit, permettez-moi de ne présenter qu’une seule idée en guise de réflexion dans le cadre de nos discussions. Je présente cette idée non pas comme un technicien académique mais comme un citoyen privé marocain qui, d’un point de vue unique en tant que chercheur et témoin, a vu cette région évoluer au fil des décennies.

    Il y a longtemps eu une idée qui se cache dans le discours politique au sein du monde arabe, et même dans les milieux universitaires, sur l’exceptionnalisme maghrébin. Par ” exceptionnalisme “, j’entends l’idée que les États d’Afrique du Nord ne suivent pas le modèle général du Moyen-Orient ou d’autres pays en voie de modernisation. Au contraire, les pays du Maghreb évoluent à leur propre rythme en raison de leur spécificité culturelle.

    Dans le passé, l’argument en faveur de l’exceptionnalisme maghrébin a été mis à profit par divers acteurs au service de projets antidémocratiques. La France a invoqué cette croyance pour justifier sa domination coloniale. Il l’exploiterait à nouveau au cours des décennies suivantes en insistant sur le fait que c’était la stabilité et l’ordre, et non la transformation politique, qui étaient recherchés par les sociétés de l’Afrique du Nord. N’oublions pas la quintessence de la déclaration de l’ancien président français Jacques Chirac, qui, dix ans avant le printemps arabe, proclamait que les Tunisiens voulaient du pain et de la nourriture, et non la liberté et les droits humains. Une telle déclaration est venue du président du lieu de naissance de l’illumination.

    Ironiquement, de nombreux analystes ont réagi à la démocratisation tunisienne en affirmant que c’est le caractère exceptionnellement tolérant et libéral du pays qui a présidé à la révolution jasminienne. Il semble que l’exceptionnalisme ne meurt jamais. De même, pendant et après le printemps arabe, alors même que la Tunisie subissait ses changements révolutionnaires, les régimes marocains et algériens ont insisté sur le fait qu’ils restaient uniques par leur résistance et leur durabilité face aux troubles régionaux. La version algérienne de l’exceptionnalisme implique qu’une économie planifiée centralisée, une position géopolitiquement neutre et un tiers-mondisme d’origine révolutionnaire font du pays un candidat improbable à l’agitation révolutionnaire.

    L’exceptionnalisme au Maroc a reposé sur la persistance du monarchisme. Le régime royal est présenté comme une panacée essentielle, mystérieuse et même orientaliste aux besoins de la société marocaine, ce qui rend le pays résistant au changement. Autre exemple, des observateurs ont parfois suggéré que l’islam et l’islamisme en Afrique du Nord sont exceptionnels par leur caractère modéré et leur pratique historique.

    Cette notion plus large d’exceptionnalisme maghrébin peut aussi provenir en partie du discours postcolonial, qui a profondément imprégné la façon dont des générations d’Occidentaux sympathisent avec les luttes du monde arabe. Elle a été à son tour instrumentalisée par certaines élites françaises et leurs homologues autocratiques du Maghreb. Pourtant, aujourd’hui, près d’une décennie après le printemps arabe et alors que nous assistons à la dernière vague de changements politiques en Algérie, il est devenu évident que l’exceptionnalisme maghrébin est une idée qui doit être recalibrée.
    Ce que je propose, c’est que l’Afrique du Nord ne soit pas considérée comme exceptionnelle, mais comme singulière. Il y a une singularité maghrébine que l’on peut observer aujourd’hui, une singularité qui ne se définit pas par son insularité par rapport à d’autres événements ou traits immuables arabes, mais plutôt par la manière dont les forces structurelles se combinent et se recombinent d’une manière dynamique. En effet, le Maghreb est un microcosme du monde arabe. C’est là que réside sa singularité.

    Dans les seuls États d’Afrique du Nord, nous pouvons saisir les variations transversales spectaculaires qui caractérisent les tendances régionales plus larges. Nous voyons à la fois le monarchisme contre le républicanisme, la démocratie contre l’autoritarisme, l’ordre politique centralisé contre l’effondrement des États, la laïcité contre l’islamisme, et le rentierisme pétrolier contre le développement pauvre en ressources. La liste est longue : au sein de cette sous-région, nous avons une diversité extraordinaire. Le seul point commun entre les pays du Maghreb est peut-être la langue : tout le monde dans le monde arabe s’accorde à dire que nos différents dialectes nationaux sont tout aussi inintelligibles !

    Il y a beaucoup à déballer ici, au carrefour de la singularité maghrébine. Je voudrais me concentrer sur un seul aspect, à savoir les possibilités de changement démocratique au niveau macroanalytique. Permettez-moi de considérer un sous-ensemble du Maghreb, à savoir le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, que je connais bien. En Tunisie, comme nous le savons, il y a une démocratie électorale qui est en train de se consolider et qui lutte pour institutionnaliser l’État de droit. Sa démocratisation en 2011 n’était pas censée avoir lieu, étant donné les revendications répétées de l’exceptionnalisme maghrébin ou tunisien utilisé par les élites françaises dans leur soutien aux Ben Ali.

