Soumeylou Boubeye Maiga : «L’AQMI, un danger majeur pour les pays du Sahel»

Pour l’ancien ministre malien de la Défense, Soumeylou Boubeye Maiga, Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) constitue, incontestablement, un risque stratégique éminent pour tous les pays autour du Sahel. L’Algérie, qui a exporté ce terrorisme par le biais du GSPC, lequel terrorisme garde encore une importante capacité de nuisance et ses racines dans le maquis algérien, est la plus menacée.
Cette menace est en outre exacerbée par le manque évident d’anticipation et de vision claire sur les voies et moyens, surtout politiques, à déployer pour faire face à ce nouveau danger qui viendra du Sud. L’activisme en sourdine de certaines puissances économiques et militaires contribuera, il faut malheureusement le craindre, à empoisonner le climat politique dans la région du Sahel. Ces puissances convoitent, en effet, très fortement les grandes richesses que recèlerait la région sahélienne qui regroupe plusieurs pays. «A bien regarder la carte géographique du monde, après l’Afghanistan, l’Irak et à un degré moindre une partie de l’océan Indien, le Sahel est la plus grande zone géographique de non-droit au monde. Elle s’étend de la Mauritanie au Tchad. Dans cette région, il n’y a pratiquement pas de présence étatique efficace», révèle l’ancien ministre malien devant les cadres de la République arabe sahraouie démocratique (Sahara Occidental envahi par le Maroc en 1975, note de Diaspora Saharaui) qui organisent une université d’été à Boumerdès. Les cadres sahraouis étudiaient justement, durant la journée du mercredi, le thème portant sur «le traitement du terrorisme transnational par la communauté internationale ». Poursuivant son diagnostic de cette région, l’ancien homme d’Etat malien affirme que la souveraineté des Etats limitrophes du Sahel est toute relative, voire nulle dans une partie de leurs territoires respectifs. Et l’ancien ministre sait de quoi il parle. Il est convaincu que le GSPC, né de la scission des GIA, n’est que la tête de pont d’Al Qaïda dans la région. A l’écouter, la création de ce mouvement armé répondait en 1998 à une démarche stratégique d’Oussama Ben Laden. Cette stratégie consistait pour le chef des terroristes salafistes à se préparer en vue de l’implantation de sa mouvance dans une région désertique immense, comme le sont ses problèmes. La mutation s’est effectuée en 2007 avec la marginalisation de Hassan Hattab qui n’avait pas accepté de travailler sous les ordres de quelqu’un d’autre et l’intégration du GSPC à l’organisation de Ben Laden. La création de l’Aqmi consacre l’exclusion définitive de Hattab des plans de Ben Laden. «Le Sahel est la base logistique de l’AQMI pour l’ensemble de la région. C’est-à-dire sa base pour le recrutement, la formation, la préparation ; plus important, c’est un point de ralliement pour les différents groupes islamistes. Le Sahel est un point de départ de menace pour l’ensemble des pays de la région», estime le conférencier qui constate, par ailleurs, qu’Al Qaïda au Maghreb islamique a choisi le cœur de la terre musulmane majoritaire en Afrique, c’est-à-dire à l’interaction de l’Afrique du Nord et de celle située au sud du Sahara, pour se redéployer. Pour preuve, il énumère les récents attentats qui ont touché l’Algérie, où ont été assassinés 10 gardes frontières (GF), les attaques au Niger, en Mauritanie et jusqu’au nord du Nigeria. Ces incursions ont été l’œuvre d’un noyau installé au nord du Mali. «A partir des points d’incrustation, l’AQMI devient une menace stratégique à la fois pour les Etats de manière évidente mais également pour les sociétés au sein desquelles l’organisation terroriste récupère toutes les angoisses existentielles et devient aussi le principal facteur de protestation et de lutte dans les pays où les structures classiques comme les partis politiques, les syndicats et la société civile de manière générale sont en recul», constate Maiga. Sur ce volet de la lutte politique contre le terrorisme et sa matrice idéologique l’islamisme, la désastreuse expérience algérienne qui s’est révélée de façon effarante à l’opinion singulièrement depuis le début des années 2000 fait déjà école. Et pour cause, le régime refuse de s’ouvrir sur la société. Il marginalise et réprime ses éléments les plus représentatifs et crédibles pouvant l’aider à mobiliser davantage la population contre les terroristes. Résultat, la durée de vie du terrorisme et les drames qui s’en suivirent furent prolongé d’une dizaine d’années. C’est la sentence rendue par beaucoup de Patriotes. Pire, le gouvernement accorde des concessions politiques aux islamistes qui pensent que ces concessions ne sont que le résultat de leur activisme. Pour eux, le régime qui concède le terrain politique est faible. Ils pensent par conséquent que la prise de pouvoir totale est inéluctable. Le régime adopte ainsi une démarche aussi inutile que dangereuse pour le pays. Plus grave, le refus de débattre sur la question sécuritaire dans le pays érode inexorablement le capital sympathie acquis au prix d’énormes sacrifices par les services de sécurité durant leur lutte contre les groupes islamistes armés. 