    Tout comme la Troisième Vague de la Démocratie, la démocratie tunisienne a été conçue à travers des pactes entre acteurs politiques concurrents. En l’espèce, ces acteurs concurrents étaient des islamistes et des laïcs. Divisés par une discorde idéologique mais incapables de se conquérir mutuellement, les partis islamistes et non islamistes tunisiens ont coopéré à travers une gouvernance houillère pour jeter les bases de leur transition démocratique, y compris les élections et le constitutionnalisme. Ce chemin n’était ni facile ni parfait. Les négociations islamo-sécularistes ont été marquées par des tensions et ont failli s’effondrer à plusieurs reprises. De plus, les luttes économiques, les questions de justice transitionnelle et la corruption ont accablé l’Etat tunisien.

    Pourtant, la Tunisie pourrait bien révéler que le mode de transition politique le plus avantageux au Moyen-Orient est la démocratie paritaire. Par conséquent, il peut être intellectuellement bénéfique de réengager l’étude comparative du pacting et des transitions pactées. Les acquis de la Tunisie ont également produit un fait extraordinaire qui n’a pas été mentionné dans les médias arabes. Lorsque Tunis a accueilli le 30e sommet de la Ligue arabe le mois dernier, c’était la première fois que la Ligue arabe se réunissait dans une démocratie arabe fonctionnelle.

    L’Algérie, aujourd’hui, présente une dynamique différente. Comme le montrent les événements qui se déroulent encore, les Algériens se rebellent depuis des années contre deux contraintes politiques. Le premier est le fantôme de la guerre civile des années 1990 et le long effet paralysant que son héritage a eu sur la mobilisation populaire et le pluralisme politique. A bien des égards, le soulèvement d’aujourd’hui montre que le pays “rattrape” le Maroc et la Tunisie pour ce qui est d’avoir son printemps arabe. Plus profondément, elle “rattrape” son propre passé en reprenant là où elle s’était arrêtée en 1988. La deuxième contrainte est l’autoritarisme militarisé qui caractérise l’Algérie depuis son indépendance, un autoritarisme où les forces armées gouvernent derrière une façade de pouvoir civil. L’ère Bouteflika a été une modeste reconfiguration, car l’ancien président Bouteflika s’est taillé un petit royaume d’autonomie exécutive en faisant appel à de nouvelles élites commerciales et en réorganisant les services de sécurité.

    En rejetant Bouteflika et le système autocratique au sens large, les Algériens rejettent également les trois formes d’évasion qui ont longtemps façonné la politique. Il s’agit de l’émigration vers l’Europe, du virage vers l’islamisme, de la déconnexion totale et de la marginalisation. Les Algériens appellent ceux qui ont fait ce dernier comme des hittistes, c’est-à-dire ceux qui s’appuient sur le mur. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le renversement de la tendance hittiste, dans laquelle de nombreux citoyens ont cherché à sortir du traumatisme politique par un désengagement existentiel.

    Ce moment politique marque la chute de Bouteflika aujourd’hui mais aussi le retour des militaires. Il s’agit d’une transition, mais pas nécessairement démocratique, car les manifestants continuent de faire pression contre l’État. En réponse, l’armée algérienne tente d’apprendre de son ennemi juré, le makhzen marocain. Il reflète le makhzen. Face à la contestation populaire, sa réaction sera de recycler le système afin de le pérenniser avec une nouvelle façade civile.

    Cela nous amène au Maroc, où le makhzen observe avec appréhension les événements en Algérie. Si le soulèvement algérien aboutit à une véritable transformation politique, il se trouvera dans une position délicate, car il sera seul à s’accrocher à l’ordre ancien. La politique marocaine dégage un stéréotype différent de l’exceptionnalisme maghrébin. Ici, la monarchie et ses institutions ont été justifiées en tant que piliers de l’ordre marocain, qui est par conséquent imperméable aux courants révolutionnaires et aux exigences démocratiques.

    Comme nous le savons, c’est trompeur. Le Maroc a connu des émeutes de grande ampleur dans les années 1960, deux coups d’État militaires qui ont failli renverser la monarchie, une mobilisation politique dans les années 1980 et 1990 et, au printemps arabe, une nouvelle vague de manifestations populaires. Plus récemment, avec l’atomisation de la société, les soulèvements se sont localisés. Le mouvement du Rif en est le dernier exemple, car les vives protestations qui y ont eu lieu depuis 2016 reflètent la colère politique, la marginalisation régionale et les exigences de dignité de la base.

    D’une part, l’Etat marocain conserve des outils familiers de maintien du pouvoir. Contre les partis politiques, elle s’est longtemps engagée dans la cooptation politique ou dans la marginalisation juridique. Entre-temps, contre la société civile marocaine, qui est devenue la véritable source de changement politique, l’État est devenu plus intolérant. Bien qu’il n’ait pas encore adopté une mentalité purement contre-révolutionnaire comme ses homologues monarchiques du Golfe, le régime est devenu plus rigide et rigide dans ses attitudes répressives envers la dissidence civique. Il a également déployé un nouvel outil au sein de son répertoire de contrôle, à savoir l’utilisation du pouvoir judiciaire lui-même pour faire taire ses détracteurs les plus ardents.

    Le sort de nombreuses ONG et organisations sociales qui sont victimes de la instrumentalization de la justice por la part de l Etat, telles que le mouvement de protestation Rif, Freedom Now o bien Racines, montre que le makhzen marocain reste implacable dans sa répression des opinions dissidentes.

    D’autre part, la société marocaine est aussi résiliente que l’Etat. Sa génération de jeunes ainsi que la société civile sont toujours en mesure de se recalibrer continuellement en réponse aux pressions exercées d’en haut. Ils savent qu’historiquement, le monarchisme n’est pas insensible au changement. Comment interpréter ces marées changeantes qui minent la notion d’exceptionnalisme marocain ? J’invoquerais les deux optiques académiques les plus célèbres selon lesquelles les spécialistes des sciences sociales ont considéré l’ordre politique dans le royaume.

    La première est la théorie de John Waterbury sur la segmentation de l’élite, qui met l’accent sur le fait que la création institutionnelle de réseaux de dépendance, de favoritisme et de clientélisme a été une stratégie délibérée par laquelle l’appareil royal maintient la classe politique enchaînée. La seconde est la théorie du maître et disciple d’Abdellah Hammoudi, qui suggère d’anciens fondements culturels et religieux sur lesquels les Marocains sont censés soumettre leur obéissance et leur autorité aux détenteurs du pouvoir absolu.

    -Aujourd’hui, les deux optiques ont besoin d’être retouchées. Le sous-développement économique a fait en sorte qu’il reste très peu de mécénat pour alimenter la segmentation des élites en réseaux de dépendance clientéliste. Pourtant, les institutions politiques créées pour consacrer l’obéissance culturelle et religieuse sont incapables de se reproduire sous la pression populaire.

    – En résumé, les règles de l’engagement politique au Maroc sont en train de changer.

    -Ces trois vignettes de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc présentent un fil conducteur. Avant le printemps arabe, ils avaient tous des États de type “jacobin”, définis par un degré élevé d’autoritarisme centralisateur. Dans le même temps, ils ont également permis un pluralisme très limité, qui a été exploité en cas de besoin.

    -Aujourd hui, ces vieilles stratégies de survie ne fonctionnent plus. En effet, la question intelligente n’est peut-être pas tant de savoir si les changemant prevue à grande échelle se produit, mais quand, comment et à quel prix, sur la base des tendances tunisiennes et algériennes.

    Mon sentiment, enraciné dans la singularité maghrébine et sa représentation de la politique arabe au sens large, est que la démocratisation peut venir si elle se fait par un pacte. La démocratie sera poussée d’en bas, mais en fin de compte, elle devra être façonnée et institutionnalisée par le biais de compromis entre des acteurs concurrents. Il existe de nombreux groupes et forces en compétition qui revendiquent le pouvoir au Maghreb. Certains ont été historiquement réprimés, tandis que d’autres sont restés au pouvoir pendant des décennies. S’il y a une rupture populaire, il appartiendra à ces concurrents de forger une compréhension mutuelle afin de créer un ordre politique commun.

    Si nous voyons de tels changements positifs catalysés de cette manière, nous parlerons peut-être dans quelques années non pas d’exceptionnalisme maghrébin, ou de singularité maghrébine, mais plutôt de leadership maghrébin pour le monde arabe en termes de son caractère démocratique. Et c’est une réalité qui mérite d’être étudiée.

    Tags : Printemps Arabe, Printemps marocain, Maroc, Algérie, démocratie, exception maghrébine, exception marocaine, répression, dictature, despotisme,

  • Le roi du Maroc: une erreur de chromosome, selon son père

    « Une erreur de chromosome »

    Le futur souverain est né en 1963, au moment où son père, le dos au mur, devait affronter une contestation croissante à l’intérieur du pays, mais également une opération de déstabilisation venue de l’étranger, notamment de l’Algérie. À l’époque, l’avenir de la monarchie est des plus incertains.