Trésor de guerre et financement de l’Europe 


Selon l’ancien ministre malien, au minimum, 50 tonnes d’héroïne venant d’Amérique du Sud transitent annuellement par des pays du grand désert nord-africain où de plus se pratiquent le trafic d’armes et d’humains, le racket et les rapts. «Les enlèvements ont rapporté aux terroristes entre 15 et 20 millions d’euros», dit Maiga. Il y a lieu d’inclure des revenus provenant d’autres activités criminelles. C’est dire que les capacités financières dont disposent les partisans de Ben Laden disséminés dans les pays du Sahel sont très importantes. A ce propos, il y a lieu de relever l’hypocrisie des pays européens qui, insidieusement, financent le terrorisme et fournissent un trésor de guerre à l’AQMI. Ils le font par le truchement des versements des rançons exigées contre la libération des otages. Ces personnes enlevées circulaient dans la zone, pour les unes pour des obligations professionnelles et pour d’autres des convictions humanitaires les motivaient mais par contre, un grand nombre d’entre elles le faisaient sans motif probant. En outre, elles connaissaient parfaitement les risques encourus, dans des zones reconnues comme dangereuses. Certaines victimes se sont révélées après leur libération qu’elles étaient tout simplement des agents des services secrets européens. 


Ingérence 

M. Maiga craint le pourrissement de la situation dans le Sahel. Il ne le cache pas : «L’on a vu récemment avec l’opération conjointe des forces mauritaniennes et françaises sur le territoire malien. En conséquence si chaque gouvernement ne devient pas le principal responsable de la sécurité de son territoire, tous ceux qui considèrent que leur sécurité, à tort ou à raison, est menacée à partir du Sahel vont se donner le droit d’intervenir directement.» Les craintes de Maiga sont motivées par des informations qui circulent dans les milieux initiés et que lui même confirme : le corridor compris entre la Mauritanie à l’ouest, le Tchad à l’est regorge de matières premières à fort le valeur ajoutée. Il est question de gaz, de pétrole, d’or, d’uranium et d’autres minéraux. Américains, Européens, France en tête, Chinois, Indiens jouent une partie très serrée autour du Sahel. Apparemment, certains dirigeants africains n’ont pas retenu l’expérience dramatique de l’Irak et de l’Afghanistan. Des informations indiquent en conséquence qu’ils sont tentés par des alliances, pour l’heure secrètes, avec des puissances occidentales à des fins restées opaques. C’est connu, les Etats faibles, dépendants, en grande partie, du soutien occidental en matière d’armement et d’informations sécuritaires ne sont pas en mesure de négocier en position de force et de manière équitable des contrats relatifs à l’exploitation des richesses de soussols de leurs pays. Etrangement, la presse européenne, qui est pourtant très bien alimentée en informations par les responsables, civils, militaires et sécuritaires de la région, ce que les derniers ne font pas avec les journalistes autochtones, s’abstient de regarder l’instabilité de la région sahélienne sous cet aspect. 


Laxisme d’Etat ? 