    Hassan II impose à son fils une éducation stricte, des châtiments corporels, le fait surveiller en permanence, et autant il manifestera un profond attachement à ses petits-enfants, autant il se conduira comme un père dur et distant. Le cousin germain de Mohammed VI, le prince Moulay Hicham, évoque en ces termes les châtiments corporels infligés par Hassan II: «Un jour, raconte-t-il, le roi s’est rendu compte que les serviteurs étaient gentils avec son fils aîné et moi-même. Il leur a dit: “Ce que vous avez enduré, ce ne sont pas des cris de douleur, c’est une mise en scène de cinéma.” Et il s’est mis à cogner: vingt coups de fouet(1).»

    Le prince héritier ne semble pas avoir été l’enfant préféré de son père. C’était un jeune homme plutôt ouvert et rieur, et d’une grande courtoisie. Des traits qui semblent s’être complètement évanouis, depuis qu’il est monté sur le trône.

    En 1998, Hassan II est malade, fuit même ses plus proches courtisans, les bouffons qui jusqu’alors le divertissaient. Il vit seul, replié dans son palais, et il sait que son successeur, grâce à lui, disposera de pouvoirs institutionnels sans précédent. La mort, qui l’obsède, rôde dans le palais. Nul doute qu’il éprouve en ces heures un profond désarroi envers cette toute-puissance qui va bientôt lui être enlevée, et de la jalousie pour celui qui va en hériter. À cet instant, il est piégé. Il avait balayé la tradition qui voulait que ce fussent les oulémas qui désignent le futur souverain, pour s’imposer, en tant qu’aîné, comme prince héritier. Et, sous peine de remettre en cause la stabilité monarchique, il a perpétué ce choix. Sans enthousiasme.

    En ces heures, comme si le temps lui était compté, il multiplia confidences et petites phrases. Lorsque je lui demandai: «Est-ce rassurant pour vous de savoir que votre succession se déroule de façon stable?», il répliqua d’une voix cinglante: « Jusqu’au bout je m’interroge, et malgré les apparences mon choix n’est toujours pas définitivement arrêté…» Il marqua alors une pause pour mieux accroître son effet, et ajouta : « Je ne voudrais pour rien au monde que ce pays soit victime d’une erreur de chromosome(2).»

    La formule était évidemment d’une violence inouïe, mais, impassible, il me regarda la noter, sans me demander de l’atténuer.

    La toute-puissance politique qu’Hassan II léguera à son successeur se double d’une puissance économique et financière déjà considérable. Dès le début des années 1980, il a ordonné la libéralisation de l’économie et engagé un programme de privatisations. Le bon vouloir du roi s’exerce dans ce domainelà aussi. Les entreprises publiques les plus juteuses tombent alors dans son escarcelle, mais chaque fois, comme le souligne la presse marocaine aux ordres du Palais, avec «le plein accord des pouvoirs publics». On s’en serait douté.

    Le roi rachète ces entreprises publiques à travers l’ONA, l’Omnium nord-africain, qu’il a acquis en 1980 et qui regroupait tous les biens, considérables, détenus par Paribas au Maroc. Déjà présent dans tous les secteurs de l’économie marocaine, l’ONA va, au fil des ans, beaucoup accroître son périmètre. Le holding royal contrôle ainsi des dizaines de filiales. Dans le secteur agroalimentaire, l’ONA rachète la Centrale laitière, Lesieur Cristal, Cosumar. Mais aussi des banques, de l’immobilier, de la chimie, des mines…

    Robert Assaraf, qui fut l’un des responsables du groupe, expliquera plus tard, sans mesurer sans doute l’énormité du propos: «L’idée était de marocaniser un maximum d’entreprises cruciales pour le développement du Maroc. L’ONA avait un rôle de locomotive(3).» Le seul objectif des dirigeants du groupe, qui sont tous des courtisans accomplis, est pourtant bien de donner satisfaction au souverain en maximisant ses profits. Ils savent que le maintien à leur poste en dépend. Entre 1981 et 1985, l’ONA multiplie son chiffre d’affaires par sept. 72% du volume d’activités sont réalisés dans l’agroalimentaire(4).

    Il est facile de comprendre pourquoi. Pour ce groupe qui détient quarante-trois sociétés au Maroc et en contrôle indirectement quatre-vingt-six autres, l’alimentaire est un formidable marché aux bénéfices importants. Pour une raison simple. Des sociétés comme Cosumar, qui détient le monopole du sucre, la Centrale laitière, celui du lait, ou Lesieur Cristal, celui de l’huile, opèrent sur des marchés où les produits sont subventionnés. Là encore, l’État marocain courbe l’échine sous l’ampleur des prélèvements: le secteur subventionné, tel qu’il est organisé au Maroc, vise à puiser dans le budget de l’État pour financer les entreprises royales et leur garantir des bénéfices records. Ce système de subventions, baptisé Caisse de compensation, censé acheter la paix sociale, contribue avant tout à enrichir le roi.

    La stratégie de l’ONA reflète la psychologie d’Hassan II: ne pas tolérer d’opposition à sa volonté. Bientôt il nommera son gendre, Fouad Filali, à la tête du groupe. Tous les concurrents potentiels de l’ONA sont impitoyablement écartés, quels que soient leurs secteurs d’activités.

    Au fil des ans, le Maroc devient de plus en plus un pays en trompe-l’œil, où vie politique et fonctionnement de l’économie de marché ne sont plus qu’illusions. Hassan II aura au moins eu l’habileté de tolérer, à côté de l’ONA, un secteur privé où des hommes d’affaires pouvaient encore agir. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, dans le cadre de la stratégie de contrôle mise en œuvre par son successeur.

    Hassan II, interventionniste en diable, décide du casting et des figurants sur la scène publique. Lui qui a dessiné les contours de la monarchie va faire de même avec la vie politique. « J’étais sur la route et je conduisais, racontait-il, quand je me suis dit: il serait bon que dans l’éventail politique il y ait un parti communiste. Je me suis tourné vers Ali Yata, qui était assis à mon côté, et je lui ai dit: “Tu vas créer un parti communiste dont tu prendras la direction(5).” » Il professe un profond mépris pour une classe politique qu’il veut aux ordres, et dont les représentants sont choisis pour leur souplesse d’échine. Un fonctionnement que Mehdi Ben Barka, son ancien professeur de mathématiques devenu son principal opposant, a résumé d’une formule cinglante: «Tu baisses la tête, tu baises la main et tu finiras par être récompensé.»

    Il adore tirer les fils, jouer les montreurs de marionnettes. Un soir, alors qu’il est un peu plus de 22 heures, nous discutons dans son palais de Skhirat, à trente kilomètres de Rabat. Soudain, il glisse dans la conversation:

    – À propos, je vous ai préparé une petite surprise. J’ai organisé pour vous un dîner avec le Premier ministre et les dirigeants des grands partis politiques.

    Je réponds, surpris: – Merci, Majesté. Quel jour?

    Il jubile littéralement.

    – Maintenant, ils vous attendent déjà !

    Comme je m’apprête à partir, d’un geste de la main il m’intime l’ordre de rester.

    – Il n’y a pas d’urgence, ne vous inquiétez pas.

    Il est 0 h 45 quand il me laisse enfin quitter le palais, et 1 heure 30 du matin quand j’arrive sur le lieu du dîner. Je pousse la porte, je découvre des hommes âgés assoupis dans des fauteuils. Je dis au Premier ministre, Karim Lamrani:

    – Je suis désolé pour ce retard.

    – Aucun problème, me répond-il en se frottant les yeux pour se réveiller. Nous vous attendions en discutant(6).

    Un absolutisme légal

    Pourtant la médiocrité, parfois flagrante, de certains de ces hommes a le don de l’exaspérer. Alors qu’il a décidé d’élections générales et que la campagne électorale bat son plein, il arrive sur un terrain de golf, suivi de son fils.

    – Vous avez regardé les débats télévisés, hier? me demande-t-il. Non? Eh bien, vous avez bien fait. Ils étaient tous nuls. Comment voulez-vous que j’arrive à convaincre les gens d’aller voter avec des incapables pareils?

    Quel merveilleux sursaut démocratique! Tandis que son père est sur le green, le futur Mohammed VI s’approche.

    – Comment se déroulent les choses avec mon père?

    – Plutôt bien, merci!

    Il se penche alors vers moi en souriant.

    – Soyez tout de même sur vos gardes, c’est un immense manipulateur(7).

    En réalité, malgré leurs divergences, les deux hommes sont faits de la même étoffe. Celle de dirigeants qui savent qu’ils sont au-dessus des lois et n’ont de comptes à rendre à personne. Hassan II a façonné un pouvoir absolu et sans entraves qui n’a cessé de fasciner celui qui, plus tard, allait en disposer à son tour. Un absolutisme légalisé à travers les textes constitutionnels consacrés au droit traditionnel et divin (l’allégeance, commandeur des croyants). Les droits du souverain sont ainsi réputés «inviolables et sacrés».

    Toutes les stratégies mises en place par Hassan II sont observées avec soin par le prince héritier. Or, derrière chacun de ses choix, il y a un calcul personnel. «La grande fierté de mon règne, affirmait Hassan II, ce sont ces barrages que j’ai fait construire à travers le pays.» Au total, cent vingt grands barrages auront été édifiés durant son règne, et à un rythme soutenu. Certaines années, 40% du budget de l’État auront été consacrés à ces travaux. Une politique des barrages qui aura masqué un véritable détournement d’actifs opéré par le roi. C’est lui qui choisit les régions où ils seront construits et évalue le nombre d’hectares qui seront irrigués. Le processus d’expropriation sera l’occasion de faire passer de nombreuses surfaces de qualité dans le giron royal…