Face à la menace que constituent les phalanges du mouvement armé de Abdelmalek Droukdel dans la région, l’ancien ministre malien pense que l’engagement des Etats concernés reste à faire. «Face à cette situation critique, l’engagement des Etats est inégal. Tous les états de la région n’ont pas la même attitude, n’ont pas la même réponse pour contrer cette menace », explique-t-il. Dès lors, l’observateur ne peut qu’en être inquiété : les responsables politiques sont-ils ligotés par leurs intérêts politiciens ? Sont-ils impuissants, voire incompétents, pour résoudre les problèmes politiques à l’intérieur de leur territoire ? Pour Maiga, les gouvernants doivent tirer leur légitimité politique dans la mise en place de moyens de lutte efficace contre le terrorisme. «L’engagement de chaque Etat doit considérer l’enjeu sécuritaire comme un impératif prioritaire de gouvernance, de développement et même de légitimité tout simplement de son droit de gouvernance. Cela suppose que l’ensemble du démembrement de l’appareil de l’Etat notamment les appareils militaires, sécuritaires et judiciaires doivent être mobilisés dans la lutte contre le terrorisme», dira-t-il en laissant entendre que des réformes et des mises à niveau de ces appareils sont plus que nécessaires. Toute défaillance dans la cohérence des politiques de lutte des pays engagés contre le terrorisme laissera le champ libre à des acteurs étrangers pour intervenir à des fins d’instrumentalisation de l’islamisme et de son bras armé le terrorisme, avec le risque de radicalisation dans la région. Pour lui, les Etats sont sommés de signer un pacte de coopération sans ambiguïté et surtout de mettre à contribution le soutien des opinions publiques dans la lutte anti-terroriste. 


L’Europe n’est pas à l’abri 

Le harcèlement des services de sécurité algériens a porté des coups très sévères à AQMI qui écumait les maquis du Tell. Cette contre-guerria a porté ses fruits amputant grandement les capacités de nuisance de la faction djihadiste en Algérie. De plus, elle s’est engouffrée dans une impasse politique. En Algérie, AQMI est effectivement affaiblie. Les chefs terroristes vont certainement prendre du recul et l’Algérie vivra une accalmie, mais très relative. Cependant, ce mouvement insurrectionnel qui s’est largement incrusté dans les réseaux maffieux prendra probablement le temps nécessaire pour se réorganiser et se redéployer à partir du Sahel où, a priori, il a plus de facilités. Les «émirs» des phalanges du sud ne manqueront pas d’exploiter l’absence des structures étatiques, la situation de misère des populations locales, les divergences politiques et les conflits éthiques pour recruter et installer de nouvelles bases. Ils assoiront leur contrôle des réseaux de trafic et en créeront d’autres, vers l’Europe notamment. Sur place, en Europe, les jeunes marginaux des banlieues des grandes agglomérations, qui vivent très mal la crise identitaire et qui subissent la crise économique, seront des proies faciles pour les recruteurs d’AQMI. Dès lors, la tentation de porter une autre fois le djihad dans le Vieux Continent sera grande. Hassan Hattab, avec des moyens moindres, a bien réussi à ébranler, en 1995, les pays européens, particulièrement la France. Présentement, la stratégie d’Al-Qaïda est mieux étoffée et les moyens financiers dont disposent les chefs terroristes sont plus importants. Les «émirs», qui reçoivent les orientations à partir de la centrale de Ben Laden, pour qui l’Occident est l’ennemi numéro un, partiront sûrement du principe que si des groupes humains – les émigrants clandestins — qui partent de l’Afrique subsaharienne, avec toutes les difficultés en cours de route et le peu d’argent, arrivent sur les rives du sud de l’Europe, un système logistique fortement soutenu par de grands moyens financiers accomplira des performances. Ils ne manqueront pas de déduire que des armes, des explosifs et des terroristes seront donc transférables vers le Nord. Il n’est pas exclu qu’à moyen terme que des attentats soient planifiés. La tentation sera grande d’autant plus que dans le Vieux Continent, l’impact politique et médiatique découlant d’une attaque est plus important. Les médias nordiques sont friands de ce genre d’événements sanguinaires. 

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