    Dans un pays où les trois quarts des entreprises agricoles ont moins de cinq hectares, la terre permet non seulement au roi de s’enrichir mais de disposer d’un système de corruption efficace. S’il ne prétend en aucun cas connaître ou évaluer le nombre d’hectares appartenant aux Domaines royaux, l’économiste Najib Akesbi se livre néanmoins à un calcul intéressant: celui des terres qui ont disparu des registres fonciers après l’Indépendance du Maroc. «En 1956, on comptabilise un peu plus de un million d’hectares. On sait que, sur ce total, trois cent vingt-cinq mille hectares de terres de colonisation officielles ont été récupérés en 1963 et distribués lors de la réforme agricole qui s’est étendue de 1963 à 1975, sous forme de lots de cinq hectares, notamment lors des périodes de tensions sociales, qu’Hassan II cherchait ainsi à calmer. Il y a eu ensuite les deux cent mille à deux cent cinquante mille hectares récupérés au début des années 1970, lors de l’opération dite de marocanisation, et confiés à deux sociétés d’État, la Sodea, spécialisée dans les fermes plantées, et la Sogeta, dans les terres nues(8).»

    Au final, il resterait donc entre quatre cent mille et quatre cent cinquante mille hectares qui n’ont jamais été récupérés par l’État et qui ont fait l’objet de cessions illégales entre colons et Marocains. La famille royale en a-t-elle profité? Si oui, dans quelles proportions? Cinquante-six ans après l’Indépendance du royaume, le mystère demeure. Un sujet sensible dans un pays agricole où la moindre indication sur l’ampleur de la confiscation royale pourrait avoir des conséquences politiques et sociales graves.

    Dernier legs d’Hassan II, utilisé avec encore moins de scrupule par son successeur: l’appel à l’aide internationale pour financer des projets dans lesquels la famille royale est souvent impliquée. Outre la Banque mondiale, engagée dans le financement des barrages, la France figure naturellement au premier rang des bailleurs de fonds. En 1992, Hassan II est reçu à Paris par François Mitterrand et Jacques Chirac, cohabitation oblige.

    Depuis 1990, l’aide française atteint annuellement 1 milliard de francs, montant qui doublera à partir de 1995. La France est alors le premier créancier du Maroc, dont elle détient 13% de la dette, pourcentage qui grimpera à 19% en 1999. Elle est également le premier bailleur de fonds bilatéral du pays, au titre de l’aide publique au développement, avec 50% du total. Une filiale de l’Agence française de développement, la Proparco, dont les bureaux marocains sont installés à Casablanca, accorde également des fonds propres et des prêts à des entreprises ainsi qu’à des banques marocaines.

    En 2001, Proparco investit ainsi de l’argent des contribuables français, au total 160 millions d’euros, notamment dans le groupe minier Managem, appartenant au roi, pour l’exploitation d’une mine d’or au sud-est d’Agadir (9). Elle investit également, dès cette époque, dans l’énergie éolienne contrôlée par le souverain. À l’époque, Proparco est aussi partenaire dans Upline Technologies, un fonds d’investissement créé par la banque d’affaires et appartenant au groupe Upline, dont l’un des actionnaires « cachés» aurait été le propre frère du roi, le prince Moulay Rachid.

    La monarchie marocaine a paisiblement prospéré à l’ombre de l’omerta française. Les responsables politiques qui se sont succédé ont tous fait preuve, qu’ils soient de droite ou de gauche, d’une tolérance coupable. «Ne pas désapprouver l’inacceptable» semblait depuis longtemps la règle d’or adoptée par Paris. Ainsi, à l’abri des critiques ou des pressions, le roi et son entourage pouvaient sans risque se livrer à tous les excès.

    Staline, dit-on, avait confié un jour: «Donnez-moi un homme, j’en ferai un procès.» Hassan II aurait pu déclarer en le paraphrasant: «Donnez-moi un homme, j’en ferai un courtisan.» Le spectacle désolant des personnalités françaises se pressant à ses réceptions faisait peine à voir. Chaque année, le 31 décembre, le roi organisait une immense réception pour le nouvel an. Des centaines de voitures officielles déposaient des invités aux sourires béats devant les portes d’un palais illuminé. J’ai (É. L.) assisté à l’époque à l’une de ces soirées, et je puis témoigner que la vision offerte était particulièrement obscène. Des hommes et des femmes en robe du soir et smoking remplissaient à ras bord leurs assiettes de caviar, comme autant de Thénardier affamés se précipitant sur un bol de soupe.

    Au terme du repas, des serviteurs en livrée portant des hottes emplies de cadeaux étaient littéralement bousculés par les invités qui s’efforçaient, un instant après, d’en récupérer un maximum. Hassan II n’apparaissait pas une seule fois, mais nul doute que, bien à l’abri des regards, il devait observer ce spectacle avec satisfaction. Sans doute le confortait-il dans son scepticisme sur la nature humaine et le mépris qu’il éprouvait pour l’immense majorité des gens.

    1. Ignace Dalle, Hassan II, entre tradition et absolutisme, Paris, Fayard, 2011.

    2. Propos recueillis par Éric Laurent, Rabat, 1998.

    3. Fahd Iraqi, «Il était une fois l’ONA», TelQuel, nº 456.

    4. Ibid.

    5. Entretien avec Éric Laurent, Skhirat, 1993.

    6. Propos recueillis par Éric Laurent, Rabat, 1993.

    7. Propos recueillis par Éric Laurent, Bouznika, 1994.

    8. Entretien avec les auteurs, Rabat, septembre 2011.

    9. L’Économiste, 5 septembre 2001.

    Source : Le Roi prédateur

    Tags : Maroc, Mohammed VI, le roi prédateur, erreur de chromosome, Hassan II, ONA, dictature, répression,

  • Ali Salem Buyemaa, la tenacidad de la lucha saharaui

    Cristina Martínez Benitez de Lugo

    Ali Salem Buyemaa, un ciudadano saharaui de los territorios ocupados que ha sido muy firme en su lucha contra la ocupación, rechazando documentación marroquí y manifestando claramente su postura por la autodeterminación, nos impresionó a todos con el vídeo del 10 de abril en el que él y Nour Eddin Argoubi se fueron a una glorieta en El Aaiún ocupado, se tomaron su tiempo, clavaron tranquilamente en el suelo seis banderas saharauis espaciadas entre ellas, entonaron el himno Labadil Labadil aán takrir al masir (no hay solución sin la autodeterminación) y se dejaron ver.

    La policía de paisano secuestró a Ali Salem al día siguiente frente a una cafetería. Si digo secuestró es porque no hubo una detención en regla, ni policía de uniforme, ni abogado, ni derechos, ni información a la familia. Desaparecido.

    El día 13 le llevaron ante el sustituto del procurador en el Juzgado de Primera Instancia de El Aaiún y le acusan de posesión de drogas y de desacato a la autoridad con violencia. Se aporta como prueba un certificado médico de 60 días de incapacidad del policía supuestamente agredido. La imaginación del fiscal no ha ido muy lejos. Nos ratifica de una manera bochornosa lo que ya sabemos: a los presos políticos se les acusa de cualquier cosa y cuela.

    Saadouni ha negado las acusaciones y no ha consentido en firmar el atestado policial a pesar de las torturas infligidas para que lo hiciera.

    No han permitido que sus seres cercanos le vieran. En la audiencia los propios policías se dedicaron a insultar a la familia.

    Le juzgan el lunes 15 de abril.

    Ali Salem Buyemaa es un irreductible. Desde hace muchos años es noticia por las palizas y las torturas que ha padecido, con la cara desfigurada y amoratada de los puñetazos de las fuerzas de ocupación, con cuchilladas de la policía. Son muchos los plantes de Saadouni, símbolo de resistencia, y todos los ha pagado con la brutalidad marroquí. Ha estado en la cárcel año y medio, de 2016 a 2018, en condiciones durísimas. Él sigue defendiendo lo suyo a cualquier precio. Efectivamente, una persona así es un peligro. Aunque sus métodos sean pacíficos. ¿Alguien puede tomar nota? Se van a cebar con él. Hay que salvar a Saadouni.

    El caso de Ali Salem Buyemaa es una muestra clara de que el cinismo de Marruecos no tiene pudor.

    No se pueden entablar conversaciones supuestamente bienintencionadas al más alto nivel –el marco de las NNUU- cuando una de las partes se ríe a mandíbula batiente de los valores que son nuestro estandarte: los derechos humanos. Marruecos se chulea de todos y quien debe evitarlo consiente.

    Contramutis, 14/04/2019

    Tags : Maroc, Sahara Occidental, Front Polisario, Ali Saadouni, répression,

  • Maroc : l’État s’acharne contre les dirigeants de la révolte du Hirak

    Les 42 dirigeants du mouvement du Hirak, qui avait soulevé la région marocaine du Rif en 2016 et 2017 ont vu leurs peines confirmées par la Cour d’appel de Casablanca : elles sont de 15 à 20 ans de prison pour ceux désignés comme les responsables de ce prétendu « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État » selon les termes employés par la justice.

    Le mouvement du Hirak avait été déclenché par la mort d’un vendeur de poissons, broyé dans une benne à ordures en tentant de s’opposer à la saisie de sa marchandise.

    La dictature marocaine, qui bénéficie du soutien sans faille de l’État français depuis des décennies, entend terroriser les classes populaires pour briser toute contestation.

    Il faut espérer qu’elle n’y parviendra pas, d’autant que ce qu’accomplit en ce moment le peuple algérien les aidera à renforcer leur détermination.

    Source : Lutte Ouvrière

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, répression, Nasser Zefzafi,

  • Maroc-Rif : Communiqué de l’Association TAFRA

    L’Association TAFRA pour la fidélité et la solidarité avec les familles des détenus du mouvement populaire dans le RIF

    COMMUNIQUE ( Traduit de l’arabe par R.O)

    L’Association TAFRA pour la fidélité et la solidarité a appris avec indignation et consternation la décision de la Chambre criminelle près la Cour d’appel à Casablanca en confirmant les jugements en premiers instance à l’encontre des prisonniers politiques du mouvement rifain.

    La décision prouve la justesse de la position des détenus du mouvement rifain à boycotter les audiences de la cour d’appel en raison du refus de répondre à leurs demandes garantissant les conditions d’un procès équitable et son refus de rechercher la vérité des faits à partir du moment de l’événement de broyage martyr Mohcine FIKRI jusqu’à la décision de la Cour d’appel.

    Elle confirme également l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire dans notre pays et son instrumentalisation pour liquider les voix libres.
    Le prononcé de la dernière décision du tribunal confirme l’intention de l’Etat makhzenien de vouloir mettre à genou le peuple devant son aspiration au changement, par la vengeance sur nos détenus par des procès fictifs et la persévérance à les humilier, ce à quoi ont répondu nos détenus sous une forme de protestation sans précédent, où ils ont entamé successivement une grave de la faim, de l’eau et de la parole.

    Cette grève a été entamée par les détenus Nasser ZEFZAFI et Mohamed AL HAKKI le lundi 08 avril 2019, ils ont suturé leurs bouches avec des aiguilles et du fil, pour protester contre les dispositions injustes adoptées par la Cour de d’appel.

    Avec la grève de la faim et les lèvres cousues, il se pourrait que les détenus rifains sont entrés dans une phase de non-retour incarnant l’un de leurs principaux slogans: Plutôt la mort que l’humiliation, et ils en font un cri retentissant sans pareil, la liberté ou le martyre.

    Nous tenons à condamner les jugements injustes et abusifs prononcées à l’encontre de nos prisonniers, nous devons alerter toutes les institutions de l’Etat, y compris le chef de l’état dont les jugements sont émis en son nom, et sa responsabilité historique et celle du moment à l’endroit des dépassements flagrantes et systématiques des droits de humains dans le RIF.

    De même, on leur rappelle également que la question du mouvement rifain est une question politique et sa solution ne sera pas judiciaire ni sécuritaire, mais une solution politique qui nécessite d’agir dans l’urgence pour sauver la vie de nos prisonniers, les libérer et accéder à leurs exigences, une véritable réconciliation avec le RIF en changeant la doctrine politique de l’Etat à son endroit et la rupture avec l’approche sécuritaire systématique envers lui. Ce ne sera pas atteint sans aucun doute, sans le passage à l’état de droit et aux institutions véritablement indépendantes. Les sacrifices de nos détenus et la vie de nos martyrs passés et à venir ne sont pas en vain et conduiront inévitablement à l’effondrement du système de la corruption, de la tyrannie et de l’oppression, peu importe le degré de la répression et l’autoritarisme dépourvu de toute légitimité sociétale.

    À cet égard, nous rappelons que ceux qui méritent la peine de nos détenus, ce sont les assassins du martyr Mohcine FIKRI, d’Imad AL ATTABI et d’autres, ainsi que ceux qui ont incriminé le RIF, l’accusant de sécessionniste et ont été la cause de la récente tragédie, en plus du système de corruption qui a ravagé la RIF, détruit son tissu sociétal et pillé ses ressources comme d’autres régions du pays.

    Sommes fiers de la fermeté de nos détenus et de leurs familles, nous saluons les défenseurs de leur innocence et exigeant leur liberté, nous prions les masses populaires et les organisations de soutien aux détenus du mouvement rifain, au niveau local, national et international pour rallier autour des détenus politiques du mouvement dans le RIF et de leurs familles, et de monter d’un cran dans leur mouvement de lutte et de l’unité, de faire face à la prédominance d’un Etat qui affronte son peuple et refuse d’écouter ses exigences justes et légitimes et veut rester prisonnier de la servitude déguisée, alors que nous vivons dans une époque de la libération des peuples des régimes voyous. A cet égard, les leçons des peuples nord africains sont là pour ne le rappeler.

    Enfin, restons unis dans des situations difficiles et dans l’adversité majeure. Évitons les accusations de trahison, cela ne fait qu’approfondir nos blessures et nos tragédies. Le RIF, qui a la beauté de Youssef, est saignant et les rifains sont attristés à l’image de son père, sont peinés, comme si leur patrie les pousse à un sort en dehors de lui, et l’Etat qui est corrompu à l’image de ses frères , continue dans sa tyrannie.

    Pour le bureau de l’association

    Le 09 avril 2019.

    Tags : Maroc, Rif, Hirak, prisonniers politiques, répression, Makhzen,